Et si la CAQ avait réformé le mode de scrutin?
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Avec seulement 41 % du vote populaire, la Coalition avenir Québec a fait élire une forte majorité de députés, soit 90 des 125 élus (72 %). Si le gouvernement Legault avait tenu sa promesse de réformer le mode scrutin, le portrait de l’Assemblée nationale aurait été bien différent, selon nos calculs.
Outre les 90 sièges récoltés par la Coalition avenir Québec (CAQ), qui obtient un gouvernement majoritaire, l'opposition officielle formée par le Parti libéral du Québec (PLQ) dispose de 21 sièges, en vertu de notre mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Québec solidaire (QS) en obtient 11 et le Parti québécois (PQ) arrive bon dernier avec les 3 sièges restants.
Cette distorsion entre le vote populaire et l’obtention de sièges à l'Assemblée nationale aurait pourtant pu être atténuée avec la réforme du mode de scrutin et l’adoption du projet de loi 39.
Avec un mode de scrutin proportionnel avec compensation régionale, la CAQ aurait fait élire 75 députés, soit 15 de moins, et aurait pu conserver sa majorité.
La débandade aurait été encore plus marquée pour le PLQ, qui aurait obtenu 5 sièges de moins (16 plutôt que 21).
QS aurait pu pour sa part compter sur l’appui de 3 députés de plus à l’Assemblée nationale, soit 14 députés au lieu de 11.
Le PQ aurait quant à lui ralenti sa chute en faisant élire trois fois plus d’élus, pour un total de 10 plutôt que 3.
Le plus grand gagnant aurait sans contredit été le PCQ, qui aurait fait une entrée sans équivoque à l’Assemblée nationale avec 10 élus.
Un parti a donc à nouveau remporté la majorité des sièges à l'Assemblée nationale sans que la majorité des électeurs ait voté pour lui, déplore le Mouvement démocratie nouvelle.
« Une fois de plus, notre système électoral archaïque hérité de la période coloniale et construit pour un système bipartisan a révélé ses graves lacunes, estime son président Jean-Pierre Charbonneau. Tout le monde a pu constater, en cette soirée électorale, cette grave anomalie qui fait qu'un parti remporte une majorité écrasante, alors que près de 60 % de la population a voté contre lui. »
Limites de la simulation
Notre simulation est basée sur le projet de loi 39 établissant un nouveau mode de scrutin, présenté par le gouvernement Legault à l'Assemblée nationale en 2019.
Il visait à remplacer notre mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour, où chaque député est élu quand il obtient le plus grand nombre de voix dans sa circonscription, par un mode de scrutin proportionnel mixte avec compensation régionale.
La proposition voulait que l’électeur ait deux votes : le premier, pour élire un député dans l’une des 80 nouvelles circonscriptions qui auraient découpé le Québec, et le second pour le parti de son choix, afin de pourvoir 45 sièges de compensation, répartis dans 17 régions électorales, à partir d’une liste de candidats fournis par les partis.
« Quand on fait des simulations, on tourne les coins ronds », prévient d’entrée de jeu la chercheuse Mercédez Roberge, sans discréditer la valeur de l’exercice.
L’enjeu principal tourne autour du deuxième vote, selon elle. N’ayant pas cette information à partir du scrutin du 3 octobre, il faut présumer que l'électeur aurait fait le même choix.
Or, « qui je veux pour me représenter dans ma circonscription et quel est le parti de mon choix », ce sont deux questions très différentes pour Mercédez Roberge.
« Les deux votes vont parfois servir à appuyer le même parti, et parfois non », précise-t-elle.
La transposition des résultats de la veille permet malgré tout de constater comment un mode de scrutin différent aurait permis d’atténuer les distorsions du vote, et de rapprocher la volonté populaire du nombre de sièges obtenus par chacun des partis.
Un constat qu'ont soulevé à la fois Québec solidaire, le Parti québécois et le Parti conservateur dans leurs discours de fin de soirée, alors que les votes de leurs partisans ne se sont pas matérialisés en autant de sièges à l'Assemblée nationale.
2022
CAQ
PLQ
QS
PQ
PCQ
VACANT
IND
ADQ
Scrutin uninominal
Scrutin proportionnel (PL 39)
La chercheuse Mercédez Roberge apporte aussi d’autres bémols au projet de loi 39 comme on l’a connu, dans une forme qu’elle qualifie de « super conservatrice ».
D’ailleurs, peu importe le mode de scrutin, certaines régions du Québec resteraient encore représentées par un seul et même parti. « La population aura beau avoir voté à 30 ou 40 % dans une région pour un parti, il va se retrouver avec la majorité sinon l’ensemble des sièges », précise-t-elle. C’est le cas, par exemple, de la Mauricie, de l’Abitibi-Témiscamingue, de la Côte-Nord et du Centre-du-Québec, balayées par la CAQ.
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C’est l’un des enjeux de la réforme que proposait le gouvernement.
La répartition des sièges de compensation profite aux régions administratives les plus populeuses. « La proportionnalité, c’est une question mathématique, rappelle Mercédez Roberge. Lorsque ça se fait dans un grand ensemble, avec un grand nombre de sièges à répartir, ça donne un meilleur respect du vote que dans une petite région. »
« Moins il y a de sièges à distribuer, plus ça prend de votes pour en obtenir un », poursuit-elle, en citant certaines régions qui n’ont qu’un ou deux députés de plus à répartir. Elle aurait suggéré de réunir certaines régions administratives contiguës, pour en avoir une dizaine plutôt que 17, et ainsi mieux équilibrer la répartition des sièges.
« Le problème, avec le projet de loi 39, c’est que beaucoup d’éléments allaient à l’opposé des consultations et des discussions menées par le passé », renchérit Jean-Sébastien Dufresne, le coordonnateur de ce dossier à l’Observatoire québécois de la démocratie.
Il était d’ailleurs lui-même présent à la signature de l’entente transpartisane de 2018, qui a mené au dépôt du projet de loi un an plus tard. Tous les partis d’opposition, à l’exception du Parti libéral, se sont joints à cette initiative du Mouvement démocratie nouvelle, qui milite pour la réforme du mode de scrutin depuis 1999.
Son principal reproche : le seuil de 10 % du vote populaire qu’un parti devait récolter à l’échelle nationale pour avoir accès à des sièges de compensation.
« Certains partis déjà représentés à l'Assemblée nationale ne se qualifieraient même pas », déplore Jean-Sébastien Dufresne. À l’étranger, dans des pays au mode de scrutin proportionnel déjà bien établi, ce seuil oscille plutôt entre 2 % et 5 %.
« Ça menait à limiter le pluralisme politique plutôt que de l’encourager, ce qui était contraire à la volonté de la réforme. »
— Jean-Sébastien Dufresne, Observatoire québécois de la démocratie
Il critique aussi la « prime au vainqueur » introduite par le projet de loi.
« Elle permettait au parti qui avait obtenu le plus de sièges de circonscription d’obtenir malgré tout des sièges régionaux, dont le but était pourtant de venir compenser les partis qui avaient une part importante de vote, mais qui étaient sous-représentés à l’Assemblée nationale », indique ce dernier.
« Ça visait à avantager le parti en avance, ce qui allait, encore une fois, à l’encontre de l’esprit de la réforme », estime Jean-Sébastien Dufresne.
Nous avons tout de même appliqué ces calculs aux plus récentes élections générales du Québec, pour voir à quoi aurait pu ressembler l’Assemblée nationale.
2018
CAQ
PLQ
PQ
QS
VACANT
IND
ADQ
PCQ
La CAQ aurait fait élire 62 députés, soit 12 de moins, et aurait perdu sa majorité à un siège près. Le plus grand gagnant aurait été le PQ. Avec 7 élus de plus, pour un total de 17 plutôt que 10, il aurait assuré sa place de 2e opposition.
Scrutin uninominal
Scrutin proportionnel (PL 39)
Une simulation « officielle »
Le gouvernement du Québec a lui-même simulé les résultats de l’élection de 2018 avec les paramètres de son projet de loi 39 sur la réforme du mode de scrutin. Il arrive toutefois à des résultats différents des nôtres et de ceux de la majorité des experts qui ont fait l’exercice.
Le projet de loi 39, bien qu’il soit clair sur la façon dont seraient répartis les sièges de circonscription et de région, comporte plusieurs zones d’ombre sur le découpage de la carte électorale selon les régions administratives de même que sur la transposition des résultats de l’élection au mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour à la proportionnelle mixte avec compensation régionale. À ce jour, le gouvernement refuse toujours de dévoiler l’ensemble des calculs qui lui ont permis d’obtenir ses chiffres.
2014
PLQ
PQ
CAQ
QS
VACANT
IND
ADQ
PCQ
Avec 63 sièges, soit 7 de moins, le PLQ aurait dirigé de justesse un gouvernement majoritaire. Ne se qualifiant pas pour la répartition de députés de compensation, QS (7,6 % du vote populaire) aurait même perdu un siège à l’Assemblée nationale.
Scrutin uninominal
Scrutin proportionnel (PL 39)
2012
PQ
PLQ
CAQ
QS
VACANT
IND
ADQ
PCQ
Renversement de situation : c’est le PLQ qui aurait formé un gouvernement minoritaire, avec 47 élus, plutôt que le PQ (qui en aurait fait élire 2 de moins que son opposant). La CAQ aurait gonflé sa députation, avec 13 élus de plus.
Scrutin uninominal
Scrutin proportionnel (PL 39)
2008
PLQ
PQ
ADQ
QS
VACANT
IND
PCQ
CAQ
Le PLQ aurait perdu sa majorité, avec 62 sièges (plutôt que 66). Peu aurait changé pour le PQ et QS, mais l’ADQ aurait fait des gains importants, en doublant quasiment sa présence à l’Assemblée nationale.
Scrutin uninominal
Scrutin proportionnel (PL 39)
Résultat : même en appliquant le projet 39, l’écart entre les voix obtenues et le nombre de sièges à l'Assemblée nationale demeure toutefois.
« C’est assurément plus proche de la volonté populaire qu’actuellement », reconnaît Jean-Sébastien Dufresne, mais il reste encore du travail à faire.
Atténuer les distorsions
« Bien sûr, c’est une distorsion moins grande qu’actuellement, mais tant qu’à faire un changement, aussi bien qu’il vaille la peine », juge à son tour Mercédez Roberge, qui est aussi l'autrice de l’ouvrage Des élections à réinventer.
Le message qu’envoyait le projet de loi était clair, selon Mercédez Roberge : « Ne vous en faites pas. Ce ne seront toujours que des grands partis qui vont remplir les sièges de l'Assemblée nationale ».
« C'est contre-productif. On change de système parce qu’il y a une distorsion. Mais non seulement on maintient la distorsion, mais on s’appuie sur elle pour que les partis déjà surreprésentés le soient encore. »
« Ça montrait surtout que le gouvernement ne voulait pas perdre ni partager le pouvoir. »
— Mercédez Roberge, chercheuse et autrice
Grande partisane de la réforme du mode de scrutin avant de diriger un gouvernement majoritaire en 2018, puis de nouveau en 2022, la Coalition avenir Québec a depuis changé son fusil d'épaule.
« Lorsque les partis arrivent au pouvoir, ils veulent maintenir en place un système qui permet d’assurer la continuité de leur pouvoir », observe Jean-Sébastien Dufresne.
« Maintenant, François Legault n'entend plus d’intérêt marqué au sein de la population pour la réforme du mode de scrutin, s’étonne l’expert. Pourtant, lorsqu’il en a pris l’engagement, son discours était tout à fait différent. »
Il voulait la réforme « pour ne plus qu’un parti élu par une minorité de Québécois prenne des décisions pour une majorité », rappelle-t-il, en reprenant les mots de celui qui est depuis devenu premier ministre, deux fois plutôt qu’une.
« L’opinion [de François Legault] change, parce qu’il y a un intérêt partisan, soupçonne Jean-Sébastien Dufresne, ce qui ne fait qu’augmenter le cynisme. »
Le premier ministre Legault a même depuis repris l’argument de son adversaire libéral de 2014, Philippe Couillard : « Ça n’intéresse pas le monde », disait ce dernier. « À part quelques intellectuels », précise maintenant François Legault.
« C’est le système qui les a portés au pouvoir, mentionne la présidente de l’Observatoire québécois de la démocratie, Mireille Tremblay. Ils n’ont pas intérêt à le modifier, mais il y a comme dès le départ un conflit d’intérêts. »
« Dépendamment de qui c’est le tour, de qui subit la distorsion, là, ils voudront s’attaquer au problème », poursuit la professeure à l’Université du Québec à Montréal.
Où se situent les partis?
La Coalition avenir Québec a rompu sa promesse de réformer le mode de scrutin, et le gouvernement Legault n’a pas l’intention d’y revenir puisque ce n’est plus une « priorité ».
Le Parti libéral du Québec est traditionnellement réfractaire à un nouveau mode de scrutin, mais, en campagne électorale, la cheffe Dominique Anglade s’est dite ouverte à en discuter après les élections.
Autant Québec solidaire que le Parti québécois réclament ladite réforme du mode de scrutin. Ils étaient présents, aux côtés de la CAQ et du Parti vert du Québec, lors de la signature de l’entente transpartisane en 2018.
Le Parti conservateur du Québec, pour sa part, ne s’est pas engagé à mener la réforme lors de la récente campagne électorale.
Un point de départ
Malgré tous ses défauts, le projet de loi établissant un nouveau mode de scrutin avait du potentiel, estiment les experts.
« Il n’était quand même pas à mettre à la poubelle, témoigne Mercédez Roberge. Il y avait la possibilité de l’améliorer en changeant la méthode de calcul et le seuil, et en réunissant des régions électorales. »
D’ailleurs, avec un mode de scrutin proportionnel, il peut y avoir autant de simulations que de résultats différents, dépendamment de la méthode de calcul utilisée.
« Les méthodes de calcul, c’est un élément mécanique d’un système proportionnel, explique Mercédez Roberge. Les mixtes compensatoires atteignent le meilleur taux de proportionnalité parce qu’ils permettent de corriger les distorsions des sièges de circonscriptions. »
Mais certaines méthodes sont « meilleures que d’autres » pour la représentation.
« Il y a des méthodes qui favorisent davantage les grands partis, d’autres qui sont plus équitables », soutient l’experte. Et il y a celle que le gouvernement a « inventée », qui profite aussi aux grands partis.
« Il était encore possible de la bonifier, mais l’adopter telle quelle n’aurait pas été une très grande avancée, l’indice de distorsion étant encore très élevé. »
Le projet de loi 39 n’a toutefois pas franchi l’étape des commissions parlementaires et a été abandonné en décembre 2021, avec l'excuse de la pandémie de COVID-19.
Aujourd’hui mort et enterré, il reste à ce jour l’étape la plus concrète franchie dans l’histoire de la réforme du mode de scrutin au Québec.
« On s’est rendu le plus loin, avec l’étude d’un projet de loi. C’est quand même un moment marquant dans l’histoire du Québec par rapport à la réforme du scrutin », soutient Jean-Sébastien Dufresne.
« C’est une histoire qui n’est pas encore terminée. Ça fait des décennies au Québec qu’on en parle et les motivations sont encore plus importantes aujourd’hui qu’elles l’étaient. »
— Jean-Sébastien Dufresne, Observatoire québécois de la démocratie
Un pas en avant, un pas en arrière
Le débat sur la réforme du mode de scrutin ne date pas d’hier au Québec.
Le sujet a été abordé pour la première fois en 1922 à l'Assemblée nationale par le chef conservateur Arthur Sauvé, qui jugeait que notre mode de scrutin « ne traduit pas fidèlement » le vote populaire.
Il faudra toutefois attendre les années 1970 pour que la réforme fasse débat. René Lévesque, alors chef du Parti québécois, soulève l’enjeu en l’intégrant à son programme électoral. Élu au gouvernement quatre ans plus tard, en 1976, il en confie le mandat à son ministre d’État à la Réforme électorale et parlementaire. Le travail accompli est abandonné en 1979 à cause de réticences au sein du caucus péquiste. René Lévesque retente le coup en 1984, mais sans succès.
Après les deux tentatives de René Lévesque, le Parti québécois met de côté le dossier, qui sera repris seulement au début des années 2000 par les libéraux de Jean Charest. Son parti dépose un avant-projet de loi en 2004, proposant un mode de scrutin proportionnel mixte à un seul vote. La réforme ébauchée ne fait pas consensus et tombe dans l’oubli.
En 2018, la signature d’une entente entre quatre des principaux partis politiques, unis d’une seule voix en faveur d’une réforme, ranime le débat. Élue la même année, la Coalition avenir Québec s’engage à déposer un projet de loi, qui a depuis été abandonné lui aussi.
Gagner… ou perdre
La réforme du mode de scrutin demeure néanmoins plus pertinente que jamais encore aujourd’hui, selon les experts que nous avons consultés.
« On a un système hérité depuis l'Angleterre il y a plusieurs dizaines d’années, rappelle la professeure en communication sociale et publique Mireille Tremblay. Et le principe, c’est que tu gagnes ou que tu perds. C’est ça, le principe mathématique du vote majoritaire. »
« On accepte cette règle-là du gagnant-perdant, sachant qu’on aura un jour notre tour. Et quand tu es de la majorité, tu gagnes, tu diriges et tu contrôles. »
— Mireille Tremblay, Observatoire québécois de la démocratie
Lors des premières élections générales du Québec, en 1867, seuls deux grands partis s’affrontaient : libéraux et conservateurs. Il a fallu attendre 20 ans pour qu’un troisième parti fasse son entrée à l’Assemblée nationale.
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Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.
« On a maintenant beaucoup plus de partis, ce qui fait que la règle du bipartisme s'applique moins. Ça ne correspond plus à notre culture politique, soutient Mireille Tremblay. On fait face à une multiplicité de points de vue et on veut que l'ensemble de ces points de vue là soient énoncés et entendus. »
« Le multipartisme, c’est une autre forme de gouvernance. Et la proportionnelle, c’est ce que ça introduit. »
— Mireille Tremblay, Observatoire québécois de la démocratie
« C’est très sain pour une démocratie d'avoir un pluralisme politique, d'avoir une diversité d’options qui s’offrent à la population », soutient son collègue Jean-Sébastien Dufresne.
Mais il faut un système adapté à où est rendue la population aujourd’hui, enchaîne-t-il, ce qui passerait peut-être par davantage de coalitions ou de collaboration en cas de gouvernements minoritaires, comme le fait le Parti libéral de Justin Trudeau au fédéral avec le Nouveau Parti démocratique (maintenant que le PLC a lui aussi renoncé à réformer le mode de scrutin).
Le Québec n’a élu que deux gouvernements minoritaires dans son histoire : celui de Pauline Marois pour le Parti québécois, en 2012, et celui du libéral Jean Charest, en 2007.
Il faut remonter au 19e siècle pour retracer d’autres gouvernements minoritaires, obtenus non pas à la suite d’une élection générale, mais plutôt de l'intervention du lieutenant-gouverneur, de partis qui s’accrochent au pouvoir ou d’autres qui les renversent.
Un mode de scrutin proportionnel mènerait-il à davantage de gouvernements minoritaires?
C’est possible. Selon nos calculs, trois des cinq précédents gouvernements auraient pu l’être, deux à un député près, si le vote avait été exactement le même (ce qui est toutefois peu probable avec un mode de scrutin différent).
Il s’agit d’un argument souvent repris par les détracteurs de la réforme du mode de scrutin, qui mettent en garde contre l’instabilité du gouvernement et des élections à répétition.
Or, ça n’amène pas seulement de l’instabilité, rétorque Jean-Sébastien Dufresne. « Ça amène plus de travail en collaboration, de concertation et de coalition entre les différents partis. Ce qui fait en sorte que les décisions prises sont beaucoup plus viables dans le temps », s’étant formées d’un consensus entre plus d’un parti.
Les opposants à la réforme estiment également qu’un mode de scrutin mixte génère deux classes de députés, les élus et les choisis sur les listes des partis, qu’il ne représente pas mieux les régions et qu’il creuse le fossé entre les francophones et les anglophones.
Encourager la participation électorale
Avec le taux de participation qui tend à diminuer, et qui a atteint 66 % lundi, les partisans de la réforme du mode de scrutin voient davantage de bénéfices que d’inconvénients.
« Il y a beaucoup de désengagement de citoyens, qui souhaitent voter pour un parti qui ne remporterait pas l’élection dans leur circonscription », explique Jean-Sébastien Dufresne.
« Si leur vote pouvait quand même compter, avec des députés de région, ils se sentiraient beaucoup plus interpellés. À quoi ça sert d’aller voter si mon vote ne compte pas? », résume-t-il.
« On croit que c’est dans l’intérêt de l’ensemble de la population que le système ne soit pas fait en fonction des intérêts de la classe politique, mais plutôt en fonction des intérêts de la population. »
— Jean-Sébastien Dufresne, Observatoire québécois de la démocratie
« Il y a une polarisation de l’électorat, poursuit l’expert. De plus en plus de gens ne vont pas se retrouver dans notre représentation démocratique, ce qui risque de soulever des remises en question. »
Un point de vue que partage autant sa collègue Mireille Tremblay que Mercédez Roberge.
La « malreprésentation » au niveau national, encore démontrée avec le scrutin de 2022, va soulever la plus grande irritation possible, selon cette dernière, ce qui devrait créer un choc suffisant pour relancer le débat sur la méthode de scrutin. « L’opposition se trouve morcelée et de nombreuses voix ne seront pas représentées à l’Assemblée nationale, réitère à son tour Jean-Pierre Charbonneau du Mouvement Démocratie nouvelle. La réforme du mode de scrutin devient un impératif majeur et urgent pour notre bonne santé démocratique. »
La balle repose autant dans le camp des électeurs que des décideurs politiques.
« Ce que je trouve le plus important, c’est d’assurer l’intérêt pour la participation citoyenne, soutient Mireille Tremblay. Mais pour ça, il faut que ça ait un sens pour eux. »
« Il y a des partis émergents, une refondation de l'idéologie politique et des enjeux qui fait que ces partis émergents ont besoin de leur place. C'est aussi ce que permet la proportionnelle », rappelle-t-elle.
« Il faut minimalement réformer le mode de scrutin. Tout ce qui nous permet d’améliorer la gouvernance, c’est une urgence. »
— Mireille Tremblay, Observatoire québécois de la démocratie
« La façon dont on gouverne, c’est majeur, insiste cette dernière. Parce qu’on assiste à une désaffection, non seulement au processus électoral, mais aussi à la confiance envers les gouvernements. »
Reste maintenant à savoir qui ramènera le dossier à l’ordre du jour. Et quand.
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Méthodologie
Daniel Blanchette Pelletier journaliste, Melanie Julien cheffe de pupitre, Francis Lamontagne designer, André Guimaraes et Mathieu St-Laurent développeurs, Danielle Jazzar réviseure linguistique et Martine Roy coordonnatrice