Par Isabelle Bouchard, boursière IVADO et M.Sc.A., et Naël Shiab, journaliste de données pour CBC/Radio-Canada
Contact: isabelle.bouchard77@gmail.com et nael.shiab@radio-canada.ca
Le reportage basé sur cette analyse a été publié le 7 mars 2022. Cliquez ici pour le lire.
Le code et les données peuvent être téléchargés ici.
The English version of this analysis can be read here.
Face à la menace des changements climatiques, les experts prônent un contrôle de l’étalement urbain et la densification des villes canadiennes. Cette analyse utilise des images satellites et des données du recensement pour quantifier ce phénomène au cours des deux dernières décennies.
Nous utilisons l’imagerie satellite pour identifier les zones nouvellement urbanisées et le recensement canadien pour recueillir des informations sur leurs habitants. Nous comparons les caractéristiques de population des zones historiquement urbanisées (construites avant 2001) avec les nouveaux quartiers construits au cours des deux dernières décennies. Le transport étant un important producteur de gaz à effet de serre, nous nous concentrons principalement sur les habitudes de navettage.
Nous avons restreint cette étude aux neuf plus grandes régions métropolitaines de recensement (RMR) de Statistique Canada. Les RMR sont formées par une ou plusieurs municipalités adjacentes centrées sur un centre de population (appelé noyau). Une RMR doit avoir une population totale d’au moins 100 000 habitants, dont 50 000 ou plus doivent vivre dans le noyau.
Nous avons également utilisé la base de données des mesures de proximité de Statistique Canada pour catégoriser les quartiers (densité élevée, moyenne ou faible de services à proximité) et comparer les RMR.
Nous voulons répondre à ces questions :
Q1: Dans quelle mesure les zones urbaines se sont-elles étendues au fil des ans, par rapport à la population, dans chaque RMR? En moyenne, quel espace est occupé par un habitant d’une nouvelle zone urbanisée par rapport à une zone historique?
Q2: D’après les données du recensement, quelles sont les différences entre les résidents des nouvelles zones urbanisées et les zones historiquement urbaines concernant :
Q3: Si la densité de population et les modes de déplacement utilisés dans les zones nouvellement urbanisées étaient les mêmes que dans les zones historiques, quel espace aurait été économisé et combien de voitures n’auraient pas abouti sur les routes?
Nous distinguerons les quartiers à densité élevée, moyenne ou faible (sur la base des mesures de proximité) pour les deux dernières questions.
Notre algorithme a classé 78,3 millions de pixels pour chaque année entre 2000 et 2021 (1,7 milliard de pixels au total), couvrant 47 615 kilomètres carrés dans les 10 plus grandes RMR (Kitchener - Cambridge - Waterloo a ensuite été exclu, comme expliqué ci-dessous).
Au total, nous avons trouvé 4994 kilomètres carrés de zones historiquement urbanisées (déjà construites en 2001) et 1700 kilomètres carrés de zones nouvellement urbanisées (construites entre 2001 et 2020). C’est comme si le Canada avait bâti deux villes et demie de la taille de la municipalité de Toronto (630 km carrés) de plus en deux décennies.
En moyenne, la zone urbanisée des neuf plus grandes régions métropolitaines a augmenté de 34 %, tandis que leur population a augmenté de 26 % (15,7 millions en 2001 contre 20 millions en 2021). Cet écart a entraîné une perte de densité de 6 % (3152 personnes par km carrés en 2001 contre 2975 en 2021). En 2001, la superficie urbaine moyenne par habitant était de 317 mètres carrés, passant à 336 mètres carrés en 2021.
D’après notre analyse, 89 % des quartiers nouvellement urbanisés dans les neuf plus grandes régions métropolitaines sont des quartiers à faible densité de services. En comparaison, 73 % des quartiers historiques ont une faible densité de services.
Dans les quartiers à faible densité de services, le terrain urbain moyen par habitant est de 405 mètres carrés. C’est 1,6 fois plus que les quartiers à densité moyenne (254 m2) et 3,6 fois plus que les quartiers à haute densité (110 m2).
Huit habitants sur dix utilisent leur voiture pour se rendre au travail dans les quartiers peu denses (80 %). C’est 25 % de plus que les habitants des quartiers à densité moyenne (64 %) et 122 % de plus que les quartiers à forte densité (36 %).
Dans six des neuf régions métropolitaines, la superficie urbaine a augmenté plus rapidement que la population entre 2001 et 2020, entraînant une perte de densité. Dans les trois autres métropoles, la densité a augmenté. Ottawa - Gatineau a de loin la diminution la plus importante de la densité de population (-19 %), suivie de Winnipeg (-13 %), Hamilton (-11 %), Montréal (-10 %), Québec (-1,7 %) et Vancouver (-1,5 %). Pour ce qui est des trois autres métropoles, Edmonton affiche le gain de densité le plus important (+5 %), suivie de Calgary (+3 %) et Toronto (+2 %).
Concernant les trois plus grandes régions métropolitaines (Toronto, Montréal et Vancouver), une chose à noter : elles étaient déjà les RMR les plus denses au pays (plus de 3300 personnes au kilomètre carré).
Calgary et Edmonton ont connu la croissance démographique la plus importante (+52 % pour Calgary et +47 % pour Edmonton) et leur densité a aussi augmenté.
Les quatre régions métropolitaines les plus petites en termes de population, Ottawa - Gatineau, Québec, Winnipeg et Hamilton, ont perdu de la densité entre 2001 et 2020.
Dans toutes les villes, entre 79 % et 95 % des terrains nouvellement urbanisés sont catégorisés comme des quartiers à faible densité de services. Dans ces nouveaux quartiers, la densité de population est plus faible que dans les zones historiques à faible densité.
Les dernières données disponibles pour les habitudes de navettage proviennent du recensement de 2016. Nous l’utilisons pour comparer les résidents de six secteurs distincts : les quartiers historiques et nouveaux à faible densité de services, les quartiers historiques et nouveaux à densité moyenne de services, et les quartiers historiques et nouveaux à forte densité de services.
Toutes proportions gardées, les maisons individuelles sont plus présentes dans les quartiers à faible densité de services. Elles sont également plus présentes dans les zones nouvellement urbanisées que dans les zones historiques. À l’inverse, les appartements sont plus répandus dans les quartiers centraux et historiques.
Dans les nouvelles zones urbaines, une forte majorité de résidents est propriétaire par rapport aux zones historiques. De même, les résidents des banlieues sont plus susceptibles d’être propriétaires que ceux du centre-ville
Toutes proportions gardées, on retrouve davantage de personnes vivant seules dans les quartiers historiques. Pour les ménages de deux personnes, c’est à peu près la même proportion. Mais on retrouve plus souvent des ménages de trois personnes ou plus dans les zones nouvellement urbanisées, en particulier dans les banlieues.
Les dernières données disponibles pour répondre à cette question proviennent du recensement canadien de 2016.
La densité de population a tendance à être plus faible dans les zones nouvellement urbanisées que dans les zones historiques. Si la densité était la même que dans les quartiers historiques, la zone urbanisée ferait 308 km2 de moins. (Nous avons pris en compte le type de quartiers pour ce calcul.)
La proportion de trajets domicile-travail en voiture a tendance à être plus élevée dans les zones nouvellement urbanisées que dans les zones historiques. Si elle était la même que dans les quartiers historiques, il y aurait 129 092 voitures en moins sur les routes.
Nous avons récupéré les limites géographiques des régions métropolitaines de recensement, des subdivisions de recensement et des aires de diffusion du Recensement de 2016 avec le cancensus package. Les estimations et projections démographiques de 2001 à 2020 proviennent de Statistique Canada. Mais comme ces projections ne prennent pas en compte la pandémie de COVID-19, nous avons également utilisé les données de population du recensement de 2021, après les avoir projetées sur les limites géographiques de 2016. Pour ce faire, nous avons utilisé les fichiers de correspondances entre les aires de diffusion de 2016 et 2021. Pour calculer la population en 2021, nous avons utilisé toutes les aires de diffusion intégralement ou en partie dans les limites métropolitaines de 2016.
L’indice de proximité provient de la base de données des mesures de proximité.
L’imagerie satellite provient de Landsat 7 (échelle nominale de 30 mètres par pixel) via Google Earth Engine. Le satellite a été lancé en 1999 et est toujours actif aujourd’hui, nous permettant d’étudier l’étalement urbain sur plus de 20 ans avec la même source d’images. Nous avons créé une simple image composite allant du 1er mai au 1er novembre pour chaque année disponible afin d’obtenir des images sans nuage.
Pour classer chaque pixel comme une zone urbaine ou non urbaine, nous avons entraîné des modèles de forêts aléatoires (random forest) avec les cartes de la couverture terrestre du Canada de 2015, produites par Ressources naturelles Canada et disponibles sur le Canadian Open Data Portal. Ressources naturelles Canada a utilisé le même type d’algorithme d’apprentissage automatique pour produire ses cartes de 2015.
Après apprentissage, les modèles ont classé chaque pixel dans les zones des RMR entre 1999 et 2021. Cette
procédure a été effectuée dans Google Earth Engine et les résultats ont été exportés sous forme de fichiers
.tif. Les utilisateurs de Google Earth Engine peuvent trouver le code ici. Nous
avons également ajouté le code dans le répertoire accessible à tous en téléchargement (lien au début de
cette analyse). Nous avons converti les fichiers .tif en blocs de données dans le script nommé
data_preparation.R
.
Une fois chaque pixel classé, nous avons effectué un joint spatial entre les pixels et les aires de diffusion du recensement pour déduire des informations sur les résidents à partir du recensement de 2016.
Dans data_prepartion.R
, nous appliquons plusieurs méthodes de réduction du bruit (décrites
dans la section suivante). Nous avons appliqué ces algorithmes pour produire des résultats conservateurs.
Dans le pire des cas, nous pouvons sous-estimer les zones urbaines, mais nous avons fait de notre mieux pour
ne pas les surestimer.
Selon Ressources naturelles Canada, les cartes de la couverture terrestre du Canada de 2015 sont d’une précision de 79,9 % pour les 18 classes qu’elles couvrent. Pour entraîner nos algorithmes, nous avons utilisé une seule classe : la zone urbaine.
Nous avons exploré deux stratégies d’entraînement : un ou plusieurs modèles. Dans la première stratégie, nous avons formé un modèle sur les données et les images de la couverture terrestre du Canada en 2015. Dans la seconde, nous nous sommes concentrés sur les centres-villes et les périphéries pour former un modèle par ville et par an. La précision de validation est de 90,0 % pour la première méthode (one_model) et de 96,1 % pour la seconde méthode (multiple_models). Nous avons décidé d’utiliser la deuxième approche, avec plusieurs modèles.
Nous avons exclu Kitchener - Cambridge - Waterloo en raison d’une précision insatisfaisante. La configuration géographique de cette RMR est différente des autres en raison de la fusion de trois petits noyaux urbains. C’est la dixième région métropolitaine en termes de population, nous avons donc restreint l’analyse aux neuf plus grandes métropoles.