Les chercheurs d’ici qui s’intéressent à l’avenir de l’industrie acéricole ont les yeux tournés vers les États-Unis, où la production de sirop d’érable risque de subir avant le Canada les conséquences du réchauffement climatique attendu d’ici la fin du siècle.
« Ceux qui devraient être les plus inquiets, ce sont les Américains », affirme Sergio Rossi, qui étudie les réponses des écosystèmes forestiers aux changements climatiques.
La niche climatique de l’érable, soit la région où l’espèce croît dans les meilleures conditions, se déplacerait tranquillement mais sûrement vers le nord. D’ici 2100, les États-Unis en sortiraient presque complètement, selon les scénarios les plus pessimistes.
Déplacement de la niche climatique de l'érable aux États-Unis
Comme pour le Canada, des scénarios plus modérés sont moins catastrophiques pour l’industrie. Reste que le réchauffement climatique ne s’arrêtera pas pour autant avec le début du siècle prochain et que l’avenir dépend des gestes qui seront posés pour le ralentir.
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Notre sirop d’érable en péril
Chose certaine, quand l’industrie acéricole en subira les conséquences, les États-Unis seront touchés avant le Canada, rappellent les experts. « Nous, on a la chance de pouvoir voir ce qui se passe chez nos voisins du sud et d’éventuellement s'adapter », confirme Sergio Rossi.
Deuxième joueur mondial
Environ le quart de la production mondiale de sirop d’érable se fait aux États-Unis. Le reste se fait chez nous, principalement au Québec et ailleurs dans l’Est canadien.
La production américaine se concentre d’ailleurs dans les États limitrophes du Canada, comme le Vermont, l'État de New York et le Maine.
Répartition de la production acéricole mondiale
L’année 2022 a été une année de production record pour les États-Unis, avec plus de 5 millions de gallons de sirop d’érable. Le Vermont a contribué à 50,7 % de la production.
Source : USDA et Statistique Canada
Avec la demande mondiale pour le sirop d’érable qui dépasse l’offre, les États-Unis ont tout intérêt à maximiser leur production et à s’imposer davantage sur le marché.
Un potentiel d’entailles supplémentaires a même déjà été repéré dans les principaux États producteurs américains, mais aussi dans des États plus au sud. Sauf que l’industrie acéricole y ressent déjà les effets du réchauffement climatique.
Les plans d'expansion pourraient donc être limités, à court comme à long terme.
« Au Vermont, au Connecticut ou en Ohio, ça vaut encore la peine de faire du sirop, énumère l’Américain Tim Rademacher, chercheur postdoctoral à l’Université du Québec en Outaouais. Mais plus loin que ça, ce n’est plus économiquement possible. »
Pas de sirop sans hiver
Si la totalité de la production acéricole repose sur l’Amérique du Nord, c’est en raison de sa météo bien particulière, avec ses cycles de gel et de dégel au printemps.
« On a besoin d’un hiver, idéalement assez froid. Et on a besoin d’une période de gel et de dégel assez longue », explique Tim Rademacher. Ces conditions spécifiques permettent la coulée, le phénomène naturel par lequel on peut récolter l’eau d’érable.
C’est ce qui explique pourquoi, malgré la présence d’érables un peu partout dans le monde, l’acériculture est unique au territoire américain. Et aussi pourquoi le Canada a pris le dessus sur les États-Unis au fil des ans.
Évolution de l’industrie acéricole
Avant 1920, les États-Unis dominaient la production de sirop d’érable. La tendance s'est inversée dans les trente dernières années, où l’industrie acéricole canadienne a pris son envol.
Source : USDA et Statistique Canada
« Au Québec, en raison des hivers plus froids, les taux de sucre sont un peu plus élevés dans la sève que dans les États américains qui produisent aussi du sirop », dit Tim Rademacher.
« Et c’est la raison pour laquelle il se fait moins de sirop dans le sud des États-Unis. Comme les hivers sont moins froids, il y a moins d’écart de température, entre le gel et le dégel, et ça devient moins rentable parce qu’il y a de moins en moins de sucre dans la sève. »
Plus la sève est sucrée, moins il faut en récolter et en bouillir pour produire du sirop d’érable.
Or, les changements climatiques viennent non seulement avec un déplacement de la niche climatique qui pourrait nuire à la croissance des érables, mais aussi avec un réchauffement des températures journalières qui risque d’interférer avec la rigueur de l’hiver et surtout avec les cycles de gel et de dégel.
« C’est la raison pour laquelle ça ne vaut plus la peine économiquement d’entailler les érables dans le sud », estime Tim Rademacher.
« Le sud des États-Unis, d’une certaine manière, est une analogie pour le futur chez nous. »
— Tim Rademacher, Université du Québec en Outaouais
Et au Canada?
Le Canada aussi ressent déjà les effets du réchauffement climatique, avec un déplacement de la saison des sucres, qui commence et se termine plus tôt qu’avant.
Mais l’industrie acéricole pourrait, dans un premier temps, profiter de températures un peu plus chaudes au printemps, selon les experts.
« Le fait que ça se réchauffe un peu, ça ne serait pas nécessairement mauvais pour la coulée, observe Sylvain Delagrange, professeur spécialisé en écophysiologie végétale à l’Université du Québec en Outaouais. Ce serait peut-être même stimulant, parce qu’on aurait des périodes potentielles de coulées pouvant être plus longues. »
Mais un réchauffement trop prononcé aurait aussi l’effet inverse.
Qui plus est, les changements climatiques viennent avec des conditions de croissance modifiées pour les érables, de même que des événements météorologiques extrêmes, comme des grandes chaleurs, des précipitations abondantes ou des sécheresses qui peuvent affecter les érables.
« Il y a des points où on se dit que ça peut être positif et d’autres, plus négatif. Mais quand tout vient se mélanger, ça devient assez complexe. »
— Sylvain Delagrange, Université du Québec en Outaouais
Pour le moment, les chercheurs n’ont que des hypothèses sur les conséquences à venir des aléas de la météo sur l’industrie acéricole.
Dans ce contexte, « la chose la plus facile, c’est d’éviter que le réchauffement continue, d'éliminer les causes plutôt que de travailler sur les effets », estime Sergio Rossi.
C’est pourquoi les chercheurs ont autant à l'œil la situation américaine.
En quête de meilleures données
Les chercheurs déplorent aussi la rareté des données, historiques et uniformes, pour bien comprendre comment l’érable répond au réchauffement climatique.
« Le problème, c’est qu’il faudrait des données standardisées à long terme, explique Tim Rademacher. Mais, en ce moment, on n’a pas un seul site au Québec où on mesure chaque jour ce qu’il se passe. C'est vraiment ça qu’il manque, une certaine consistance. »
« Il y a beaucoup de données, mais prélevées de façons différentes, ce qui les rend difficiles à comparer », poursuit-il.
Tim Rademacher a d’ailleurs lui-même commencé, avec des collègues, à récolter ce genre de données. « Même si c’est tard, il faut commencer quelque part », convient-il.
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Méthodologie
Daniel Blanchette Pelletier journaliste de données, Isabelle Bouchard analyste de données, Melanie Julien cheffe de pupitre, Francis Lamontagne designer, Charlie Debons illustratrice, André Guimaraes et Mathieu St-Laurent développeurs, Danielle Jazzar réviseure linguistique et Martine Roy coordonnatrice