Le redwashing, ou comment s’acheter une bonne conscience auprès des Autochtones
Elles promettent monts et merveilles. Elles financent des initiatives soutenant les Autochtones. Elles assurent protéger le territoire. Elles sont partenaires de la Commission de vérité et réconciliation. Pourtant, banques, minières et pétrolières ne sont pas forcément considérées comme des alliés pour les Autochtones.

Des manifestants mettent en garde contre l'écoblanchiment. (Photo d'archives)
Photo : Getty Images / Peter Summers
Faire du redwashing, en plus de l’écoblanchiment. Voici ce que dénoncent militants et Autochtones en évoquant le comportement des banques et des industries minières et pétrolières.
Si tout le monde est familier avec le terme écoblanchiment, ce n’est pas le cas avec le redwashing.
Le redwashing est une réponse à une question sociale et juridique qui se contente de coopter le langage et les symboles, mais n’apporte aucun changement transformateur ou significatif. C’est une tentative de créer une apparence de réconciliation [avec les Autochtones]
, alors que c’est purement superficiel
.
La définition est donnée par Robert Houle, professeur cri de l’Université de l’Alberta et auteur d’un rapport intitulé Redwashing extraction – Indigenous relations at Canada’s Big Five banks, publié en août 2022.

Le rapport pointe du doigt une certaine hypocrisie de la part de l'industrie du pétrole.
Photo : Yellow Institute
Clayton Thomas Muller, un auteur et militant cri de la communauté de Pukatawagan (nord du Manitoba), ajoute que ce procédé est une tentative de la part d’une entreprise de se montrer bienveillante à travers des parrainages. C’est un processus pour cacher les effets négatifs de l’entreprise
, poursuit-il. Des pratiques qu’il dénonce comme manipulatrices
.
Parmi les industries qui ont le plus recours au redwashing, on retrouve les banques, les minières, ou encore les gazières et pétrolières.

Clayton Thomas Muller est très critique envers les techniques de communication des entreprises qui opèrent sur les territoires autochtones.
Photo : Gracieuseté : Clayton Thomas Muller
Pour s’acheter une bonne conscience, ces entreprises, tout en continuant de financer l’exploitation extractive qui nuit à l’environnement ou d'y participer, financent des programmes pour soutenir l’éducation ou encore la culture autochtone. Le tout pour peindre un portrait rose
et montrer que ces entreprises sont de bonnes voisines des Autochtones et qu’elles participent activement à l’économie
, dit encore M. Thomas Muller.
Par exemple, la Banque Royale du Canada est partenaire du Centre national pour la vérité et la réconciliation. Elle met aussi en avant ses employés autochtones dans son rapport annuel et cite le leader autochtone Phil Fontaine.
La Banque Scotia dit financer l’organisme autochtone Downie-Wenjack, sans donner le montant alloué, en plus d’offrir des cours de sensibilisation à ses employés.
La Banque de Montréal, quant à elle, a créé en 2020 un Conseil consultatif autochtone qui offre des conseils concernant les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, mais il n’est pas clair si [le conseil] dispose de pouvoirs
, selon le rapport de M. Houle.
Le Conseil mondial de l'or fait la promotion d'un documentaire intitulé Gold: a journey with Idris Elba, montrant de magnifiques paysages en Afrique où l'extraction de l'or est légion.
Une opération marketing rodée
Ces tentatives de redwashing et d’écoblanchiment sont possibles grâce à une communication bien rodée, selon Colin Pratte, chercheur à l’Institut de recherche socioéconomique.
Régulièrement, les entreprises font la promotion de leur soutien à certaines causes autochtones, évoquent la Commission de vérité et réconciliation ou montrent qu’elles embauchent des Autochtones.

La Banque Royale du Canada n'a pas souhaité faire de commentaire sur le sujet. (Photo d'archives)
Photo : Reuters / Mark Blinch/Reuters
Arcelor Mittal, par exemple, a annoncé en grande pompe l’emploi de trois Innus comme gardiens du territoire
sur son site. Mais après plusieurs tentatives, la minière n’a jamais répondu favorablement à nos demandes de rencontres sur le terrain avec ces Autochtones. Elle n’a pas non plus répondu à nos demandes de réaction concernant le redwashing et l’écoblanchiment.
La Banque Toronto-Dominion a mis le paquet sur l’annonce de sa bourse d’études pour les peuples autochtones : 15 000 $ par an pour 25 étudiants autochtones durant 4 ans.

L'usine de bouletage d'Arcelor Mittal à Port-Cartier transforme le minerai provenant de la région de Fermont. (Photo d'archives)
Photo : Arcelor Mittal
Clayton Thomas Muller ajoute aussi les commandites des entreprises extractives pour différents musées autochtones ou différents programmes d’éducation dans la liste.
L’Association canadienne des producteurs de pétrole a de son bord, le 31 août dernier, souligné que de 2012 à 2021, les producteurs de gaz naturel et de pétrole conventionnels ont diminué de 24 % leurs émissions d’équivalent de dioxyde de carbone
. Elle indique aussi favoriser la participation et la prospérité des Autochtones
.
Alain Deneault, philosophe et économiste, réagit justement à ce communiqué de presse. Cette donnée ne repose pas sur une étude indépendante, mais intéressée, celle de l'Association canadienne des producteurs pétroliers. Les critères retenus sont sélectifs : on soustrait la filière polluantissime des sables bitumineux par exemple et n'envisage pas la portée de projets à venir, et peu de considérations sont faites sur la méthodologie.

Le secteur pétrolier et gazier est grassement soutenu par les banques canadiennes. (Photo d'archives)
Photo : La Presse canadienne / Jeff McIntosh
Le mirage du développement durable et la vile instrumentalisation des Autochtones n’altèrent en rien la réalité
, ajoute-t-il encore.
L’enjeu c’est de contrôler le message.
Mais cela va bien plus loin, comme l’explique Alain Deneault : les industries extractives ont réussi, à coup de sorties publiques, à se placer en position de sujet
et non plus d’objet
. Il dénonce une inversion sémantique
.
[Ces entreprises] se placent dans la position du sujet et disent que "l’histoire se fait avec nous et à travers nous. Vous voulez de l’écologie et une lutte contre la pollution, alors ça va passer par le développement durable, et ça, c’est notre affaire". Ainsi, ils ne sont plus l’objet de la critique
, détaille-t-il.
Les arguments des entreprises minières notamment sont souvent les mêmes ces derniers temps : il faut développer le secteur des terres rares pour lutter contre le réchauffement climatique.
Alain Deneault déplore le fait que le discours actuel limite la cause climatique à l’écologie, en oubliant la qualité de l’eau et de l’air.

Alain Deneault estime que les banques, les minières et les pétrolières ont réussi à se placer comme des moteurs du changement pour résoudre la crise climatique. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Hamza Abouelouafaa
Pour Shane Moffat, responsable de la campagne nature et alimentation chez Greenpeace, cela revient à abuser de la nature pour le progrès
et à perpétuer une vision colonialiste de notre rapport à la nature
.
La science est très claire : il faut protéger la nature, arrêter les projets extractifs et respecter les droits des Autochtones
, ajoute-t-il.
Le but de ces opérations de communications? Engourdir la pensée, répond M. Deneault. L’idée, pour ces entreprises, n’est même pas d’être crédible; c’est de faire en sorte que, par paresse, l’individu moyen n’ait pas envie de démêler le vrai du faux.
Des conséquences pour les Autochtones
Selon les experts, ces opérations d’écoblanchiment et de redwashing nuisent aux Autochtones.
En ce qui a trait à l’exploitation des ressources, tous disent qu’ils sont en première ligne. Ce sont leurs territoires qui sont convoités.
Shane Moffat estime que les entreprises extractives ne proposent aucune autre option aux Autochtones pour leur développement économique.
Les communautés n’ont pas le choix. Ça revient à leur dire : "c’est une mine ou la pauvreté" et elles ne méritent pas de faire ce choix.
Selon l’avocat abénakis Alexis Wawanoloath, les entreprises extractives profitent d’une situation de vulnérabilité des communautés
.
Colin Pratte relève que ce faux choix
crée des tensions au sein des communautés sur les différents modèles de développement à préconiser.

Colin Pratte, chercheur à l’IRIS, croit qu'on offre un « faux choix » aux communautés autochtones concernant les accords avec les minières. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Clayton Thomas Muller rappelle aussi que les sommes versées aux communautés autochtones proches des territoires exploités sont peu élevées, surtout si on les compare aux bénéfices des entreprises et aux sommes versées à leurs actionnaires.
Il ajoute que ce sont les Autochtones qui continuent de payer le prix de la course aux minerais, d’autant plus que ce sont eux qui contribuent le moins au réchauffement climatique
.
Robert Houle croit que cela cantonne les Autochtones à des rôles superficiels dans l’économie en général. Cela place les intérêts des industries et des Autochtones sur un pied d'égalité, ce qui diminue l’importance des intérêts autochtones et va à l'encontre de décisions juridiques majeures
.

Les minières disent vouloir mettre la main sur des terres rares pour participer au virage vert de l'économie. (Photo d'archives)
Photo : Facebook / Impala Canada
L’Association minière du Québec insiste sur le fait que l’industrie minière est l’un des secteurs qui emploient le plus grand nombre de personnes issues des Premières Nations et Inuit
et renvoie à une étude indiquant que 11 % des employés dans le secteur minier sont des Autochtones.
Sur ces 11 %, 15 % d’entre eux sont considérés comme des employés de production
et une autre proportion de 15 % est constituée d'employés de soutien (souvent administratif)
. Des dénominations qui donnent peu d’informations sur la nature précise du travail des Autochtones dans les mines.
Souvent, les communautés se voient proposer des contrats pour des services de nettoyage, de préparation des repas ou de sécurité. Ces opportunités sont loin de constituer un véritable partenariat, une propriété ou un transfert de main-d'œuvre qualifiée qui permettrait aux communautés de se lancer dans l'aventure par elles-mêmes
, critique Robert Houle.
L'avocat Alexis Wawanoloath estime que du point de vue du partage économique, on ne voit pas grand-chose
.
Les intéressés se défendent peu
Interrogées sur leurs pratiques, la RBC a indiqué n’avoir aucun commentaire à fournir, et la Banque Toronto-Dominion et BMO n’ont pas répondu à nos demandes. La Banque Scotia et la CIBC nous ont envoyés vers l’Association des banquiers canadiens (ABC), qui ne nous a pas accordé d’entrevue.
Cette dernière nous a envoyé un courriel qui illustre les propos que tiennent les organisations environnementales et les Autochtones accusant les banques de redwashing.
L’ABC évoque des initiatives axées sur un avenir plus inclusif et plus viable pour tous les Autochtones
et dit assumer un rôle responsable dans la question cruciale des changements climatiques
.
En attendant, les cinq grandes banques canadiennes ont investi 558 milliards de dollars dans les projets pétroliers et gaziers depuis 2016.
La Banque de Montréal a par exemple investi 22 milliards de dollars dans TC Energy entre 2016 et 2020, selon le rapport de M. Houle. Ce financement relie la banque au projet de gaz naturel Coastal sur le territoire des Wet'suwet'en.
Le financement de la Banque Royale du Canada lié à l’expansion des combustibles fossiles a bondi de 45 % en 2022, selon l'organisme Stand.earth. Elle est même le plus grand bailleur de fonds mondial en 2022, selon une étude du consortium Banking on Climate Chaos.
Écouter notre entrevue à l'émission Ça vaut le retour sur le sujet.
De son côté, l'association des producteurs de pétrole et de gaz naturel du Canada nous a répondu que son horaire ne permettait pas
de nous accorder une entrevue. Cette demande a été formulée le 31 août.
Robert Houle croit que pour mieux lutter contre le redwashing et l’écoblanchiment, les communautés devraient collaborer davantage entre elles afin d'utiliser leurs capacités de négociation collective pour les projets qui traversent leurs territoires
.
Selon lui, une entreprise qui pourrait véritablement affirmer prendre à cœur la situation des Autochtones serait une entreprise prête à offrir un partenariat d’égal à égal aux communautés.
Un partenariat à 50/50 dans l'exploitation des ressources qui peut intégrer pleinement les pratiques autochtones. En cas de violation, l'entreprise s'engage à suspendre les projets
, termine-t-il.