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Mais où sont passés les travailleurs « qualifiés » de la diversité?

Une illustration de Florence Rivest dans laquelle on voit des personnes issues de minorités qui sont dans l'ombre, en dehors de la lumière du faisceau d'un phare.
Les employeurs qui souhaitent favoriser la diversité au sein de leurs effectifs estiment que leur principal obstacle est le peu de travailleurs qualifiés qui postulent pour les postes. C'est ce qui ressort d'une récente étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont un volet a été réalisé pour le Canada.

L’étude intitulée Diversité dans le monde du travail s’est penchée sur les cas de 1200 entreprises canadiennes, dont 710 au Québec. Parmi les entreprises qui ont implanté des mesures en faveur de la diversité dans la province, 45 % ont admis que l'acquisition de candidats de la diversité pose un défi parce que le nombre de postulants est insuffisant.

La difficulté de faire valoir l’intérêt de la gestion de la diversité à l’interne (19 %), le scepticisme des employés à l’égard de cette question (13 %) et l’orientation de la haute direction vers des résultats à court terme (13 %) figurent également sur la liste des obstacles qui se dressent devant les employeurs qui aspirent à plus de diversité.

Pour la chercheuse Tania Saba, qui a compilé les données de l’étude pour le Canada, les résultats n’ont rien d’étonnant. « C’est un mythe que de penser que les candidats de la diversité sont absents », tranche d’emblée celle qui est professeure à l’École de relations industrielles et titulaire de la Chaire en diversité et gouvernance de l’Université de Montréal.

Il s’agit là, à son avis, d’une démonstration du manque d’expertise, voire d’un quelconque désintérêt de certaines organisations pour la gestion de la diversité.

Lorsqu’il est question de gestion de la diversité, qui vise-t-on exactement?

La gestion de la diversité ne vise pas seulement les minorités visibles. Elle dépasse de loin la couleur de la peau ou l’origine des individus. La diversité concerne également le sexe, l’âge, les situations de handicap, qu’ils soient visibles ou non, l’intégration des communautés autochtones, la religion, l’éducation, la langue, etc.

Mais alors, les travailleurs « qualifiés » de la diversité, où se cachent-ils ?

Tania Saba montre du doigt les stratégies de recrutement des entreprises, qu’elle juge inefficaces. « Il faut faire en sorte que les travailleurs des groupes sous-représentés sentent que leurs candidatures sont bien accueillies, requises et recherchées », affirme la chercheuse. La solution, dit-elle, passe par la mise en place de campagnes « très ciblées » auprès de ces mêmes groupes.

Philippe Massé, agent de développement chez Concertation Montréal, partage le même avis. Le discours des organisations quant à la pénurie de candidats n’a rien de nouveau à ses yeux. Depuis 2015, il pilote l’initiative Leadership Montréal, qui fait la promotion de la diversité au sein de lieux de décision, tels que des conseils d’administration et des comités consultatifs.

Il constate que les entreprises et les conseils d'administration font face au même défi quand vient le moment de s’ouvrir à la diversité. On ignore carrément où et comment trouver les candidats. « Quand on creuse un peu, on réalise que, dans bien des cas, les membres de la diversité ne se sentent pas nécessairement interpellés par les postes qu’on leur propose », explique Philippe Massé.

Leadership Montréal a depuis constitué une banque de candidatures réunissant 250 aspirants de tous les horizons. La Ville de Montréal a d’ailleurs déjà annoncé qu’elle ferait davantage de place aux minorités dans ses C. A. en puisant dans cette banque.

« Pour aller chercher les personnes issues de la diversité, on invite nos candidats à interpeller leurs réseaux et leur entourage. On doit utiliser différents canaux de communication pour les rejoindre. Si on cherche des administrateurs et qu’on fait seulement passer le mot autour de nous, on se limite à des gens qui nous ressemblent. »

Une citation de Philippe Massé, agent de développement chez Concertation Montréal

De son côté, la chercheuse Tania Saba n’écarte pas la technique de recrutement par curriculum vitae anonyme pour favoriser l’embauche de personnes issues des minorités visibles.

Elle se réfère à une étude du sociologue Jean-Philippe Beauregard qui montre qu’un « candidat d'origine maghrébine avait deux fois moins de chances d'être rappelé par un employeur à Québec qu'un Québécois d'origine ». Son auteur, qui avait procédé à l'envoi de 404 curriculum vitae pour 202 postes à pourvoir, expliquait que la discrimination dont étaient victimes les membres des minorités visibles pouvait être le fruit de biais inconscients de la part d’employeurs.

Parler affaires

L’avocate Shahad Salman, qui œuvre dans les domaines de la propriété intellectuelle, du droit commercial et corporatif, croit dur comme fer que les employeurs du Québec ont intérêt à revoir leurs stratégies de recrutement s’ils souhaitent s’ouvrir à de nouveaux marchés et compétitionner.

Elle vient d’ailleurs de fonder, avec sa partenaire d’affaires Dafina Savic, une firme de relations publiques spécialisée dans les questions de diversité.

Les deux femmes ont fait le choix de s'immiscer dans le débat après avoir constaté que les organisations avaient une perception négative de la question de la diversité. « On a toujours parlé de la diversité d’un point de vue revendicateur, mais je pense qu’il est important de l’expliquer dans un contexte d’affaires », détaille Shahad Salman.

Les deux entrepreneures se sont donné pour mission d’offrir un accompagnement de A à Z aux entreprises qui aspirent à une culture inclusive. Elles veilleront à s’assurer que les appels d’offres seront inclusifs, qu’ils seront diffusés dans des réseaux diversifiés et que les processus d’embauche ne seront pas biaisés.

UENA n’est donc pas, a priori, un organisme à but non lucratif. « On parle le même langage que nos clients », admet Shahad Salman, qui voit dans cette approche une meilleure façon d’établir le dialogue avec les dirigeants d’entreprise, dont l’objectif premier demeure de générer des revenus.

« Les employeurs ont tendance à penser que la diversité est quelque chose de très lourd et complexe. Nous, ce qu’on prône, ce n’est pas de mettre plus d’efforts, mais de savoir où les mettre. Ce n’est pas plus laborieux en soi », explique Dafina Savic, diplômée en sciences politiques.

Dafina Savic est d’avis que la diversité peut permettre à une entreprise d’éviter des maladresses dans la promotion d’un produit ou d’un service. « La diversité permet d’avoir une perspective de plus quand vient le temps d’intéresser une nouvelle clientèle à une offre. »

Des écarts entre les secteurs d’emploi

L’étude de l’OCDE démontre par ailleurs que les secteurs de la construction et du transport affichent par rapport à la moyenne la plus faible probabilité d’avoir en place des mesures de gestion de la diversité, tandis que les secteurs de l’éducation et de l’administration publique affichent une plus grande probabilité d’en implanter.

Photo : Radio-Canada

Malgré tout, se pourrait-il alors que les profils des candidats ne soient tout simplement pas aussi diversifiés qu’on le voudrait, puisque les membres des groupes sous-représentés tournent le dos à certains métiers? Selon Dafina, il serait hâtif de se limiter uniquement à une telle explication.

Le désintérêt des employeurs pour la diversité favorise, selon elle, un cercle vicieux qui conduit certaines personnes à aller vers les milieux où leur taux de réussite sera plus élevé. Le noeud du problème serait l’accessibilité à certains postes dans les entreprises.

Une solution à la pénurie de main-d’oeuvre?

Philippe Massé reconnaît que le défi de s’ouvrir à la diversité peut être plus grand en dehors des grands centres, un peu moins courus par les travailleurs des groupes sous-représentés.

Mais il croit qu’une partie de la solution à la pénurie de main-d'œuvre repose sur une plus grande ouverture à la diversité. Les communautés, et non seulement les entreprises, doivent avoir des pratiques plus inclusives et accueillantes pour attirer la main-d’œuvre en dehors des grandes villes. « Les commissions scolaires, les chambres de commerce, les milieux culturels ont aussi leur part à jouer », dit-il.

Du côté de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), le Programme Interconnexion, mis sur pied en 2010, souhaite mettre en relation les organisations avec les nouveaux arrivants qualifiés.

Son PDG Michel Leblanc est optimiste, malgré la pénurie de main-d’œuvre au Québec.

Il croit que la situation actuelle forcera les entreprises à transiter vers un nouveau modèle et à s’ouvrir davantage à la diversité. « La pression économique va apporter des corrections naturelles », dit-il.

Selon lui, la responsabilité de faciliter cette transition revient au gouvernement, aux employeurs et aux travailleurs.

« Les entreprises doivent s’ouvrir à la diversité, affirme-t-il. Le gouvernement doit soutenir les programmes d’aide aux immigrants pour favoriser leur intégration, et les travailleurs issus de l’immigration ne doivent pas hésiter à aller chercher certaines formations quand l’employeur l’exige ».

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