Le suremballage amplifié par la réduflation

Par

Déjà une mauvaise nouvelle pour les consommateurs, la réduflation vient en plus avec un lourd coût environnemental. Emballages surdimensionnés, fonds bombés, espace perdu… cartons et plastiques en surplus servent même parfois à camoufler les réductions.

Les aliments et leur emballage vont difficilement l’un sans l’autre.

« Sa fonction première est de regrouper, distribuer, protéger et livrer au consommateur le produit dans sa qualité optimale », décrit Sylvain Allard, directeur du programme de design graphique à l’Université du Québec à Montréal.

Comme consommateur, mais aussi comme expert de l'emballage, il remarque les tactiques employées par l’industrie agroalimentaire pour réduire les formats des produits en vente dans nos rayons d’épicerie.

« Ce sont de petits stratagèmes, où on voit tout le génie d'illusionnisme pour passer des réductions et des augmentations de coût aux consommateurs », déplore-t-il.

En matière de réduflation, trois options s’offrent habituellement aux manufacturiers :

  • conserver le même emballage, mais réduire son contenu
  • ajuster légèrement l'emballage au moment de la réduction
  • changer complètement l’emballage et donner l’illusion d’un nouveau produit

Trois possibilités qui n’ont pas le même impact, rappelle Sylvain Allard.

« Le choix le plus simple est de garder l’emballage tel quel, poursuit l’expert en écoconception des emballages. Tout ce qu’il y a à changer, c’est la quantité sur l’étiquette et quelques informations dans le tableau nutritionnel. »

Résultat : les emballages deviennent alors trop gros pour leur contenu.

Cette stratégie risque en plus de générer un effet de surprise chez le consommateur, qui se retrouve devant le même contenant, mais remarque qu’il y en a moins à l’intérieur. « Il y a un vide technique (dans le jargon du design) et l'emballage devient surdimensionné », déplore l’expert.

« Ce n’est pas viable à long terme. Au niveau écologique, ça pose un problème. Ça devient du suremballage, parce qu’on a trop d'emballage pour la fonction demandée. »

— Sylvain Allard, Université du Québec à Montréal

À lire aussi

La face cachée de la réduflation

La face cachée de la réduflation

Changer, pour le meilleur ou pour le pire

La modification d’un emballage ne rime pas systématiquement avec réduflation.

Des entreprises peuvent le faire pour améliorer la durée de conservation de leur produit, mieux le protéger lors du transport ou encore simplifier la vie du consommateur. On travaille parfois la silhouette des bouteilles, par exemple, pour des raisons ergonomiques.

« Ces emballages vont être plus faciles à manipuler, décrit Maryse Côté-Hamel, spécialiste des sciences de la consommation. Les bouteilles vont être plus effilées, avec une courbe où il est plus facile de mettre la main. »

« Est-ce qu’on le fait vraiment pour le consommateur? Ou pour enlever un peu de liquide? C’est une question qu’on peut se poser. »

— Maryse Côté-Hamel, Université Laval

Surtout que le biais d’élongation fait en sorte qu’une bouteille plus effilée est perçue par le consommateur comme contenant davantage de liquide, poursuit l’experte.

« On peut difficilement présumer des mauvaises intentions des entreprises, reprend Sylvain Allard. Mais c’est certain que la tentation peut être grande de réduire de quelques millilitres ou grammes lorsqu’on change un emballage. »

Il déplore sinon les espaces perdus qu’on trouve dans un grand nombre d’emballages, que ce soit des renflements sous les bouteilles et les pots ou dans certaines boîtes de biscuits.

Des biscuits de marque Célébration.Cet emballage de biscuits laisse croire que la boîte est bien remplie, alors que l’espace du milieu contient un biscuit de moins que les autres.
Deux sacs de croustilles de marque Ruffles, un fermé, l’autre ouvert et sans air.Voici le volume occupé par les croustilles lorsque le sac qui les contient est vidé de son air.
Du jus d’orange Tropicana et du Gatorade, dans leurs formats d’avant et de maintenant.Ces deux boissons ont eu droit à un changement améliorant l’ergonomie de leur bouteille.
Un paquet de barres chocolatées ouvert et l’autre fermé.Cet emballage de neuf mini-barres Coffee Crisp pourrait pourtant en contenir dix.
Deux pots de marque Classico, dans leurs formats d’avant et d’après.La réduflation de ce pot de sauce l’a rendu plus haut, mais surtout plus étroit.

Dans d’autres cas de réduflation, les bouteilles deviennent plus hautes, mais moins larges, et les boîtes conservent la même surface, mais perdent en épaisseur.

Ce jeu d’illusion est souvent préféré à la modification complète de l’emballage et de son design. « Il ne faut jamais sous-estimer les coûts liés à un changement d'emballage : changer la forme, changer les moules, voire créer un nouveau moule », rappelle l’expert.

« Changer l’emballage au complet, c’est un gros investissement. Il doit donc y avoir beaucoup d'emballages qui sont trop gros pour ce qu’ils contiennent. Ça, c’est certain. »

— Sylvain Allard, Université du Québec à Montréal

Que dit la loi?

Au Canada, les manufacturiers n’ont, en théorie, pas le droit de commercialiser leurs produits dans des contenants plus gros que nécessaire.

La Loi sur les aliments et drogues et celle sur la salubrité des aliments stipulent notamment qu’il est interdit de vendre un produit emballé de manière « fausse, trompeuse ou mensongère ou susceptible de créer une fausse impression quant à [...] sa quantité ».

On exclut toutefois les produits emballés selon « une méthode de production reconnue et acceptée », comme les sacs de croustilles remplis d’air afin de les protéger. « Mais combien on en a besoin? Et combien on en met? Ça, c’est l’autre question », s’interroge Sylvain Allard.

Il serait par contre trompeur « de ne mettre que 200 ml d'une boisson dans un contenant ayant une capacité de 250 ml », précise par courriel l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

« Cette pratique serait toutefois acceptable si le produit requiert à juste titre un espace supplémentaire dans le contenant, poursuit l’agence fédérale. Dans un tel cas, un énoncé expliquant à quoi sert l’espace supplémentaire doit figurer sur l’étiquette », comme lorsqu’un espace vide est nécessaire pour bien mélanger le produit en l’agitant.

« On ouvre une boîte de céréales, et c’est à moitié vide, reprend Sylvain Allard. Et dans ce cas-ci, l’air ne sert pas à protéger le produit, contrairement au sac de chips », ni à mélanger. Il ignore quand les vides techniques sont considérés comme légaux ou non.

L’Agence canadienne d’inspection des aliments n’a pas été en mesure de nous fournir des exemples, disant employer une « approche au cas par cas » et évaluer l’« impression globale » d’un produit pour déterminer s’il est emballé dans un contenant trompeur ou non.

« C’est au fabricant qu’incombe la responsabilité d’emballer un aliment d’une manière qui n’est ni fausse, ni trompeuse, ni mensongère, ni susceptible de créer une impression erronée quant à la quantité de produit contenue dans l’emballage. »

— Agence canadienne d’inspection des aliments

En résumé, la loi canadienne ne dispose pas de règlement clair interdisant la réduflation.

Quant à la Loi et au Règlement sur les produits alimentaires, au Québec, aucune disposition spécifique n’encadre le remplissage d’air ou les contenants trompeurs, au-delà de la concordance requise entre le poids d’un produit et le chiffre inscrit sur son emballage.

Aidez-nous à mesurer l’ampleur du phénomène

Nous avons entrepris ce printemps une recension du plus grand nombre possible de produits qui ont rapetissé au cours des dernières années. Avec votre collaboration, nous avons retracé à la fois des produits dont l’emballage est resté similaire et d’autres où il a été légèrement ajusté ou s’est complètement métamorphosé.

Vous pourrez le constater en appuyant sur le bouton « Voir le changement » des cartes de notre base de données. Continuez sinon à l’alimenter en remplissant le formulaire ci-dessous.

Les entreprises ont différentes raisons d’avoir recours à la réduflation, et celles-ci vont parfois bien au-delà de la question des coûts de production.

General Mills a par exemple déjà affirmé que les réductions de format lui permettaient de remplir plus efficacement ses camions, d’en limiter le nombre sur les routes et de réduire ainsi sa consommation d’essence, contribuant à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre. D’autres entreprises ont sinon déjà évoqué une intention de réduire le gaspillage alimentaire, une autre justification environnementale.

Un effort pour l’environnement

Autant la réduflation que l’emballage posent des enjeux environnementaux.

« Il y a des emballages qui réduisent tellement de grosseur qu'on se demande s’il va éventuellement rester un produit à l’intérieur », se désole Sylvain Allard.

« Ça pose des questions sur les quantités de matière utilisée, parce qu'on sait que ça prend moins de matière, emballer un gros format que plusieurs petits formats », poursuit-il.

« Tout ça met en relation la quantité de matière qu’on utilise. »

— Sylvain Allard, Université du Québec à Montréal

Aucune disposition de la loi n’encadre cependant la taille des emballages par rapport à leur contenu ni l’emballage excessif.

« Il n'y a pas de limite ni aucune restriction par rapport à l’emballage et le suremballage. Pourtant, ce genre de réglementation aiderait à résoudre notre problème de pollution », soutient Daniel Dylan, professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université Lakehead et coauteur d’une étude sur l’emballage et sa proportion par rapport au produit qu’il contient.

« Certains matériaux ne sont pas recyclés et d’autres ne peuvent même pas l’être, poursuit-il. Non seulement vous avez des emballages nécessaires qui se retrouvent à la décharge, mais en plus des emballages inutiles » qui s’ajoutent à la montagne de déchets.

Le professeur de droit voudrait qu’une réglementation restreignant les emballages au minimum par rapport au produit qu’ils contiennent s’ajoute à celles déjà en vigueur sur les matières à utiliser et la façon de les éliminer.

Au Québec, par exemple, le Règlement sur les aliments « ne définit pas la dimension ou la capacité des contenants par rapport au volume de produits qu’ils renferment », confirme le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation dans une déclaration.

Six produits de plastique à usage unique – pailles, ustensiles et certains contenants en polystyrène notamment – sont interdits au Canada depuis l’an dernier, mais Daniel Dylan estime que la réglementation pourrait aller encore plus loin.

« Ça pourrait aider, soutient-il, mais notre problème de pollution n'est pas dû qu’aux pailles et aux fourchettes. C'est juste un petit contributeur à l’ensemble de nos déchets plastiques. »

« La meilleure approche reste, selon moi, de faire en sorte qu’un produit doive être emballé dans le moins d'emballage possible. »

— Daniel Dylan, Université Lakehead

D’un point de vue strictement écologique, Sylvain Allard estime quant à lui qu’il y a trop de formats et trop de matières sur le marché présentement.

Le lait, par exemple, se vend en sac, comme en contenant de carton plastifié ou de plastique de polyéthylène haute densité. Ou encore en cruche de verre. Chacun vient avec plusieurs volumes et des façons différentes d’être éliminé.

Un montage de plusieurs contenants de lait de différents formats.

Le lait se vend dans plusieurs formats et contenants, tous ayant une façon différente d’être éliminés une fois vidés de leur contenu.

Au Québec, le Règlement sur les aliments ne restreint pas les matériaux qui peuvent être utilisés pour l'emballage. Ceux-ci doivent simplement être propres et sécuritaires.

« Ce serait souhaitable, sur le plan écologique, de viser une certaine normalisation, insiste Sylvain Allard, aussi coréalisateur du documentaire Tout déballer. Ça permettrait de faire des productions plus standards, de concevoir des contenants avec de bonnes matières, qu’on peut réutiliser ou recycler facilement. »

C’est ce qui risque d’arriver naturellement, estime Sylvie Cloutier du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ).

La majorité des entreprises sont en train de revoir leurs emballages pour réduire la quantité de matière utilisée et simplifier la gestion de leur fin de vie utile. Une autre façon de réduire leurs coûts de production, parfois au profit de l’environnement.

« Il y a une grande transformation qui se fait au sein de l’industrie », confie-t-elle, les entreprises cherchant par tous les moyens à rentabiliser leurs activités.

« Il faut que les compagnies continuent à investir dans l'innovation, poursuit celle qui représente les joueurs de l’industrie québécoise. La productivité – automatisation, robotisation, digitalisation – fait partie des stratégies qui vont aider certaines entreprises à se réinventer, sans toucher au produit, mais plutôt à l’ensemble de l’organisation. »

« Sans innovation en agroalimentaire, c’est une question de temps avant de ne plus se retrouver sur les tablettes. »

— Sylvie Cloutier, Conseil de la transformation alimentaire du Québec

Sylvie Cloutier se désole d’ailleurs de voir que plusieurs entreprises ne survivront pas aux hausses de coûts et aux changements qui secouent présentement l’industrie.

Partagez le projet

Daniel Blanchette Pelletier journaliste, Melanie Julien cheffe de pupitre, Anis Belabbas et Francis Lamontagne designers, Josselin Pfeuffer illustrateur, André Guimaraes et Mathieu St-Laurent développeurs et Danielle Jazzar réviseure linguistique