Préparation des aires…

COP 15

Comment le Canada protège-t-il son territoire et sa biodiversité?

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Le Canada promet de protéger 30 % de son territoire d'ici 2030, mais il n’a pourtant pas réussi à atteindre les objectifs d’Aichi, adoptés par la communauté internationale lors de la COP10 en 2010. Le pays peut-il vraiment atteindre cette nouvelle cible? Explications.

À la suite de l’entente adoptée lors de la COP10, le premier ministre canadien Stephen Harper avait promis en 2014 que le Canada conserverait 17 % des aires terrestres (terres et eaux douces) et 10,5 % des aires marines d’ici 2020.

Depuis, le Canada a augmenté son taux de protection de 10,2 % à 13,5 % pour les aires terrestres et de 1,2 % à 13,9 % pour les aires marines.

Malgré cette hausse, ni le Canada ni la communauté internationale n’ont atteint les objectifs d’Aichi.

Jusqu’au 19 décembre, des représentants de quelque 200 pays sont rassemblés à Montréal pour discuter de nouvelles cibles pour préserver la biodiversité.

Selon Sandra Schwartz, directrice générale nationale de la SNAP Canada, ce sommet de l'ONU sur la biodiversité est tout aussi important que l’Accord de Paris. Elle se désole de voir que la perte de biodiversité n’est pas autant à l’avant-plan que la lutte contre les changements climatiques.

Elle rappelle qu’au Canada, le nombre d’espèces en péril est passé de 17 en 1978 à 841 en 2021. « Nous observons une perte de la biodiversité sans précédent. Les données montrent que la faune a diminué de 70 % depuis 50 ans. Si nous voulons protéger le plus d’espèces avant qu'elles disparaissent, les aires protégées jouent un rôle important. »

La pression est d’ailleurs forte pour que le Canada soit un leader en matière de biodiversité, ajoute Aerin Jacob, de l’organisme Conservation de la nature Canada.

« Le Canada a une énorme responsabilité. Nous sommes le deuxième pays du monde pour la superficie; nous possédons un cinquième de l’eau douce sur la planète; nous avons d’énormes forêts. »

— Aerin Jacob, Conservation de la nature Canada

Et comme c’est le cas pour les changements climatiques, le public ne veut pas que des promesses illusoires, dit Alice de Swarte, de la SNAP Québec.

« Le Canada joue vraiment le jeu d'être ambitieux dans ce qu'il propose. Le problème, c'est qu'il ne le met pas vraiment en œuvre. »

Elle déplore aussi le fait qu’il y a eu très peu d’introspection à la veille de la COP15. « Le Canada s'est tout de suite engagé en faveur de nouvelles cibles, sans vraiment prendre le temps de se demander ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. »

Une protection à géométrie variable

Il existe près de 12 000 aires protégées au pays, certaines couvrent moins d’un kilomètre carré; d’autres s’étendent sur plusieurs centaines de kilomètres carrés. La proportion de la superficie terrestre conservée varie selon la province et le territoire. Et plusieurs provinces ont encore beaucoup de travail à faire.

C.-B.19,5 %146 284 km2Yn19,1 %92 227 km2Qc17 %253 160 km2T.N.-O.15,7 %173 140 km2Alb.15 %101 596 km2N.É.12,9 %7078 km2Man.11 %71 331 km2Ont.10,8 %115 258 km2Nt10,5 %211 373 km2Sask.10.1 %50 938 km2T.-N.-L.6,9 %28 141 km2N.-B.4,9 %3565 km2Î.-P.-É.4,4 %228 km2

Le Québec, la Colombie-Britannique et le Yukon sont les seules provinces qui ont atteint les objectifs d’Aichi en protégeant 17 % de leurs aires terrestres.

Les Territoires du Nord-Ouest n’ont pas atteint cette cible, mais ont ajouté près de 7 % de terres protégées depuis 2011.

Terre-Neuve-et-Labrador, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard n’ont pas atteint 10 %. La Saskatchewan l’a à peine atteint. Depuis 2011, leurs progrès sont négligeables.

Au total, le Canada a conservé 1,34 million de km2 d’aires terrestres, soit deux fois la superficie de l’Alberta. De plus, près de 800 000 km2 d’aires marines sont protégées, soit quatre fois la superficie des Grands Lacs. La superficie totale d’aires marines et d’aires terrestres varie considérablement selon la province.

Le Nunavut détient le tiers des superficies protégées au Canada, avec près de 700 000 km2. La majorité des aires de cette province sont marines et se situent dans l’océan Arctique et dans la baie de Baffin.

Suivent ensuite la Colombie-Britannique, le Québec et les Territoires du Nord-Ouest, qui comptent chacun plus de 200 000 km2 d’aires protégées; la majorité étant des aires terrestres.

Le Nord davantage protégé

Selon Ciara Raudsepp-Hearne, de la Wildlife Conservation Society Canada, les mentalités entourant la conservation ont évolué au fil du temps.

« Auparavant, lorsqu’on protégeait des territoires, on prenait souvent des terres dont personne ne voulait ou qui n’étaient pas importantes pour les industries. Le Canada semblait tellement vaste qu’on se disait qu’on pouvait faire ce que l’on voulait sans conséquences. »

C’est d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent pourquoi le nord du pays contient autant de vastes aires protégées.

Parmi les 100 plus grandes aires protégées, environ 90 se situent au nord et dans les endroits où il y a moins d’urbanisation, d’agriculture et de développement des ressources.

Leurs superficies totalisent plus de 1,5 million de km2, ce qui représente plus de 70 % des aires protégées au pays.

C’est au Nunavut que l’on retrouve les deux plus grandes zones conservées au pays, soit la zone de protection marine de Tuvaijuittuq et l’aire marine nationale de conservation Tallurutiup Imanga. L’ajout de ces deux aires (425 000 km2) a permis de dépasser l’objectif national de conservation marine de 10 %.

Tuvaijuittuq est la première zone de protection marine à être désignée par arrêté ministériel en vertu de la Loi sur les océans. Avec le réchauffement de la planète, cette zone, un habitat important pour des espèces comme l’ours polaire, sera l’une des dernières au monde à conserver la glace de mer toute l’année.

Aucune nouvelle activité humaine n’y est autorisée jusqu’en 2023, le temps de négocier une entente entre Ottawa, le Nunavut et la Qikiqtani Inuit Association.

Du côté du Québec, c’est au nord de Chibougamau que l’on retrouve les six aires les plus vastes de cette province.

En 2020, le Québec avait protégé 20 % du Nunavik. Selon la Loi sur la Société du Plan Nord, le Québec devra, d’ici 2035, consacrer 50 % de son territoire au nord du 49e parallèle à la préservation de l’environnement plutôt qu’à des fins industrielles.

Chaque parcelle protégée compte, surtout près des centres urbains

Si, de par le passé, les gouvernements ont préféré conserver de grands territoires, estimant que l’effet sur la biodiversité était plus grand, une étude de l’Université Carleton démontre que chaque petit bout de territoire conservé aide à protéger autant les animaux que les insectes, les plantes et les cours d’eau.

La présence de petits habitats naturels tels que les boisés et les zones humides est encore plus importante dans les milieux urbains ou avec une activité industrielle. D’autant plus que c’est au sud du pays où l’on retrouve la plus grande biodiversité.

« Il existe des millions de ces petites parcelles sur la Terre, et elles devraient être considérées comme une opportunité de conservation importante », écrivent les auteurs.

Et pourtant, les aires protégées sont peu nombreuses en milieu urbain et périurbain, où vivent 70 % des Canadiens. Les gouvernements reconnaissent de plus en plus le problème entourant la piètre préservation d’aires au sud, dit Mme Raudsepp-Hearne. Le problème, c'est qu’« à certains endroits, il ne reste presque plus de petites parcelles de terre non développées ».

C’est pourquoi la sauvegarde de la biodiversité au sud doit passer non seulement par la conservation, mais aussi par la restauration d’écosystèmes.

« Chaque centimètre carré compte. »

— Ciara Raudsepp-Herne, Coalition KBA

Alice de Swarte abonde dans le même sens, comparant la biodiversité à une bibliothèque. « Le but d'une bibliothèque, c'est d'avoir le plus d'ouvrages possible parce que dans chaque ouvrage, il y a des nouvelles connaissances. On ne veut pas jeter ou détruire de livres, même s’ils sont petits. Donc, il faut une approche dans laquelle on garde notre biodiversité la plus garnie possible. »

Alice de Swarte croit qu’il est nécessaire d’avoir des approches plus radicales en milieu urbain.

Lorsqu’on survole les métropoles canadiennes, sa recommandation prend tout son sens.

Près de Montréal, le Mont-Tremblant, avec ses quelque 1500 km2, est la plus large zone de conservation au sud du Québec. On retrouve quelques autres zones protégées de superficie moyenne, comme les parcs nationaux d’Oka et du Mont-Saint-Bruno, ainsi que la réserve naturelle du Mont-Saint-Hilaire.

Par contre, dans la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), seulement 10 % du territoire est protégé.

Sur l’Île-de-Montréal, outre le parc du Mont-Royal, qui est le premier parc municipal au Canada créé à des fins de conservation en 1876, les zones protégées sont somme toute limitées et généralement petites. Les milieux naturels de conservation volontaires, comme ceux de Bois-de-Liesse et de Bois-de-Saraguay, représentent moins de 15 km2.

C’est surtout le long du fleuve Saint-Laurent, de la Rivière-des-Prairies, du lac Saint-Louis et du lac des Deux-Montagnes que l’on retrouve de larges zones protégées – des aires de concentration d’oiseaux aquatiques.

Dans la grande région de Toronto, la superficie d’aires protégées est encore plus faible qu’à Montréal.

La plus grande aire protégée au cœur de la Ville Reine est le Tommy Thompson Park, qui fait moins de 2 km2. Ce parc, entièrement construit par l’homme dans les années 1970 avec le remblai créé par la construction du port de Toronto, compte désormais un riche écosystème, avec plus de 70 espèces d’oiseaux, ainsi que la tortue mouchetée, une espèce en péril.

Il faut se déplacer à l’extérieur du périmètre urbain pour trouver des aires plus étendues, comme le Bronte Creek près de Burlington, le parc de la Rouge près de Markham et Minesing près de Barrie.

En avril 2022, la Communauté métropolitaine de Montréal a adopté un règlement interdisant toute construction et tous travaux dans 124 km2 de milieux naturels supplémentaires et dans l'habitat de la rainette faux-grillon de l'Ouest, une espèce menacée d'extinction. À terme, dans le Grand Montréal, 22 % du territoire fera l'objet de mesures de conservation.

Pour sa part, le premier ministre québécois François Legault a promis lors de son discours à la COP15 de protéger plus de territoires dans le sud. Le gouvernement a d’ailleurs promis d’investir 40 millions de dollars pour acheter des terres au sud et de les relier par des corridors écologiques.

À l’opposé, le gouvernement de Doug Ford a récemment proposé de retirer certaines zones de la Ceinture verte qui s’étend de Niagara Falls à Peterborough et qui est protégée depuis 2005. On autoriserait la construction de 50 000 nouvelles habitations.

Protéger autrement

Si les aires protégées sont la pierre angulaire de la conservation, il ne s’agit pas de la seule intervention possible. « Nous devons adopter des approches différentes et être plus créatifs », soutient Aerin Jacob.

C’est dans cet esprit qu’une résolution a été adoptée lors du Congrès mondial de l'Union internationale pour la conservation de la nature en 2012, visant à développer de nouveaux critères de conservation : les autres mesures de conservation efficaces par zone (AMCEZ).

Tandis que les aires protégées ont pour objectif principal la conservation de la nature, les AMCEZ peuvent être créées à d’autres fins, mais sont gérées de façon à préserver la biodiversité à long terme.

Certaines activités commerciales et l'exploitation de ressources y sont donc permises, tant qu'il n'y a pas d'impact négatif majeur. Par exemple, une ferme pourrait être considérée comme une AMCEZ, si le propriétaire prend les mesures nécessaires à la préservation d’espèces sur ses terres.

« Il y a une idée préconçue selon laquelle la conservation signifie qu’il faut interdire toute activité humaine. Mais ce n’est pas le cas. On ne peut pas dire : “les humains vont ici et la nature reste là-bas”. Nous faisons partie de la nature et c’est une nuance que nous devons prendre en compte. »

— Aerin Jacob, Conservation de la nature Canada

Selon Alice de Swarte, ces zones permettent de « renouveler le paradigme de la conservation ». Pour sa part, Sandra Schwartz ajoute que, dans certains cas, la conservation d’une zone peut en fait stimuler l’économie.

Au pays, 5 % des zones marines protégées et 0,9 % des zones terrestres protégées sont des AMCEZ. On les retrouve surtout en Colombie-Britannique, dans les Territoires du Nord-Ouest et en Saskatchewan. Reconnues pour la première en 2017, les AMCEZ marines ont fait bondir le taux de conservation des zones marines de 3,1 % en 2018 à 8,9 % l’année suivante.

Presque la moitié des AMCEZ marines se trouvent sur le littoral et dans l’océan Atlantique; plusieurs sont des fermetures de zones de pêche dans le but de gérer le stock de certaines espèces. D’autres ont été établies pour protéger les coraux d’eaux froides et les éponges.

Au Manitoba, la seule AMCEZ est la base d'entraînement militaire de Shilo, à 225 km à l’ouest de Winnipeg. Puisque les zones d'entraînement en champ de tir sont fermées au public, les perturbations humaines sont limitées et permettent de protéger 17 espèces en péril, dont le scinque des prairies, le seul lézard présent au Manitoba.

Les AMCEZ, un tour de passe-passe pour atteindre les objectifs?

Les AMCEZ sont établies en fonction de critères internationaux élaborés par la Commission mondiale des aires protégées de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Même si on autorise certaines activités humaines, elles ne sont pas censées être une forme de protection « plus faible ».

Par contre, la limite maximale des activités permises dans ces zones est parfois sujette à interprétation. « Le diable se cache dans les détails et c’est sûr qu'il y en a certains qui essaient d'utiliser cette nouvelle catégorie pour essayer de faire des aires protégées de second rang », dit Alice de Swarte.

Mais trop souvent, on donne la priorité à l'exploitation du territoire. « En 2022, c'est dystopique, déplore Alice de Swarte. Il est grand temps qu'on fasse l'inverse, c'est-à-dire qu'on devrait prioriser la conservation de la nature. »

D’ailleurs, lors de son discours d’ouverture à la COP15, le secrétaire général de l'ONU António Guterres a demandé aux pays de mettre fin à « l'orgie de destruction » de la biodiversité. « Les écosystèmes sont devenus les jouets du profit », a-t-il déploré.

C’est pourquoi les AMCEZ doivent être bien gérées et financées à long terme, précise Aerin Jacob.

« Il ne faut pas que ces endroits disparaissent parce que quelqu’un décide de changer les règles en cours de route. »

— Aerin Jacob, Conservation de la nature Canada

Le gouvernement du Canada indique que les AMCEZ devraient être en place pour un minimum de 25 ans. « Ce critère ne devrait pas être considéré comme étant une date d’expiration pour les AMCEZ, précise le gouvernement sur son site. L’objectif sous-jacent est que toutes les AMCEZ déclarées soient en place indéfiniment et idéalement à perpétuité. »

En 2019, un rapport de l’organisme SeaBlue Canada révélait que plus de la moitié des refuges marins, tous des AMCEZ, ne répondent pas aux normes internationales et sont à risque d’exploitation pétrolière et gazière.

« Si on protège un lieu pendant 20 ans, mais qu’on permet ensuite l’extraction de minéraux, à quoi bon? » demande Sandra Schwartz.

La Colombie-Britannique a atteint l’objectif d’Aichi en ajoutant 38 000 km2 d’AMCEZ terrestres et plus de 82 000 km2 d’AMCEZ marines. Par contre, selon la SNAP, plusieurs de ces aires, dont les zones de gestion des forêts anciennes, ne répondent pas aux normes internationales des AMCEZ. L’organisme estime que la province est trop laxiste quant aux activités industrielles autorisées.

À Terre-Neuve, la SNAP craint que l’octroi d’une licence de forage pétrolier exploratoire dans la zone de fermeture du talus nord-est à la société BP mène à la destruction de coraux et d’éponges. Interdire les activités de pêche de fond tout en autorisant les activités pétrolières est une « pratique de deux poids, deux mesures », dénonce l’organisme. De plus, si l’on procède à l’extraction, la zone ne comptera plus dans l’atteinte des cibles du Canada.

Contrairement aux AMCEZ, dans les aires marines protégées, les activités industrielles et le chalutage de fond sont interdits. Au Québec, des négociations sont en cours pour transformer 17 réserves de territoires (des AMCEZ) dans le Saint-Laurent (dont celle à Anticosti) en aires marines protégées. En attendant, le Québec y a interdit l’exploration, l’exploitation et le transport des ressources naturelles.

Davantage de collaboration avec les communautés autochtones

Pour atteindre la cible de 30 % d’ici 2030, Ottawa et les gouvernement provinciaux devront travailler en étroite collaboration avec les communautés autochtones, estime Mme Schwartz, qui ajoute que les AMCEZ offrent la possibilité de diversifier la gouvernance, de travailler avec des propriétaires de terres privées, des municipalités, des groupes citoyens ou des peuples autochtones.

Ottawa estime que la création d’aires autochtones protégées constitue « un pas vers la réconciliation » et a promis 800 millions de dollars sur sept ans pour financer quatre projets de conservation menés par des Autochtones dans le nord du pays.

Mais Alice de Swarte prévient qu’il ne faut pas mettre tout le fardeau de la conservation sur les nations autochtones et qu’il faut respecter leurs droits territoriaux. Il faudra également s’assurer que le fédéral ne dicte pas aux Premières Nations comment utiliser et gérer leurs terres, comme ce fut souvent le cas dans le passé, ajoute-t-elle.

« Il y a eu certaines mauvaises expériences associées aux aires protégées en lien avec l’expropriation, parce que les initiatives venaient toutes d’en haut. »

Au Yukon, il aura fallu 15 ans de négociations pour arriver à la signature d’un accord protégeant 83 % des 67 431 km2 du bassin versant de la rivière Peel. En 2011, quatre Premières Nations ont poursuivi le gouvernement provincial qui proposait de protéger 30 % du bassin au lieu du 80 % recommandé par une commission indépendante. En 2017, la Cour suprême du Canada a donné raison aux Première Nations et ordonné la relance des négociations.

Protéger les parcs nationaux

Les parcs nationaux ont pour but non seulement de faire profiter les Canadiens de la nature, mais aussi de maintenir ou de restaurer l’intégrité écologique dans ces zones.

À ce jour, 37 parcs nationaux et 10 réserves de parcs nationaux protègent 336 343 km2 du territoire canadien. Leur taille varie de 14 km2 (parc des Îles-de-la-Baie-Georgienne en Ontario) à près de 45 000 km2 (Wood Buffalo). Depuis 10 ans, seulement 4 parcs ont été ajoutés, le dernier étant la réserve de parc national du Canada Thaidene Nene en 2019 dans les Territoires du Nord-Ouest.

En 2021, le Canada a promis d’ajouter ou d’agrandir plusieurs parcs nationaux en zone urbaine, une promesse qui réjouit Alice de Swarte. Selon elle, l’accès à la nature est un enjeu de santé publique.

Mais la protection de ces futures aires ne sera pas suffisante pour atteindre 30 %, prévient-elle. De plus, certains parcs sont en péril.

Selon le gouvernement du Canada, en 2021, 60 % des 117 écosystèmes répartis dans 42 parcs étaient en « bon » état; 22 % étaient en état « passable » et 18 %, en « mauvais » état. Presque le quart de ces écosystèmes, y compris les parcs de Gros-Morne, de La Mauricie, de Banff et de Pointe-Pelée, sont en déclin.

Le parc national Wood Buffalo, qui chevauche l’Alberta et les Territoires-du-Nord-Ouest est classé au Patrimoine mondial de l'humanité. Par contre, l’UNESCO prévient qu’il pourrait être placé sur la Liste du patrimoine mondial en péril.

Ce site, qui contient l’un des plus grands deltas d’eau douce au monde, s’assèche en raison des changements climatiques et du développement du barrage Site C. De plus, certains résidus d'exploitation des sables bitumineux auraient commencé à s'infiltrer dans les eaux souterraines et dans la rivière Athabasca.

Des progrès, mais encore beaucoup à faire

Si les aires marines sont passées de moins de 2 % en 2016 à plus de 10 % en 2021, il aura fallu près de 20 ans pour doubler la superficie des aires protégées terrestres au pays.

Terrestre

Marine

Pour réussir à conserver 30 % du territoire d’ici 2030, chaque année, au moins 2 % d’aires terrestres (plus de 217 000 km2) et marines (près de 150 000 km2) devront être ajoutées.

Selon Aerin Jacob, l'objectif est atteignable. Elle souligne que plusieurs zones sont déjà dans le processus d’être désignées comme aire protégée ou AMCEZ. « On ne part pas de zéro. »

Bien sûr, la tâche ne sera pas facile. Selon Alice de Swarte, la volonté politique est le nerf de la guerre. « Nous connaissons les problèmes. Et dans l'ensemble, nous connaissons les solutions. Il suffit de les appliquer. »

Sandra Schwartz croit que si Ottawa s’engage à atteindre des cibles internationales, il devra davantage travailler avec les provinces et territoires qui sont responsables de 65 % de toutes les aires terrestres conservées au pays.

Et si 30 % semble être une cible ambitieuse, ce n’est probablement pas assez pour complètement freiner la perte de biodiversité.

Une étude publiée dans Sciences affirmait qu’il faut protéger au moins 50 % de la Terre afin de renverser le déclin de la biodiversité.

« Si on veut véritablement sauver le vivant, parce qu'on est en train de vivre la 6e extinction de masse, il faut entreprendre des changements majeurs dans toutes les sphères de notre société en termes de consommation, d'exploitation, d'occupation du territoire, de démographie. »

— Alice de Swarte, SNAP Québec

Où doit-on concentrer les efforts?

Dans le but d’aider les gouvernements à atteindre ces objectifs, la Coalition KBA (Key biodiversity areas) Canada identifie et répertorie les endroits les plus vulnérables au pays depuis 2019.

Leur but est de rigoureusement documenter les zones clés pour la biodiversité. C’est d’autant plus important, dit Mme Raudsepp-Hearne, puisque les objectifs d’Aichi n’ont pas été atteints en partie parce qu’ils n’étaient pas quantitatifs.

L’organisme a commencé par obtenir les listes des zones potentiellement vulnérables identifiées par divers groupes environnementaux ou organismes communautaires, explique Ciara Raudsepp-Hearne, qui coordonne cette initiative.

Les données pour chaque aire sont analysées et divers experts sont consultés pour confirmer la présence d’espèces vulnérables. Le groupe s’appuie sur des normes adoptées en 2016 par l’Union internationale pour la conservation de la nature, précise Ciara Raudsepp-Hearne.

« Notre outil standardisé permet de déterminer de façon quantitative les zones à risques. Comme ça, il n’y a pas débat quant à savoir si une aire doit être protégée ou pas. Ça rend le processus crédible », dit Mme Raudsepp-Hearne.

Le Canada a d’ailleurs été le premier pays au monde à utiliser le standard mondial des zones clés pour la biodiversité dans un contexte national.

À ce jour, 73 zones clés pour la biodiversité ont été identifiées. Celles-ci couvriraient près de 70 000 km2 de superficie

Certaines chevauchent des aires déjà protégées, comme celle du parc national de Wood Buffalo. La raison? Selon une étude, la désignation d’une aire protégée ne garantit pas la protection de toutes les espèces et de tous les écosystèmes qui s’y trouvent. Dans plusieurs cas, le manque de gestion est en cause.

Plus de 900 autres sites sont à l’étude; plusieurs au sud du pays, là où la conservation fait défaut.

À terme, est-ce que toutes ces aires seront formellement protégées? Peut-être pas. Mais Mme Raudsepp-Hearne dit que ce travail en amont aidera le gouvernement canadien à mieux agir, et ce, plus rapidement.

Si la tâche peut sembler colossale, Aerin Jacob affirme qu’il ne faut pas baisser les bras. « La maison est en feu. Il faut éteindre l’incendie. On ne peut pas abandonner. »

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Mélanie Meloche-Holubowski journaliste, Melanie Julien cheffe de pupitre, Francis Lamontagne designer, André Guimaraes développeur, Danielle Jazzar réviseure linguistique et Martine Roy coordonnatrice