L’APN demande à Ottawa de reconnaître comme essentiels les services de police autochtones

Le chef régional du Québec Ghislain Picard lors de l'Assemblée générale annuelle de l'Assemblée des Premières Nations (APN) à Halifax
Photo : Radio-Canada / Jérôme Gill-Couture
Deux semaines après qu'un jugement de la cour fédérale du Canada a obligé Ottawa à verser un financement à trois services de police autochtones de l'Ontario avec qui les négociations étaient dans l'impasse, l'Assemblée des Premières Nations (APN) exige maintenant que le fédéral reconnaisse la police autochtone comme un service essentiel.
Selon le groupe de travail sur les services de police de l'APN, l'attitude d'Ottawa en matière de financement des services policiers dans les communautés est loin d'inspirer confiance.
Cette situation survient alors que les besoins de nos communautés en matière de sécurité ne cessent d'augmenter, et que nous n'avons pas les moyens de nous en occuper en raison de l'incertitude de nos rapports avec les gouvernements
, lance la cheffe de la Première Nation M'Chigeeng et membre du groupe de travail de l'APN sur les services de police, Linda Debassige.
Depuis 1991, le financement des services de police dans les communautés autochtones est assuré par le Programme des services de police des Premières Nations (PSPPN) dans l'ensemble du pays. Or, le financement de ce programme est discrétionnaire, et les Nations ou les organisations responsables doivent régulièrement négocier pour obtenir un financement des deux ordres de gouvernements.
Le 31 mars, ces négociations avec le ministère de la Sécurité publique du Canada ont échoué, et les financements des services de police du Traité no 3, UCCM Anishinaabe et Anishinabek ont été annulés.
La situation a entraîné une poursuite et la décision du juge Dennis Gascon, le 30 juin, obligeant Ottawa à fournir du financement aux trois services policiers pour la prochaine année.

Linda Debassige est la cheffe de la Première Nation M'Chigeeng.
Photo : Radio-Canada / AYA DUFOUR
Les négociations sont faites avec un manque de respect et un rapport de force évident et déplorable
, explique la cheffe Debassige.
Reconnaître comme essentiels les services de police autochtones
Nos policiers ne sont pas des gardiens de sécurité avec un pistolet. Ils sauvent des vies, servent leur communauté. Ils ont le même entraînement que les policiers provinciaux et sont extrêmement compétents
, explique la cheffe Linda Debassige.
Avec l'historique de la présence policière non autochtone dans nos communautés, il est normal que les gens soient méfiants à l'endroit des policiers provinciaux. C'est clair que nos services policiers sont essentiels. Le manque de soutien est une question de manque de volonté politique, d'incompétence flagrante de la part de ceux qui sont censés être parmi les personnes les plus éduquées de notre pays.
Plusieurs communautés ne peuvent se doter d'un service de police, alors que d'autres l'ont perdu faute de financement dans les dernières années, selon les chefs. L'instabilité du financement créerait une situation stressante pour les policiers autochtones, alors qu'ils doivent déjà composer avec un manque de personnel en raison des fonds limités.
Ce n'est pas la première fois que nous demandons à ce que les services de polices autochtones soient reconnus comme essentiels
, indique le chef de l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) Ghislain Picard. Cependant, les réponses que nous avons du ministre Mendicino et ceux que nous avons ensuite de son ministère vont rarement dans le même sens.

Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino (Photo d'archives)
Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick
Dans certaines régions du pays, la complexité des questions de financement des services de police fait en sorte que certaines nations souhaitent se doter d'un service de police autochtone régional, commun à plusieurs communautés d'une même nation.
C'est le cas de ma nation, la nation innue, qui discute de cette éventualité depuis l'automne. Ça permettrait que les communautés qui ont un service de police bien établi puissent faire front commun avec celles qui n'en ont pas pour négocier plus efficacement leurs financements avec les paliers de gouvernements
, explique le chef Picard.
Une situation qui rappelle Mashteuiatsh
Depuis plusieurs années déjà, la communauté innue de Mashteuiatsh dénonce le sous-financement de ses services policiers, et son chef, Gilbert Dominique, avait même déposé une plainte au Tribunal des droits de la personne en 2016.
En février 2022, le Tribunal avait reconnu que le Programme des services de police des Premières Nations (PSPPN), administré par Sécurité publique Canada, ne permettait pas de couvrir les dépenses des services policiers autochtones afin qu'ils puissent offrir un minimum de service et avait associé ce sous-financement à de la discrimination.
Ce jugement, désormais connu comme « l'Affaire Dominique » à l'APN, a été porté en appel en décembre 2022. Mashteuiatsh a, une fois de plus, eu gain de cause.
Ce genre de saga judiciaire, même si elle s'est terminée à l'avantage de la Première Nation, est à éviter, selon le comité de l'APN.

Ghislain Picard, chef régional Québec-Labrador à l'APN
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
Le récent jugement du juge Gascon sur le financement des services de police en Ontario est positif, et met en lumière l'ambiance malsaine qui règne dans les négociations des services policiers autochtones, et nous appelons fortement Ottawa à ne pas faire appel du jugement
, a commenté Ghislain Picard.
En attendant, plusieurs questions restent en suspens, ne sachant pas si le ministre Mendicino et son gouvernement reconnaîtront les services policiers comme essentiels ou encore si Ottawa portera en appel le jugement de la cour fédérale du 30 juin.
Les dernières années ont été loin d'être convaincantes en la matière, donnant l'impression, selon la cheffe Linda Debassige, que le Canada continue de nous demander d’administrer notre propre misère, sans même que nous soyons impliqués dans le processus décisionnel
, reprenant ainsi les propos du chef Brian Perrault de la Première Nation Couchiching de l'Ontario.