Les Mohawks de Kahnawake et la reconquête (écologique) de leur territoire
L'île Tekakwitha est pour les Mohawks l'équivalent de l’île Notre-Dame, avec en plus une énorme valeur symbolique.

Un cargo emprunte la Voie maritime du Saint-Laurent tandis que, sur l'île Tekakwitha, on peut observer les travaux de construction dans la future zone du marais.
Photo : Gracieuseté KEPO
Les résidents de la communauté de Kahnawà:ke sur la Rive-Sud de Montréal inaugurent cette semaine la revitalisation complète de l’île Tekakwitha, née de la construction de la voie maritime dans les années 1950. Récit de la réappropriation d’un territoire et de sa mise en valeur environnementale.
Un peu d’histoire…
La communauté mohawk de Kahnawake (Kahnawà:ke) vit sur les bords du fleuve Saint-Laurent depuis environ 350 ans. Jusqu’aux années 1950, les berges étaient un lieu de rassemblement où les familles pouvaient nager, pêcher, cueillir des plantes médicinales et se laver
, mentionne la communauté sur la page web consacrée au projet de revitalisation.
Mais pour la construction de la voie maritime achevée en 1959, le gouvernement fédéral s’est arrogé par expropriation 1262 acres de terres pour faciliter le passage des grands navires de commerce. Même si les deux tiers de cette superficie sont retournés à la communauté au cours des deux décennies suivantes, la perte de territoire est estimée à la surface d'environ 230 terrains de football.
La communauté a combattu la construction, mais il y avait beaucoup de mensonges, de coercition, de confusion, de promesses vides et d'expulsions forcées.
Un avis partagé par certains non-Autochtones. Ce qui était autrefois un littoral est désormais dangereux pour la baignade, et la pollution et l’accumulation de sédiments provenant des paquebots posent un risque pour la santé en matière de pêche
, mentionne un article (Nouvelle fenêtre) publié sur le site Internet du Centre canadien d’architecture (CCA).
Par ailleurs, les compensations financières offertes aux Mohawks expropriés ont été bien moindres qu’ailleurs le long du tracé, et plusieurs promesses n’ont jamais été tenues, comme celle de la construction d’une piscine communautaire.
Il n’y a d’autre choix que de reconnaître que ce projet, un site de dépossession colonial, a sapé les droits préexistants et souverains de la communauté kanien’keha de Kahnawà:ke.
Genèse du projet de revitalisation
Malgré tout, la récupération de grosses quantités de roc et d’argile, liée au creusage du chenal dans le lit du fleuve, aura permis d'agrandir les îlots déjà existants pour créer une grande île artificielle mesurant environ 2 kilomètres de long sur 250 mètres de large. Un peu comme l’île Notre-Dame, née des résidus du perçage des lignes de métro.
Depuis 1959, la communauté a donc perdu l’accès direct au fleuve, mais elle a gagné une île qui, par sa situation géographique, forme une baie propice aux activités nautiques.

Sur cette vue aérienne de Kahnawake, on voit le chenal de la voie maritime et, juste en dessous, l'île Tekakwitha ainsi que la baie.
Photo : Gracieuseté
Le problème, c’est que le manque de débit dans la baie a causé, avec le temps, une accumulation de sédiments et la prolifération de plantes aquatiques. Quant à l’île, son sol compacté, pauvre et rocailleux limite la biodiversité végétale et animale et favorise la prolifération d'espèces envahissantes.
Avec l’aide de plusieurs partenaires (Ottawa, CDPQ Infra et le Fonds d’action du Saint-Laurent) qui financent le projet de 4 millions $, le conseil de bande a entrepris depuis quelques années différents chantiers de revitalisation.
Ces derniers vont du dragage de la baie pour pouvoir créer des collines fertiles à l’instauration d’un marais qui favorise la biodiversité tout en prévenant les inondations, en passant par la création d’une plage, d’une forêt nourricière et d’habitats facilitant la ponte des tortues et l’hivernage des serpents.
La restauration de l'île et de la baie de Tekakwitha nous permettra de continuer de cueillir, de pêcher, de nager et de pagayer, et d'encourager les prochaines générations à aimer et à protéger le fleuve comme le faisaient nos ancêtres.
Visite éclairante
À l'origine de tous ces travaux se trouve une équipe d’une quinzaine de jeunes Autochtones et non-Autochtones férus d’environnement qui sont employés au sein du KEPO (Kahnawake Environment Protection Office (Nouvelle fenêtre)).
L’une des premières étapes a consisté à retirer les plantes aquatiques envahissantes de la baie et à aspirer les sédiments de celle-ci sur 40 mètres de largeur afin de rétablir un certain courant. Les résidus pompés, un mélange d’eau et de vase, ont été envoyés dans des bassins d’assèchement situés à proximité du marais artificiel creusé pour absorber les inondations.
Les 5000 m3 de sédiments ainsi récupérés au fond de la baie (l’équivalent de 250 camions de 10 roues) ont ensuite été mélangés à du sable pour obtenir une terre arable permettant de soutenir les plantations. Jusqu’ici, 15 000 arbustes, arbres et plantes ont été semés sur l'île.
D’autres devraient s’ajouter, selon Marina Gosselin, qui pilote le projet de forêt nourricière au KEPO. La population de Kahnawake, qui compte environ 10 000 habitants, est actuellement consultée pour déterminer les types de plantations prévus.
D’ici quelques années, les résidents devraient pouvoir venir y cueillir des cerises, des pommes, des poires et des plantes médicinales si les premiers résultats de la consultation se confirment. L’autonomie alimentaire figure en effet parmi les priorités du conseil de bande. Une banque de semences est en voie d'être implantée au sein de la bibliothèque de la communauté.
Afin de favoriser la vie animale, plusieurs aménagements ont été conçus autour du marais, notamment une structure artificielle de nidification pour les hirondelles de rivage. Celle-ci comptait déjà 93 nids dont les entrées sont creusées dans la façade de béton, mais plusieurs autres apparaissent dans les colonnes de sable qui maintiennent la structure, signe que cette espèce protégée a adopté l’endroit.
Entre 1970 et 2019, 98 % des hirondelles de rivage ont disparu au Canada, et Kahnawake participe au projet d’étude visant à en apprendre plus sur cette espèce.
Récemment, dans le cadre du projet Motus, nous avons équipé 60 hirondelles de balises. Ces données peuvent nous aider, ainsi que d'autres chercheurs, à en savoir plus sur leur migration, leur taux de survie, et de savoir si, par exemple, elles nichent au même endroit d'une année à l'autre
, explique Cole Delisle, qui pilote l'établissement de l'habitat de l'hirondelle de rivage.

Cole Delisle tient dans sa main une hirondelle au cours d'une opération de baguage.
Photo : Gracieuseté KEPO
Un peu plus bas, on traverse une prairie nouvellement plantée d’herbes indigènes pour aboutir à un empilement de roches indiquant la présence d’un hibernaculum, un site souterrain favorisant l’hibernation des invertébrés.
La couleuvre brune est présente sur l’île. C’est le type de couleuvre le plus rare au Québec, et on la trouve principalement dans la région de Montréal. Une étude est aussi en cours pour vérifier si l’île héberge maintenant plus que la quinzaine de serpents détectés en 2020, au début des travaux de revitalisation de l’île.
À quelques dizaines de mètres de la baie, une aire de nidification des tortues a été conçue. On a dénombré 13 zones de ponte où l’on protège les œufs des prédateurs, mais il y en a probablement trois fois plus, car elles sont difficiles à détecter en raison de la végétation, mentionne M. Delisle.
La réhabilitation de l’île Tekakwitha (du nom de la sainte à qui l'Église attribue des miracles) ne serait toutefois pas complète si elle ne s'accompagnait aussi de mesures pour favoriser son utilisation par la population. Pour ce faire, une piste cyclable a été construite, de même qu’une plage de sable fin et une zone de mise à l’eau des embarcations.

La plage de Kahnawake a été construite en 2021.
Photo : Gracieuseté KEPO
Lors du passage d’Espaces autochtones, la baignade était toutefois interdite, des traces trop importantes d'E. coli ayant été détectées dans la baie.
Et ensuite?
En plus du projet de forêt nourricière qui doit encore se concrétiser, les membres du KEPO doivent s'assurer de maîtriser la prolifération des plantes envahissantes sur l'île. Ils suivront aussi attentivement les résultats des travaux des chercheurs de l'Université d'Ottawa.
Ces derniers ont installé des capteurs pour mesurer notamment la hauteur des vagues et la turbidité de l'eau (présence de boue) dans le sillage des cargos qui empruntent la voie maritime. Le conseil de bande aimerait notamment savoir à quel point ces navires sont à la source des problèmes de sédimentation dans la baie.
De gros blocs de béton, vestiges d'une ancienne route, doivent aussi être enlevés du fond du plan d'eau. Leur retrait pourrait permettre d'atteindre un débit d'eau suffisant dans la baie pour éviter les problèmes actuels d'eutrophisation.