Facilement bernés par la réduflation, les consommateurs doivent en plus tenter de repérer ces produits qui ont rétréci à travers l’abondance de l’offre et la multiplication des différents formats qui aboutissent sur les tablettes des épiceries.
« Il y a eu une multiplication de l’offre et des formats au cours des 10 à 15 dernières années », remarque Maryse Côté-Hamel, professeure spécialisée en sciences de la consommation.
Des boîtes de biscuits ou de céréales de même taille peuvent avoir un poids différent. Des bouteilles de jus peuvent sembler identiques, mais contenir de 1,5 l à 2 l chacune.
L'abondance de produits sur les tablettes des épiceries, en soi une bonne nouvelle pour les consommateurs, peut toutefois se transformer en cadeau empoisonné, car cela devient plus difficile de s’y retrouver. Les formats varient non seulement d’une marque à l’autre, d’un produit à l’autre, mais aussi pour un même produit.
« Dans les céréales, les flocons d’avoine ou les anneaux, comparativement au granola, n’occupent pas le même espace. Même si l’un est plus lourd que l’autre, il ne va pas nécessairement demander plus d’espace », illustre la nutritionniste Stéphanie Côté.
« Une tonne de plumes et une tonne de roches, ça n’occupe pas le même espace. C’est un peu la même chose avec les ingrédients. Le poids ne va pas toujours avec le format. »
— Stéphanie Côté, nutritionniste
C’est aussi une question d’équilibre des coûts pour les entreprises, poursuit l’auteure et conférencière.
« Quand les biscuits et les céréales ont des noix, du chocolat et des fruits séchés, ce sont des ingrédients qui ont tous un prix coûtant différent, dit-elle. Le fabricant ne va pas adapter le prix de son produit, qu’il veut habituellement standard, mais va plutôt jouer avec la quantité pour se retrouver avec la même marge de profit par boîte. »
« C’est une différence de poids qu’on observe plutôt que de prix » au sein des variétés d’un produit d’une même marque, résume Stéphanie Côté.
Sylvain Allard, un expert en écoconception des emballages, remarque aussi le jeu de « volumétrie » auquel s'adonnent de plus en plus d’entreprises.
« L’épaisseur d'une boîte de céréales va déterminer son volume, sans que ça se voie sur la tablette, détaille le directeur du programme de design graphique à l’Université du Québec à Montréal. À façade égale, si une boîte est plus épaisse que l’autre, elle aura plus de volume que l’autre, sans que ça paraisse aux yeux du consommateur. »
En avoir pour son argent
Les produits similaires, mais de marques concurrentes, ont aussi, en règle générale, des prix différents. « Ça devient tout un exercice mathématique d’acheter celui qui est le plus économique, celui qui m’en donne le plus pour mon argent », poursuit Sylvain Allard.
Cette multiplication des formats d’emballage rend d’autant plus difficile la détection de la réduflation sur les tablettes des épiceries, alors que la pratique commerciale n’est ni surveillée ni encadrée.
Aucun registre ne suit ces changements et rien n’oblige les entreprises à communiquer l’information aux consommateurs. Leur seul outil demeure la comparaison des prix entre les produits avec l’affichage du prix par unité de mesure (au Québec seulement).
« Ça demande une vigilance incroyable pour pouvoir suivre tout ça. »
— Sylvain Allard, Université du Québec à Montréal
À lire aussi

La face cachée de la réduflation
« Il y a quand même quelque chose de questionnable quand les changements ne sont ni notés ni mentionnés [sur les produits], parce que c'est impossible pour le consommateur de suivre la piste des volumes et des quantités », soutient-il.
À lire aussi

La face cachée de la réduflation
Aidez-nous à mesurer l’ampleur du phénomène
Au printemps, nous avons amorcé une recension de produits qui ont rétréci au fil des ans. Grâce à votre participation, nous avons pu bonifier notre base de données. Continuez à nous alimenter en remplissant le formulaire ci-dessous.
Les manufacturiers qui ont recours à la réduflation ont différentes raisons de se justifier. Parmi ceux qui nous ont répondu, certains ont dit le faire justement pour uniformiser leur offre ou encore pour s’ajuster à leurs concurrents ou répondre aux besoins des consommateurs.
General Mills dit s’être « efforcé de créer une cohérence et une standardisation de son portfolio de produits », ajustant ainsi le format de la majorité de sa gamme de céréales, des Cheerios aux Lucky Charms. Ben & Jerry’s a réduit son contenant de crème glacée à 473 ml pour s’aligner à son format vendu aux États-Unis et ailleurs dans le monde, quitte à ce que ce changement impose des taxes sur son produit aux consommateurs canadiens.
Quant à Olymel, duBreton et Cascades, leurs analyses du marché les ont poussés à réduire le format de leurs produits, car ils étaient plus gros que la majorité de leurs compétiteurs.
« J’ai tendance à penser que ça aiderait d'avoir certaines tailles standards, ne serait-ce que pour qu’on puisse comparer un produit aux autres », estime Sylvain Allard.
Un point de vue que partage Sylvie De Bellefeuille, d’Option consommateurs.
« Les pots de sauce tomate, on les retrouve dans différents formats, illustre-t-elle. Il n’y a pas un pot qui a tout à fait la même taille. Ça peut parfois être difficile de s’y retrouver. »
L’organisme québécois de protection des consommateurs avait d’ailleurs illustré, dans un rapport publié il y a 10 ans, la confusion générée par la multiplication des formats vendus à l’épicerie. « Ça pourrait aider de normaliser certains produits, renchérit-elle. Peut-être au moins pour les produits de base. »
Et si on normalisait les emballages?
Peu de normes réglementent les formats d’emballages au Canada.
« Chacun fait ce qu’il veut, explique Sylvain Allard. C’est un marché libre, pratiquement déréglementé. La volonté des marques est de se distinguer pour vendre leurs produits. »
Certaines tailles de contenants normalisées figurent toutefois dans un document incorporé au Règlement sur la salubrité des aliments. C’est le cas d’aliments de consommation préemballés, comme le vin, le miel, le bacon et le beurre d’arachides, notamment. Des fruits et légumes se retrouvent également dans la liste du gouvernement fédéral.
« Lorsqu’un produit doit être offert dans un contenant dont la taille est normalisée, la quantité nette indiquée sur l’étiquette doit correspondre à l’une des tailles décrites dans le document », confirme l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) par courriel.
Tailles de contenants normalisées au Canada
Pour chacun des aliments, toutefois, la liste du gouvernement fédéral prévoit de 4 à 14 tailles « normalisées » et inclut même parfois des catégories plus larges, comme « 100 g ou moins » ou encore « toutes les tailles à partir de 1 kg ».
Des produits qui figuraient au document ont également été supprimés, en juillet 2022, comme pour certains fruits et légumes, frais ou congelés, et leurs jus, de même que les confitures et les soupes aux légumes prêtes-à-servir, par exemple.
En 2015, le gouvernement fédéral avait, dans un premier temps, aboli les exigences imposées par le passé aux produits laitiers, de l’érable et du poisson. La décision avait été prise « afin de simplifier les services, de réaliser des économies et de supprimer les obstacles à l’innovation ».
Quant au Québec, le Règlement sur les aliments stipule seulement que tout « produit alimentaire préemballé peut être vendu dans un contenant ou emballage, quelle que soit sa capacité, à condition de porter l’inscription du poids net ou de la quantité exacte du produit », précise le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation par courriel.
À une exception près, soit les produits laitiers préemballés. Contrairement à la réglementation fédérale, la loi du Québec prévoit des « emballages normalisés » pour le beurre, la crème et le lait.
Aller plus loin
En somme, très peu de produits alimentaires sont donc visés par les règles sur la normalisation des emballages, et la multiplication des tailles permises aux yeux de la loi n’aide pas davantage les consommateurs à s’y retrouver.
« Je suis de ceux qui pensent que plus de normes devraient être établies », reprend Sylvain Allard. Il cite par exemple les boîtes de conserve, parmi les plus vieux emballages, mais qui ont l’avantage d’être assez similaires d’une marque et d’un produit à l’autre.
Le même principe pourrait s’appliquer, selon lui, à davantage de produits. « Pas pour faire en sorte que tous les produits deviennent identiques, mais pour avoir plus de rigueur par catégories de produits », explique-t-il.
C’est le cas, notamment, de l’industrie du vin et de la bière, où les bouteilles et les canettes se distinguent par leur forme, mais surtout par leur étiquette.
« Il y aurait moins de diversité, plus de simplicité. Et c’est au niveau du design graphique qu’on ferait la différence entre les produits. »
— Sylvain Allard, Université du Québec à Montréal
D’ailleurs, ni la loi canadienne ni la loi québécoise n’encadrent la forme donnée aux contenants. Les matières à utiliser ne sont pas plus réglementées.
Normaliser davantage la taille des emballages pourrait même permettre aux consommateurs de remarquer plus facilement les cas de réduflation. Mais cette proposition ne fait toutefois pas l’unanimité.
« Moi, je suis contre ça, déclare Sylvain Charlebois, directeur scientifique du Laboratoire de recherche en sciences analytiques agroalimentaires de l’Université Dalhousie.
« Standardiser va à contre-courant de ce qu’on devrait faire. La démocratisation alimentaire ne passe pas par la standardisation, à mon avis. »
— Sylvain Charlebois, Université Dalhousie
« Depuis 25 ans, on encourage le choix pour le consommateur, poursuit l’expert. Je trouve ça merveilleux d'offrir plus de choix. Laissons les consommateurs faire leurs choix. Et c’est la même chose avec les quantités. Il y a des gens qui vivent seuls et qui ont différents besoins. »
Une opinion que partage Sylvie Cloutier, du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ). Selon elle, la multiplication des plus petits formats sur le marché est bénéfique pour le consommateur.
« C’est une stratégie qui offre un produit à un consommateur qui n’a pas les moyens de suivre l’augmentation du prix des produits à format régulier », insiste la PDG.
Sylvie Cloutier rappelle sinon que l’entrée en vigueur de toute nouvelle réglementation s’exprime en coûts. « Il faut toujours regarder si ce sont des investissements majeurs pour les entreprises de changer les formats ou les tailles de leurs produits. »
Ces changements doivent être réfléchis, insiste-t-elle, pour ne pas fragiliser l'industrie.
Partagez le projet
Méthodologie
Daniel Blanchette Pelletier journaliste, Melanie Julien cheffe de pupitre, Anis Belabbas et Francis Lamontagne designers, Josselin Pfeuffer illustrateur, André Guimaraes et Mathieu St-Laurent développeurs et Danielle Jazzar réviseure linguistique