À Chisasibi, les fouilles des pensionnats freinées par les feux

Ce cimetière serait celui de l’ancienne infirmerie catholique, sur l’île de Fort George. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada
La communauté crie de Chisasibi, dans le Nord-du-Québec, est la première de la province à avoir confirmé, l'année dernière, entreprendre des fouilles pour tenter de retrouver des traces de corps sur le terrain de pensionnats. Les choses se sont gâtées depuis, mais Gertie Neacappo, coordonnatrice de la réponse aux pensionnats pour Autochtones, est patiente et est toujours convaincue de mener à bien les recherches. Entrevue.
Espaces autochtones : Où en sont les fouilles?

La coordonnatrice de la réponse aux pensionnats pour Autochtones, à Chisasibi, Gertie Neacappo, s'occupe des fouilles avec une dizaine de personnes.
Photo : Gertie Neacappo
Gertie Neacappo : Nous attendions un radar GPR [radar pénétrant du sol, NDLR] cet été – un appareil qui sert à détecter les anomalies du sol –, mais les feux de forêt ont bloqué l’accès à notre communauté, il n’est donc pas là pour l’instant. Les fouilles avec le radar devraient pouvoir commencer normalement le 8 octobre.
Les fouilles entravées par le feu
En juillet dernier, plusieurs communautés cries du Nord-du-Québec avaient dû être évacuées. L'accès à Chisasibi, Wemindji, Eastmain et Waskaganish, par la route Billy Diamond, était devenu impossible.
EA : À quoi ressemble la zone à fouiller?

Vue aérienne de l’île de Fort George avec cinq endroits où on entreprendra des fouilles au « géoradar » sous peu.
Photo : Radio-Canada
GN : Le pensionnat de Fort George est sur une île. Notre communauté a été déplacée de celle-ci à la fin des années 1970. C’est une zone qui est complètement en friche, beaucoup d’arbres ont poussé, donc on a énormément déblayé pour pouvoir fouiller, et ce n'est pas fini. Il reste encore bien des débris.
Chisasibi, mot cri qui signifie « grande rivière », est située sur la rive sud de la Grande Rivière, cours d'eau qui se jette dans la baie James. C’est la communauté crie la plus peuplée du Québec. Elle compte près de 5000 personnes et abrite, entre autres, le siège du Conseil cri de la santé et des services sociaux. La cheffe, élue en 2020, est Daisy House.
EA : Comment avez-vous fait pour commencer les fouilles sans radar?

L'épouse de George E. Pachano, Marie Louise Chakapash Pachano, en orange, donne des instructions aux maîtres-chiens lors de la fouille, en juillet.
Photo : George E. Pachano
GN : Deux chiens – de l'Association de recherche et de sauvetage canins de la vallée de l'Outaouais – sont venus en juillet. On les a eus avec nous pendant trois jours. Ils n’ont pas eu le temps de faire grand-chose. Deux personnes sont venues pour les guider. Nous allons les réinviter. Pour le moment, ils ont commencé à renifler sur le terrain de l’ancien pensionnat catholique.
Au départ, on sentait qu'ils ne savaient pas toujours ce qu’ils faisaient. Ils s’interrompent parfois, ils s’arrêtent.
Pourquoi utiliser des chiens pour les fouilles?
Les chiens couvrent plus de surface en moins de temps que les géoradars, expliquait l'archéologue Adrian Burke à CBC News (Nouvelle fenêtre). Une surface qui est couverte en une semaine via un géoradar met une seule journée avec un chien. Ils sont utilisés de manière complémentaire : un chien peut découvrir la zone indiquant des restes humains, et le géoradar peut permettre de confirmer la découverte.
EA : Avez-vous reçu beaucoup de témoignages de survivants pour vous aider dans vos recherches?

Des enfants en classe au pensionnat catholique de Fort George, en 1939.
Photo : (Deschâtelets Archives)
GN : C’est ce que je trouve le plus dur, pour l’instant. J’aurais aimé entendre davantage d’histoires de survivants. Mais pour eux, c’est dur de raconter. J’ai juste commencé en mai. On a communiqué sur le fait que l'on attendait des témoignages, alors on espère en recevoir plus. Mais beaucoup d’aînés qui sont allés dans les pensionnats ont disparu, il n’en reste plus que quelques-uns. Ça rend les choses difficiles pour nous.
EA : Est-ce que vous ressentez de la pression de la communauté pour que les fouilles aboutissent rapidement?
GN : Je ne trouve pas. Ils sont plutôt tranquilles, on travaille sereinement.
EA : Est-ce que vous avez assez de financement pour les mener à bien?
GN : Oui, on va y arriver. Nous sommes plus de dix personnes en tout à travailler sur ce dossier.
EA : Est-ce que la communauté a déjà décidé de ce qui se passera, une fois que des corps seront retrouvés?
GN : C’est une question que l’on continue de se poser. Il y a des étapes que l’on doit respecter. Pour l’instant, je n’entends pas de commentaires négatifs pour freiner les recherches. Moi, je veux aller au bout. Personnellement, j’ai vu une liste de noms des gens qui seraient sous la terre, et le nom de ma famille apparaît. C’était un proche, qui n’a jamais eu de tombe à son nom. Moi, je veux savoir ce qui lui est arrivé. Personne n’a su, dans ma famille, ce qu’ils ont fait du corps.
EA : Savez-vous combien de temps prendront les fouilles?
GN : Non, mais je sais que ça va être long.
L'histoire des pensionnats de l'île de Fort George
Plusieurs communautés (Whapmagoostui, Wemindji, Waskaganish, Nemaska, Mashteuiatsh, Moosonee, Attawapiskat et Albany) ont fréquenté les deux pensionnats de l’île de Fort George, les deux premiers à avoir été construits au Québec.
Le pensionnat catholique de Fort George (ou Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus), est resté ouvert de 1937 à 1981. Le Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR) fait état de six enfants morts dans cet établissement.
Le pensionnat St. Philipp, anglican, a ouvert ses portes en 1933 et a fermé en 1975. Sur le site du CNVR, il est précisé qu’en raison de son isolement, l’approvisionnement en nourriture et en eau était difficile. Après un incendie dans les années 1950, il fut reconstruit et était surpeuplé, explique le centre. Le registre du CNVR compte 11 enfants morts au pensionnat.
En juin 2022, la cheffe de Chisasibi, Daisy House, avait annoncé, après une longue consultation avec les survivants des pensionnats, que la communauté effectuerait des recherches sur le terrain. Nos enfants disparus ne sont jamais revenus à la maison. L’endroit où ils se trouvent est sacré – c’est à nous d’honorer leur mémoire
, avait-elle alors indiqué.

Daisy House travaille sous les yeux de son arrière-grand-père, Peter House, qui a été chef de la côte de Chisasibi (alors Fort-George) il y a un siècle. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
Cette entrevue a été éditée à des fins de concision.