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Une vie consacrée à la forêt

Un travailleur forestier.

André Roy a consacré sa vie à la forêt.

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

Un travailleur forestier.

André Roy a consacré sa vie à la forêt.

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

Le jour est sur le point de se lever à Sainte-Praxède, à quelques pas du parc national de Frontenac, dans la région de Chaudière-Appalaches. Un homme à la longue barbe grise et droit comme un chêne sort de sa résidence portant un casque et tout l'équipement de protection nécessaire au travail de bûcheron. On s’attend à le voir sauter dans une camionnette, un véhicule adapté aux rudes besognes et davantage associé aux travailleurs forestiers, mais non. Il monte plutôt à bord d’une sous-compacte et se dirige vers sa terre à bois, comme il le fait depuis plus de 30 ans. 

André Roy a des racines profondes dans son milieu. Installé avec son épouse sur un terrain ayant appartenu à son père, il a passé toute sa vie dans son petit village situé à côté de Disraeli. Homme de valeurs et de convictions, il travaille depuis toujours à assurer la pérennité de son environnement. 

Un homme pensif.

L'émotion étreint André Roy lorsqu'il parle de son père, Léo. « Quand j'ai commencé à acheter mes lots, mon père venait les arpenter avec moi. Je sentais une grande fierté chez lui. »

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

Le sylviculteur qui aura 72 ans en décembre a consacré sa vie à la forêt, à tel point qu’il a aujourd’hui le sentiment de vivre en symbiose avec elle. 

À la longue, les terres finissent par nous ressembler et par être conformes à notre personnalité.

Une citation de André Roy, sylviculteur
Un homme marche en forêt en regardant vers le ciel.

« La chlorophylle que produit l'arbre en fait une usine à oxygène. Moi, j'ai besoin de ça, et mes concitoyens aussi, pour compenser ce qu'on fait de moins bien », explique André Roy.

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

Foresterie durable

 La première qualité de ma terre, je dirais qu’elle est résiliente, explique André Roy alors qu’il nous guide vers une éclaircie où il doit effectuer quelques coupes. Tout en remplissant sa scie mécanique d’essence et d'huile à chaîne, il explique que l’endroit a jadis été un pâturage. Le sol argileux, favorable à la croissance de résineux, d’érables rouges, de bouleaux et de peupliers s’est régénéré de lui-même, sans que du reboisement soit nécessaire. 

Un forestier parle avec un journaliste.

André Roy parle avec poésie de la forêt. Il avoue d'ailleurs être particulièrement attaché à la langue française et avoir une admiration sans bornes pour Gilles Vigneault.

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

La capacité d’adaptation de sa forêt de 170 hectares, soit l’équivalent de 350 terrains de football, est due en grande partie à la force de la nature, mais aussi à la grande expertise que son propriétaire a développée au fil des ans. Féru de foresterie, André Roy a entretenu son espace de façon durable tout en s’assurant un revenu grâce à la coupe de bois. 

En cette ère de changements climatiques, il faut adapter la sylviculture à cette réalité. Moi, je préfère y aller plus souvent et récolter moins [à la fois] pour avoir des arbres plus résilients et assurer la régénération. Ici, la régénération est présente partout. Les arbres sont forts. Ils se sont bien adaptés. Je bâtis mes forêts en fonction de mes valeurs. 

Un homme soulève un long billot de bois.

« Je dois une partie de ma bonne santé au travail en forêt. Il me maintient en bonne condition physique », soutient André Roy.

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

Ces valeurs dont parle André Roy semblent avoir été adoptées par un grand nombre de sylviculteurs de la région, qui est composée à 95 % de terres privées. Celui qui est aussi président du Syndicat des producteurs forestiers du sud du Québec depuis plus de 20 ans souligne avec fierté que des normes environnementales très strictes sont observées dans la région grâce à l’adoption de la certification Forest Stewardship Council (FSC). Dix grands principes guident cette convention, dont ceux de respecter les traités internationaux.

En Estrie, ce sont 140 000 hectares de forêts qui sont assujettis à cette attestation. Cette dernière prévoit aussi des inspections régulières pour s’assurer que les pratiques des producteurs sont conformes à l’aménagement durable des forêts.

On est la seule région au Québec à avoir fait ça. Ce n'est pas par hasard, parce qu'on habite un secteur où les préoccupations environnementales sont énormes, souligne André Roy.

Certains croient que la récolte est quelque chose d’incompatible avec la biodiversité. Moi, je pense qu’au contraire, elle la favorise.

Une citation de André Roy, sylviculteur
Un homme coupe du bois.

« Le film L'erreur boréale, de Richard Desjardins a beaucoup contribué à cette espèce de rejet collectif de l’utilisation du bois, selon André Roy. Ce n’est pas de sa faute. Son documentaire n’était pas un réquisitoire contre la sylviculture, mais contre notre régime forestier. »

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

Reboiser pour récolter plus tard

André Roy voit un aspect philosophique à son travail en forêt. Il parle des arbres de sa propriété comme s’il connaissait chacun d’entre eux. Je ne voudrais pas exagérer, mais je dirais que pratiquement tous les arbres matures ici ont un nom. Voyez ça, c'est un sapin baumier. Il commençait à dépérir, je l’ai donc récolté. Celui-ci, non, parce que je pense qu'il peut vivre encore une bonne dizaine d'années. Mais si ce n'est pas moi qui le récolte, ce seront mes enfants. 

Un travailleur forestier regarde vers le ciel.

« Tant que vous avez cette cime verte, ça ne presse pas de couper. Quand vous commencez à voir le changement de couleurs et des pertes de branches, c'est le temps d'intervenir. »

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

Avant de devenir propriétaire, le père de trois garçons a travaillé comme sylviculteur salarié. C’est dans la quarantaine qu’il a décidé de s’investir entièrement sur ses propriétés. Malgré le temps qui passe et la vieillesse qui s’installe, il est toujours habité par ce besoin vital d’être en forêt, un endroit bien adapté à son tempérament plutôt solitaire.

Je suis un ours qu’il ne faut pas éloigner de sa tanière trop longtemps, parce que son humeur s'en ressent, lance-t-il avec humour. J'ai besoin de me retrouver en forêt au moins deux ou trois jours par semaine.

Un homme coupe du bois.

« Jusqu'à l'âge de 42 ans, j'ai été salarié comme sylviculteur. J'ai planté des arbres et j'ai récolté. L’année où j'ai acheté mes dernières terres, je me suis dit que j’avais un coup à donner [chez moi]. Pendant plusieurs années, j'ai vécu essentiellement de la récolte de bois sur mes terres. »

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

André Roy est toujours à l'affût du moindre chant d‘oiseau ou craquement de branches provoqué par le passage d’un chevreuil ou d’un dindon sauvage. Il est tellement familier avec la forêt qu’il peut même décrire les parfums des différentes essences d’arbres. Elles sont particulièrement odorantes en cette période automnale, surtout lorsque la température s'adoucit en matinée après un gel nocturne, explique-t-il. C’est le moment de l’année qu’il préfère.

Une odeur sucrée sort de l'érable à sucre à l'automne, mais elle est très subtile. Le bouleau jaune a une odeur piquante, s’exclame-t-il. Le hêtre a une autre odeur. Chez les feuillus, c’est plus subtil. Les résineux, c’est autre chose. Le pin, le sapin, c’est tellement évident. Le cèdre nous rentre dans les narines tout de suite.

Un travailleur forestier.

« Le métier de sylviculteur est un métier extrêmement sensoriel. Il n'y a pas deux saisons qui se ressemblent, mais je dirais que sur le plan des odeurs et des bruits, l’automne est ma saison préférée. En plus, on ne souffre pas de la chaleur comme en juillet », explique André Roy.

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

Le sylviculteur connaît tous les recoins de sa propriété, qu’il a aménagée à force d’huile de coude et de temps. Le temps est d’ailleurs le grand allié de celui qui affirme avoir planté 600 000 arbres au cours de sa vie. C’est que sans les années qui s’écoulent lentement, rien ne pourrait éclore et s’épanouir.

Un sylviculteur qui n'est pas patient n'est pas à sa place.

Une citation de André Roy, sylviculteur

Cette phrase lancée par André Roy prend tout son sens dans la dernière section de sa propriété, qu’il nous fait visiter. C’est la partie dont il est visiblement le plus fier. Elle comprend une forêt victime du grand verglas de 1998 qui, grâce à de judicieuses interventions, a repris vie.

C’est devenu un très beau peuplement de feuillus, principalement d'érables à sucre avec un peu de bouleau jaune. Il y a une belle diversité d'essences. Je dirais que je suis plus que satisfait.

Laisser ses terres en héritage

Un homme dans la forêt.

« Autant que faire se peut, je souhaite que ma terre se transfère de génération en génération », souligne André Roy.

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

André Roy, qui se perçoit comme un jardinier de la forêt, a espoir que les terres qu’il a bichonnées tout au long de sa vie continueront de s’épanouir même après son passage sur terre. Avec ce but en tête, son épouse et lui ont fondé une société en noms collectifs pour faire de sa propriété une forêt générationnelle dont pourront profiter ses enfants et ses petits-enfants. Il a pratiqué la sylviculture avec un objectif d’éternité en tête. Son souhait est que sa descendance marche sur ses terres le plus longtemps possible.

C'est très différent du producteur agricole qui va semer au printemps, puis qui va récolter son maïs. Une fois la saison terminée, c'est fini. Il recommence le printemps suivant. Moi, je suis obligé de penser que dans 100 ans, il va y avoir encore du bois ici. J'espère qu'il y aura du monde pour le cultiver.

C'est d'ailleurs rempli de joie qu'il a constaté que l’un de ses petits-fils, qui vient tout juste d’obtenir son diplôme d’ingénieur forestier, partage avec lui ce grand amour de la forêt. 

Il avait 13 ou 14 ans et il se levait à 5 h 15 le matin pour venir au bois avec moi. J’ai senti rapidement qu’il allait se passer quelque chose avec lui, qu’il ne sortirait jamais de la forêt. Je n'ai pas été surpris quand il a choisi cette voie-là, mais j’ai été extrêmement content qu'il le fasse, dit-il avec fierté. L’éternité s’annonce déjà prometteuse.

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