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Voici qui vit dans les pires îlots de chaleur de votre ville

Les résidents à faible revenu et les immigrants vivent de façon disproportionnée dans les zones les plus chaudes de nos villes, selon une analyse de Radio-Canada. Cela les rend plus vulnérables aux vagues de chaleur, au point de parfois perdre la vie.

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Quand votre application météo favorite indique des températures élevées à venir, elle suggère que tout le monde va avoir chaud dans votre ville.

Mais la configuration des rues, les matériaux des bâtiments, la présence de végétation et la proximité d’un plan d’eau modifient de façon importante la température ressentie par les résidents. Lors d’un après-midi caniculaire, un quartier niché sous des arbres matures fait figure d’oasis, alors qu’un boulevard entouré de stationnements et de bâtisses en béton ressemble davantage à un brasier.

Les changements climatiques augmentent la fréquence et l’intensité des vagues de chaleur. Identifier les points les plus chauds dans nos villes et soutenir les résidents qui y vivent sont devenus des enjeux de santé publique majeurs.

C'est pourquoi Radio-Canada a utilisé des images satellite pour repérer les zones qui ont les plus hautes températures de surface terrestre dans les principales villes canadiennes. Cette température estimée à partir de l’espace est différente de celle qui est mesurée par les stations météorologiques. Mais selon les experts, elles sont liées : en général, quand l’une est élevée, l’autre l’est aussi.

Chaque point représente 700 habitants en moyenne et la couleur indique les zones les plus chaudes et les plus fraîches.

Vous pouvez changer de métropole à tout moment avec les flèches, votre clavier ou le menu en haut à droite.

Nous avons regroupé ces zones en dix groupes, des plus chaudes aux plus fraîches. Leur température est estimée à partir d’images satellite prises entre juin et août, de 2019 à 2021.

Quand nous avons fait la moyenne du revenu médian à l’intérieur de nos dix groupes, une tendance est apparue : plus les revenus des résidents sont élevés, plus leur quartier est frais, particulièrement dans les métropoles de 300 000 habitants et plus.

Un autre constat : plus il y a de personnes nées à l’étranger dans un quartier, plus ce dernier est chaud. Encore une fois, cette tendance est surtout visible dans les grandes villes, où habitent la majorité des nouveaux arrivants.

Mais pourquoi certaines zones sont plus chaudes que d’autres? Le manque d’espaces verts est un facteur important, selon notre analyse. Moins il y a de végétation, plus il fait chaud.

« On dit souvent que les cartes montrant les arbres dans une ville sont en fait des cartes de l’origine ethnique et de la richesse », souligne Carly Ziter en réaction à nos résultats. La professeure associée à l’Université Concordia est une spécialiste en écologie urbaine. Les mécanismes naturels du refroidissement, comme ceux qu’offrent les arbres en ville, font partie de ses champs d’expertise.

« Ces chiffres sont la preuve qu’il y a une injustice quant aux personnes qui seront les plus vulnérables aux changements climatiques. Certains résidents ont la chance de vivre dans les coins frais de nos villes où il sera possible d’atténuer l’impact des vagues de chaleur à l’avenir. Et d’autres résidents n’ont pas ce privilège. »

— Carly Ziter, professeure associée à l’Université Concordia

Elle ajoute que les résidents à faible revenu qui vivent dans les zones les plus chaudes sont aussi ceux qui ont une capacité d'adaptation plus limitée. Acheter un climatiseur est moins facile pour eux, par exemple. Selon Statistique Canada, en 2019, six ménages sur dix avaient l’air climatisé, en moyenne. Mais plus le revenu était bas, plus cette proportion diminuait.

D’après notre analyse, la proportion de résidents à faible revenu et âgés de plus de 65 ans est aussi la plus élevée dans les zones les plus chaudes de nombreuses métropoles canadiennes. Cette population est la plus vulnérable aux vagues de chaleur.

Un fossé d’inégalités

Comment avons-nous obtenu nos chiffres?

Les stations météorologiques d’Environnement Canada sont trop rares pour offrir un portrait détaillé de la température dans nos villes. C’est pourquoi nous avons calculé la température de la surface terrestre à partir d’images satellite pour 17 métropoles. La superficie totale analysée est de 72 000 km2. Pour les caractéristiques des résidents, nous avons utilisé le recensement de 2016. Consultez notre méthodologie à la fin de ce reportage pour les détails.

En quête de fraîcheur

Plus un quartier est verdoyant, plus il est frais. Une solution semble donc évidente : planter des arbres qui produiront de l’ombre en poussant. « Mais ces zones chaudes ont une autre caractéristique commune : elles sont denses, note Jeffrey Brook, directeur scientifique du Consortium de recherche en santé environnementale urbaine. Où allez-vous planter une forêt? Il n’y a pas de place. »

Le professeur associé en santé publique à l’Université de Toronto rappelle que la densité d’un quartier est aussi corrélée avec le prix des loyers. En zone urbaine, un petit appartement dans un gros bâtiment coûte moins cher qu’une maison avec un jardin. Et les bas prix attirent les résidents à faible revenu tout comme les nouveaux arrivants. « Nous avons vraiment de la difficulté à augmenter la densité de nos villes tout en incorporant des espaces verts et des logements abordables. »

Étouffer en ville

La chaleur extrême tue et les changements climatiques vont empirer la situation.

Et même quand il y a de l’espace, planter des arbres ou ajouter un parc peut provoquer un retour du balancier. « Vous risquez de créer de l’“embourgeoisement vert” », explique Isabella Richmond, étudiante au doctorat qui travaille sur ces enjeux sous la supervision de la professeure Carly Ziter. Puisque ces quartiers deviennent plus attrayants, le prix des loyers augmente et leurs résidents historiques sont forcés de se déplacer vers une autre zone dite « grise ».

« Ça accentue qui vit dans les zones vertes, indique Isabella Richmond. Nous devons intégrer des règlements sur le logement qui accompagnent les mesures de verdissement. Par exemple, les propriétaires ne pourraient pas immédiatement augmenter un loyer après la transformation d’un quartier. »

Entre le 25 juin et le 1er juillet 2021, une vague de chaleur s’est abattue sur la Colombie-Britannique. Trois personnes mouraient chaque heure en moyenne à cause des températures extrêmes. Un rapport publié par la province précise que les décès sont principalement survenus dans les quartiers les moins nantis avec peu d’espaces verts. La plupart des victimes étaient des personnes âgées. Ces personnes avaient aussi une autre caractéristique : elles vivaient seules.

« Nous pourrions éviter les décès causés par la chaleur si nous savions où vivent les résidents les plus vulnérables, indique Jeffrey Brook. Une des raisons pour lesquelles les gens meurent, c’est parce que personne ne se préoccupe d’eux et je pense que le dôme de chaleur de 2021 nous l’a démontré encore une fois. » Il faut transformer des stationnements et des toits en espaces verts, mais aussi bâtir une cohésion sociale, ajoute l’expert. « Il faut penser à des jardins communautaires, des logements multigénérationnels et d’autres projets qui créent des liens entre les résidents. Il faut investir dans ces quartiers et les améliorer. »

Au frais sous les arbres

Face à la chaleur extrême, voici comment sauver des vies.

« Nous payons pour améliorer nos routes, nos ponts et nos bâtiments parce que nous savons que nous avons besoin d’eux, rappelle Carly Ziter. Mais de plus en plus, nous réalisons qu’il nous faut une infrastructure verte, végétale, pour notre santé et notre sécurité aussi. Nous ne devrions pas penser que c’est une dépense supplémentaire dans le budget de nos villes. »

Et si refroidir la température de l’air extérieur nécessite des efforts titanesques de la part de la communauté internationale, la température de surface peut être réduite avec des actions locales. « Avec une seule décision politique, nous pouvons la modifier, indique Philippe Martin, coordinateur du Programme national sur les ultraviolets à Environnement Canada et expert en chaleur urbaine. La ville du futur, si elle est un peu verte, avec des zones ombragées, une géométrie urbaine qui favorise la ventilation et des matériaux qui n’absorbent pas la chaleur, elle peut être d’un grand confort thermique. »

La quantité de gaz à effet de serre par habitant du Canada est parmi les plus élevées au monde, rappelle Jeffrey Brook. « Qu’allons-nous dire dans 30 ans? Que nous sommes désolés et qu’on ne savait pas ce qu’on provoquait? On le sait. Quand tu ne traites pas les personnes les plus désavantagées comme il se doit, ce n’est pas durable. »

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Méthodologie

Par souci de transparence et d’intégrité journalistique, nous rendons publique l’intégralité de notre analyse, avec le code et les données utilisées. Cliquez ici pour la consulter. Ces documents ont été envoyés avant publication aux experts cités dans le reportage ci-dessus. Leurs commentaires et suggestions ont permis d’améliorer l’analyse. Bien qu’ils n’aient pas été cités, Sylvie Leroyer, spécialiste en météorologie urbaine à Environnement Canada, et Arthur Charpentier, professeur au Département de mathématiques de l’Université du Québec à Montréal, font partie de ces experts.

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Naël Shiab premier réalisateur journalisme de données, Isabelle Bouchard scientifique de données, Melanie Julien, Isabelle St-Pierre Roy et Daniel Blanchette Pelletier chefs de pupitre, Anis Belabbas et Charlie Debons designers et Martine Roy coordonnatrice

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