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Du Nitassinan à l’Australie, de jeunes Innus portent leur culture à l’écran

Ce qui n'était au départ qu'un projet de classe du cours d'arts de l'école secondaire de Pakuashipi s'est transformé en impensable occasion de mise en valeur de la langue et de la culture des Innus de la Basse-Côte-Nord.

Un jeune femme fabrique des raquettes.

«Netshita En /J’étais là» sera présenté en première au festival de courts métrages de Canberra, en Australie.

Photo : MP Tremblay - Photo de tournage

Irréel : c'est le mot qui vient en tête lorsque s'exprime la petite délégation de cinq personnes en provenance de Pakuashipi, une communauté innue située 500 km à l'est de Sept-Îles, qui s'envolera samedi pour Canberra. Elles vont présenter pour la première fois au grand public leur court métrage intitulé Netshita En /J’étais là, réalisé entièrement en innu-aimun, lors du programme « First Nation Stories » du festival de courts métrages de la capitale australienne.

L'origine de ce projet remonte à deux ans, lorsque Marie-Pier Morin, enseignante en arts de l'école, a eu l'idée, avec un collègue, de monter un petit festival de films dans leur école pour initier les élèves à la création cinématographique. Devant le succès de l'expérience, elle a recondui le projet l'année suivante.

Comme je voyais que les jeunes aimaient bien ça, j'ai voulu aller un peu plus loin et j'en ai parlé à Martin-Pierre Tremblay, qui est cinéaste et qui venait donner des ateliers à l'école de temps en temps, explique-t-elle en entrevue avec Espaces autochtones.

La localisation de la communauté innue de Pakuashipi, sur la Basse-Côte-Nord.

Pakuashipi est une des communautés autochtones les plus isolées du Québec puisque aucune route ne s'y rend. Elle n'est accessible que par avion et par bateau ou en motoneige l'hiver.

Photo : Radio-Canada

Le projet de création de ce film a donc été mené dans le cadre du cours d'arts tout au long de l'année scolaire 2022-2023 et des élèves de tous les niveaux du secondaire y ont participé.

La Décennie internationale des langues autochtones

Consulter le dossier complet

Un tableau noir où est écrit Bienvenue en plusieurs langues autochtones.

C'était un projet de plus grande envergure que le premier festival, mais jamais il n'a été question de produire un film qui serait projeté à l'extérieur de la communauté au départ, raconte Mme Morin.

Emballé par le projet depuis le début, le cinéaste Martin-Pierre Tremblay explique qu'il a décelé deux contraintes d'emblée : il s'agissait d'un film de fiction et il devait être entièrement réalisé en innu-aimun.

Il y a déjà eu des documentaires qui ont été faits ici, qui montrent comment vivaient les Innus, qui parlent de leurs traumatismes. Je tenais à ce que ce soit une fiction pour que les jeunes puissent exprimer leur créativité et leur conception du monde, leur poésie, affirme-t-il.

La langue, le mode de vie, la culture innue, ce n'est pas folklorique, ça fait partie du monde contemporain. C'est ça qu'on va apporter à l'autre bout de la planète.

Une citation de Martin-Pierre Tremblay, cinéaste

Nous sommes dans la décennie internationale des langues autochtones et l'innu est la langue maternelle ici : ça allait de soi, fait-il remarquer.

Un produit de la communauté

Lorsque le projet a été lancé, les élèves ont rapidement décidé qu'ils souhaitaient raconter une histoire plutôt sombre, d'épouvante. C'est avec cette idée en tête qu'ils sont partis pour la première journée de tournage à Pakeishu, situé à 26 km au nord de la communauté.

On a pagayé jusque là-bas et ils nous filmaient, raconte Mani-Pishum Mestokosho, une des deux élèves qui se rendront en Australie. Il faisait froid, c'était la dernière journée de l'année avant que ça gèle, en novembre dernier.

En arrivant, on n'avait pas encore d'idée précise, et j'ai commencé à raconter une histoire qui me venait en tête, qui était un peu inspirée d'une légende d'ici, dit-elle.

C'était proche de l'histoire du Uapenatsheu, le marchand de fourrures, renchérit Mathias Mark, agent culturel au Conseil des Innus de Pakuashipi et à l'Institut Tshakapesh, une sorte de ministère innu de la Culture. Mathias a supervisé le projet et joué dans le film. Il est aussi le cousin de Mani-Pishum.

C'est une légende qu'on raconte non seulement ici mais aussi à Unamen Shipu et à Nutashkuan, qui parle d'un esprit qui apparaît quand il y a du brouillard et qui prend la forme d'un marchand de fourrures. Quand on s'en approche, il disparaît, détaille-t-il.

De gauche à droite : Mani-Pishum Mestokosho, Martin-Pierre Tremblay, Mathias Mark, Mika Tenegan et Marie-Pier Morin. Ils tiennent une paire de raquettes traditionnelles innues.

De gauche à droite : Mani-Pishum Mestokosho, Martin-Pierre Tremblay, Mathias Mark, Mika Tenegan et Marie-Pier Morin. Ils apporteront avec eux en Australie cette paire de raquettes dont le châssis a été confectionné par Andrew Poker, décédé il y a quelques années. La babiche a été tressée par deux aînées.

Photo : Radio-Canada / Jérôme Gill-Couture

On s'est entendus sur cette idée et notre adaptation pour le film donne l'histoire d'une femme disparue il y a longtemps, qui revient hanter la communauté, souligne Mani-Pishum.

Au total, sept élèves ont eu un rôle dans le film, en plus de Mathias Mark, de quelques aînés et même de certains policiers de la communauté.

Le film, c'est nous, c'est les Innus de Pakuashipi, explique Mathias.

Organiser le long voyage

À mesure qu'avançait la réalisation du film, Martin-Pierre Tremblay, le cinéaste, s'est aperçu à quel point le contenu produit lui semblait de très bonne qualité.

J'en ai parlé à Marie-Pier et je lui ai fait part de mon intention de soumettre le produit final à certains festivals à travers le monde pour voir ce que ça donnerait. Ça a quand même été une très grande et belle surprise quand j'ai eu l'invitation du festival de courts métrages de Canberra, indique-t-il.

Au départ, l'enseignante ne savait pas trop quoi faire avec tout ça. Jamais je ne me serais attendue à ça, et je ne voyais pas comment on pouvait envisager de se rendre à l'autre bout du monde comme ça! raconte-t-elle.

Rapidement, elle a commencé à envoyer des demandes de subvention. L'objectif initial était de partir à six personnes, trois élèves et trois adultes. Pour cela, ils avaient calculé qu'ils auraient besoin d'environ 60 000 $.

Pakuashipi, c'est loin! Juste pour les billets d'avion jusqu'en Australie, on parle d'environ 4000 $ par personne pour l'aller-retour, sans compter l'hébergement, la nourriture et tout. Je ne pensais pas y arriver, surtout que nous avions seulement un mois, mais j'ai essayé quand même.

Trois jeunes sont assis sur le bord de la rivière Pakuashipi.

Une scène du court métrage. Les jeunes sont assis sur le bord de la rivière Pakuashipi.

Photo : Martin-Pierre Tremblay - Photo de tournage

Finalement, elle a réussi à atteindre son objectif grâce au soutien de l'Institut Tshakapesh, du ministère de l'Éducation du Québec et du bureau de la députée provinciale Kateri Champagne Jourdain, notamment.

Il restait quand même un problème : personne ou presque n'avait de passeport à Pakuashipi. Parmi les jeunes qui ont joué dans le film, seule Mani-Pishum avait déjà voyagé hors du Canada. Pour sa part, Mathias Mark était déjà allé aux États-Unis, mais il est possible de traverser la frontière avec une carte de statut d'Indien.

J'ai dû me faire faire un passeport d'urgence. J'étais un peu réticent au début, mais j'ai senti que c'était vraiment important de porter notre culture. J'ai très hâte de rencontrer des Autochtones d'ailleurs dans le monde et d'échanger avec eux, nous dit Mathias.

Porteurs de culture

Lorsque Marie-Pier et Martin-Pierre ont annoncé la nouvelle aux élèves, ils ont été bouche bée.

On ne comprenait pas ce qui se passait, comment ça pouvait être possible, explique Mani-Pishum.

L'autre élève qui accompagne le groupe, Mika Tenegan, n'était pas sur place lors de l'annonce. Elle est entrée au Cégep de Sept-Îles cet automne après être devenue la première diplômée de l'histoire de l'école de Pakuashipi l'an dernier.

J'étais tellement excitée! J'étais en train de conduire et je pense que j'ai un peu pleuré de joie, témoigne Mika.

Une jeune fille est assise et une vieille femme est derrière elle.

Scène du court métrage où on voit le fantôme de la jeune femme qui hante la communauté.

Photo : Martin-Pierre Tremblay - Photo de tournage

Choisir qui allait partir n'a pas été facile. Finalement, les élèves ont décidé entre eux que Mani-Pishum et Mika allaient les représenter.

C'est sûr que c'est un peu intimidant de partir aussi loin, mais je me sens honorée qu'on m'ait choisie, raconte Mika.

Même sentiment pour Mani-Pishum, qui ajoute que c'est son grand-père, Charles Mark, qui lui donne la force d'y aller.

Il m'a aidée durant le film, c'est d'ailleurs mon plus beau souvenir du tournage. On a fait une scène avec lui et je ne me sentais pas trop à l'aise. Il m'a dit de ne pas avoir peur de m'exprimer, que c'était important de prendre la parole. C'est ce que nous allons faire là-bas, et il sera avec nous en pensée.

Une citation de Mani-Pishum Mestokosho

Sentiment partagé par Mathias, dont Charles Mark est aussi le grand-père. C'est quelqu'un qui a tellement inspiré la communauté! On va être en quelque sorte ses ambassadeurs.

C'est la posture qu'aura la petite délégation au cours de la prochaine semaine, en Australie : porter la voie des Innus ailleurs dans le monde, discuter, échanger et s'exprimer.

On va aller montrer des images de paysages enneigés de la Basse-Côte-Nord, des images de ski-doos en Australie, se réjouit le cinéaste Martin-Pierre Tremblay.

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