Ce n’est pas surprenant que les premiers Canadiens porteurs du virus soient des voyageurs revenus de l’étranger, rappelle le virologue Benoît Barbeau, professeur au Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
« Tout part de l'extérieur. Ce sont des personnes porteuses du virus à l’extérieur du pays qui l’ont introduit au Canada en traversant nos frontières. »
- Benoît Barbeau, virologue
Chacun de ces cas a fait l’objet d’une enquête épidémiologique pour comprendre comment la maladie a fait son entrée au Canada et documenter sa propagation par la suite.
Voici comment s’est déployé le coronavirus au Canada, selon les premiers cas confirmés par les autorités de santé publique dans chacune des provinces et territoires.
L’Ontario déclare un premier cas
Un premier cas de COVID-19 est confirmé au Canada le 25 janvier.
Un homme de Toronto, en Ontario, revient de Wuhan, d’où la pandémie tire son origine. Plus de 1400 personnes sont alors atteintes de la maladie en Chine, qui dénombre aussi une quarantaine de morts. Le virus commence à peine à franchir les frontières de l’Asie.
Le Torontois se présente à l’hôpital Sunnybrook, au nord de la ville, avec de la fièvre et des difficultés respiratoires. Il est placé en quarantaine jusqu’à la confirmation de son diagnostic.
Sa femme reçoit à son tour un diagnostic positif deux jours plus tard.
Ces contacts sont la suite logique de la contamination lors d’une pandémie.
« Les voyageurs étaient les premiers cas, explique l’épidémiologiste Nimâ Machouf. On s’attendait ensuite à ce que [des membres de] l’entourage de ces voyageurs-là soient les prochaines victimes. Mais on était encore capables de lier ces cas à un voyage. »
La donne change lorsqu’un premier cas est détecté sans pouvoir établir ce lien avec l’étranger.
La patiente 21 en Colombie-Britannique
Comme pour l’Ontario, les premiers cas de COVID-19 confirmés en Colombie-Britannique sont tous liés à Wuhan.
Un homme qui rentrait d’un voyage d’affaires en Chine a reçu un diagnostic positif dès la fin janvier. Quelques jours plus tard, une femme recevait le même diagnostic après la visite de proches venus de Wuhan.
La patiente 21 est considérée par la Colombie-Britannique comme le premier cas de transmission communautaire dans la province. Les autorités de santé publique n’ont pas été en mesure de la relier à un autre patient atteint de la COVID-19.
Cette femme dans la cinquantaine était infirmière au Lynn Valley Care Centre, une résidence pour personnes âgées de North Vancouver.
C’est là que la première éclosion de grande ampleur à frapper le pays s’est déployée.
Pendant que les cas s’accumulaient au Lynn Valley Care Centre, la Colombie-Britannique continuait de comptabiliser des infections liées à des voyageurs de retour au pays.
Une autre éclosion a semé l’inquiétude au début de la pandémie.
Plusieurs cas à partir du 15 mars étaient associés à la Pacific Dental Conference, qui a réuni plus de 15 000 participants du 5 au 7 mars à Vancouver.
Plus d’une trentaine de cas y ont été reliés en Colombie-Britannique et plusieurs douzaines d’autres à l’extérieur de la province, notamment en Ontario et en Alberta. Au moins un dentiste britanno-colombien est mort de la maladie.
Explosion des cas au Québec
Contrairement à l’Ontario et à la Colombie-Britannique, la santé publique du Québec n’a pas divulgué autant d’informations sur ses premiers cas de COVID-19.
On sait toutefois que la première personne infectée est une femme de Montréal revenue d’Iran le 24 février. Considérée comme un cas probable le 27 février, elle a eu son diagnostic confirmé le lendemain. C’est ensuite au début du mois de mars qu’ont été annoncés d’autres cas, des voyageurs revenus surtout d’Europe.
On comptabilisait encore moins d’une douzaine de cas au Québec avant le 12 mars. Mais ce n’était que la « pointe de l’iceberg », soutient l’épidémiologiste Nimâ Machouf.
« Ils savaient qu’il y avait beaucoup plus que 13 cas et qu’une bonne partie des cas étaient asymptomatiques [et contagieux]. Ils se doutaient donc que ce n’était que la pointe de l’iceberg. »
- Nimâ Machouf, épidémiologiste
« Au départ, les gens avaient accès au test à condition d’avoir des symptômes ou une histoire épidémiologique, donc une personne qui revenait de voyage ou qui était entrée en contact avec un voyageur. »
Le Québec a, selon elle, testé trop peu de personnes potentiellement infectées en début d’épidémie, contrairement à l’Ontario et à la Colombie-Britannique, qui avaient donc une meilleure idée de la situation réelle sur le terrain.
Ce n’est qu’à partir de la mi-mars que le Québec a accru sa capacité à faire des tests, rappelle la chargée d'enseignement à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (UdeM).
Sa collègue Roxane Borgès Da Silva soupçonne même que la COVID-19 se propageait déjà au Québec avant la confirmation d’un premier cas. « Fin février, il y avait déjà de la transmission communautaire et on ne l’avait pas déclarée », dit-elle.
Les autorités de santé publique n’ont évoqué la transmission en communauté pour la première fois qu’un mois plus tard, soit le 24 mars, alors que la situation s'aggravait.
Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, la transmission communautaire « a été observée progressivement dans toutes les régions ». Des cas ont été rapportés de « manière anecdotique » dès le 9 mars, avant d’être confirmés.
L’« émergence » de cas peu symptomatiques ou asymptomatiques est aussi entrée en jeu.
« Moi, je soupçonne en fait que bien avant qu’ils ne déclarent la transmission communautaire, il y en avait. D’autant plus qu'il y a énormément de cas asymptomatiques. »
- Roxane Borgès Da Silva, École de santé publique, UdeM
Ces cas asymptomatiques, combinés à une semaine de relâche plus tôt au Québec qu’ailleurs au pays, auraient donc contribué à la progression rapide de la maladie.
« Il y a eu très certainement des gens qui revenaient de voyage, qui n’avaient aucun symptôme et qui ne se sont pas forcément isolés, parce qu’on n’avait pas encore mis en place ces recommandations d’isolement, et qui ont répandu le virus dans la communauté », soutient Roxane Borgès Da Silva.
Progression de la maladie depuis le 1er cas
Québec
Ottawa décourage
les voyages non essentiels
Colombie-Britannique
Ontario
Alberta
Un point de vue que partage le virologue Benoît Barbeau.
Non seulement la semaine de relâche est arrivée plus tôt au Québec, mais elle a aussi eu lieu alors qu’on commençait à peine à confirmer les premiers cas de COVID-19 dans la province, contrairement à l’Ontario et à la Colombie-Britannique.
« Les résidents de ces provinces savaient aussi que la situation à l'extérieur était complexe et pas adéquate pour voyager, explique Benoît Barbeau. Ils ont adopté l’idée de staycation ou ont annulé leur voyage, pour toutes les raisons qu’on comprend. »
Le professeur à l’UQAM soupçonne aussi des « superinfecteurs » de retour au pays d'avoir alourdi le bilan au Québec.
« Ce sont des voyageurs qui sont arrivés infectés et qui ont été en contact avec plusieurs personnes, explique Benoît Barbeau. L’effet boule de neige mène vers une explosion de cas qui ne part que de ces individus, qu'on appelle les superinfecteurs. »
Au Québec comme en Ontario, ces cas ont été déterminants dans la propagation du virus.
Un voyageur québécois sur quatre déclaré positif à la COVID-19 revenait des États-Unis, et moins d’un sur cinq d’Europe, selon les plus récentes données officielles partagées par le ministère. Les voyageurs rentrant d’Asie représentent quant à eux moins de 5 % de tous les cas liés à des séjours à l’étranger dans la province.
Le reste du Canada infecté dès mars
Ailleurs au Canada, les premiers cas confirmés de COVID-19 ne revenaient ni de Chine ni d’Iran, mais bien d’un peu partout à travers le monde. Une indication que la pandémie était déjà bien installée en Asie, en Europe et en Amérique au début du mois de mars.
C’était notamment le cas dans les Prairies.
En Atlantique aussi, la majorité des premiers cas ne revenaient pas d’Asie. On remarque également une plus grande transmission par contact parmi les premiers cas identifiés.
On soupçonne d’ailleurs l’un des huit premiers cas à Terre-Neuve-et-Labrador d’être lié à plus de la moitié des cas dans la province. Ce « superinfecteur » s’est rendu dans un salon funéraire à la mi-mars.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, la maladie est arrivée au départ directement de la Colombie-Britannique et de l’Alberta.
La frontière a d’ailleurs été fermée aux non-résidents dès l’annonce d’une première infection. Encore à ce jour, peu de cas s’y sont déclarés.
À la recherche du patient zéro
Lorsqu’une épidémie éclate, tous les yeux sont rivés sur les premiers cas confirmés de la maladie pour identifier le patient zéro, soit la première personne atteinte de la maladie.
Dans le cas de la COVID-19, il s’agirait d’un cas à Wuhan, en Chine, où le virus est vraisemblablement passé de l’animal à l’humain l’an dernier.
L’Ontarien qui a reçu le premier diagnostic positif peut-il toutefois être considéré comme un patient zéro, soit le premier à avoir ramené la maladie en territoire canadien?
La réponse courte est non. « Il est possible qu’il ne soit pas le premier cas du tout, souligne Nimâ Machouf. Ça dépend de comment le corps réagit au virus. »
Les symptômes de la COVID-19 peuvent prendre jusqu’à 14 jours avant de se manifester et une fois le test passé, jusqu'à quatre jours ont pu s'écouler avant d’obtenir les résultats.
Ces délais ont eu des conséquences énormes, croit sa collègue de l’école de santé publique de l’Université de Montréal, Roxane Borgès Da Silva. « Malheureusement, on a laissé le virus se propager. »
Selon des données compilées par Santé Canada, au moins une dizaine de personnes atteintes de la maladie circulaient déjà à travers le pays avant la confirmation du premier cas en Ontario le 25 janvier.
Un premier cas de transmission communautaire, qui n’avait pas voyagé ni côtoyé quelqu’un qui rentrait de l’étranger, était même présent sur le territoire à cette date.
Cette base de données répertorie notamment les cas selon la date d'apparition des symptômes, à partir du moment où un patient était donc contagieux, plutôt qu’à la date où sa maladie est confirmée.
Un cas canadien symptomatique dès le 15 janvier n’est, par exemple, entré dans les statistiques de la COVID-19 que le 5 février, au moment de recevoir sa confirmation.
Et cette base de données n’inclut que les cas détectés par les autorités sanitaires.
« Pour une infection avec autant de cas asymptomatiques, il se peut très bien qu'on n’arrive jamais à trouver le premier cas au Canada. »
- Nimâ Machouf, épidémiologiste
« Si vous arrivez à trouver le premier cas réel, je vous lève mon chapeau », renchérit Roxane Borgès Da Silva.
Mais à quoi bon
La quête du patient zéro n’a aujourd’hui plus d’importance, selon Caroline Colijn, de la chaire de recherche Canada 150 à l’Université Simon Fraser de la Colombie-Britannique.
C’est un fait depuis le 15 mars, lorsque le nombre d’infections liées à la transmission communautaire a dépassé ceux reliés aux voyages.
Identifier le patient zéro permet de contenir la maladie pour justement éviter qu’elle se propage dans la communauté, ce qui n’a pas été possible au pays.
« Il n’y aurait pas qu’un seul patient zéro au Canada de toute façon, évoque la chercheuse. Plusieurs Canadiens ont voyagé et sont revenus infectés à peu près au même moment. »
Chaque province peut donc avoir son patient zéro, et même en avoir plus d’un. Tous les cas canadiens ne pourraient jamais non plus être liés à un seul et même patient, selon elle.
Une étude sérologique, sans nécessairement retracer les débuts de la maladie, pourrait toutefois dévoiler l’ampleur de l’épidémie au Canada. Parce que les chiffres officiels ne sont pas le reflet de la réalité sur le terrain.
Méthodologie
L’information sur les premiers cas de COVID-19 au Canada a été colligée à partir des communiqués et des conférences de presse des autorités sanitaires provinciales.
La carte inclut les données des 103 premiers cas confirmés au Canada, entre le 25 janvier et le 12 mars, chez des voyageurs qui revenaient de l’étranger. Après cette date, la provenance des voyageurs n’était plus systématiquement indiquée. Cinq cas ont d’ailleurs été écartés en Ontario, au Manitoba et au Québec dès le 12 mars pour cette raison.
Les détails géographiques les plus précis ont été retenus. Les cas sont reliés par des villes, des provinces, des États, des régions sociosanitaires, des pays ou encore des continents, quand c’était la seule information disponible. Les géolocalisations ont été générées par Google Maps et Sheets et QGIS.
Les cas confirmés par contact ou transmission communautaire ont aussi été exclus de cette visualisation, mais sont détaillés dans les illustrations par province et territoire.
La carte ne prétend pas être le reflet exact de la réalité en temps réel, mais plutôt une visualisation d’où revenaient les premiers Canadiens diagnostiqués positifs à la malade.
Les illustrations par province reflètent la situation jusqu’au moment où les autorités sanitaires ont arrêté de détailler les cas. L’information disponible variait par ailleurs grandement d’une province à l’autre, d’où certaines disparités entre les illustrations.
La base de données des cas confirmés détaillés de la maladie à coronavirus (COVID-19), fournie par Santé Canada à Statistique Canada, est disponible ici.
Daniel Blanchette Pelletier journaliste, Melanie Julien chef de pupitre, Francis Lamontagne et Santiago Salcido designers, André Guimaraes développeur