L’industrie touristique autochtone en plein essor, contre vents et marées
Des entrepreneurs autochtones touchés par les feux de forêt espèrent que la reconstruction leur permettra de s'agrandir afin de satisfaire un tourisme en poussée de croissance.

Au Tourilli, site de la nation huronne-wendat, la pêche sportive cible l’omble de fontaine (ou truite mouchetée).
Photo : Daniel Picard
Après la parenthèse noire provoquée par la pandémie, c’était alerte rouge pour plusieurs entrepreneurs en tourisme de plein air qui ont cessé leurs activités à cause des feux de forêt. Parmi eux, de nombreux Autochtones. Dans l'attente d'être indemnisés par les assurances, ils redoublent d’ambition pour répondre à une demande toujours plus forte malgré les vents contraires.
Premier constat : l’épaisse fumée qui s’est répandue au-delà des frontières a rebuté plus d’un touriste qui lorgnait le Québec.
Un certain nombre de visiteurs ne veulent pas prendre de chance car la crise s’allonge
, observe Dave Laveau, directeur général de Tourisme Autochtone Québec, une association d'aide aux entrepreneurs autochtones. Chez plusieurs de ses membres, les annulations des clients se sont multipliées au même rythme que les interdictions officielles de circuler en forêt dans les régions en proie aux flammes.
Pour illustrer l’ampleur des dégâts, M. Laveau cite quelques chiffres récents : 77 % des entreprises touristiques offrent des expériences « nature », et parmi elles, 54 % ont dû composer avec des annulations. Pertes de revenus, d’emplois, parfois même d’infrastructures.
Les impacts sont importants
, assure le directeur général actuellement en quête de données chiffrées auprès de ses membres pour avoir un meilleur portrait des pertes encourues.

La pourvoirie innue Moisie Nipissis avant et après le passage des flammes.
Photo : Gracieuseté d'Anne Rock et d'ITUM
Le secteur du tourisme autochtone, comme bien d’autres, devait déjà composer avec une pénurie de main-d'œuvre aggravée par la pandémie. Mais contrairement aux autres secteurs d’activités, nous ne pouvons pas embaucher des travailleurs immigrants, dans la mesure où les clients s’attendent à une expérience autochtone
, rappelle Dave Laveau, comme une évidence.
Reconstruire
Outre les feux, il faut dire que la saison avait bien mal commencé sur la Côte-Nord, quand un pont fissuré a ralenti l’économie touristique. La moitié des réservations d'activités et d'hébergement du mois de juin jusqu’à la mi-juillet ont été annulées en Minganie, selon les autorités locales.
Dans cette région, presque au même moment, des pourvoiries réputées pour la pêche et la chasse ont été réduites en cendres, comme celle de la Moisie Nipissis, destination de luxe pour les pêcheurs de saumon passionnés (jusqu’à 5000 $ par jour et par personne) et manne économique non négligeable pour la communauté innue de Uashat mak Mani-utenam.

Photo d'André Michel, de la pourvoirie Moisie Nipissis, située près de Sept-Îles, sur la Côte-Nord.
Photo : André Michel
Sur place, les pourvoyeurs innus font visiter les lieux calcinés aux assureurs en hélicoptère. Une vingtaine de bâtiments sont partis en fumée. Il y avait un grand chalet, le pavillon central, mais aussi cinq petits chalets et d’autres installations pour les guides et les travailleurs de l’équipe
, partage André Michel, directeur du Bureau de la protection des droits et du territoire du conseil de bande Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam (ITUM).
Sur les lieux ravagés, de nouvelles infrastructures devaient même accueillir des jeunes de la communauté pour des thérapies liées à la toxicomanie, mais aussi pour les aider à renouer avec leur identité culturelle, explique M. Michel.
Une chose est sûre : les montants qui seront proposés par les assurances après inspection des lieux ne seront pas suffisants pour répondre aux ambitions touristiques de la communauté, fait valoir le biologiste innu.

Pierre Dufour, député d'Abitibi-Est, Caroline Proulx, ministre du Tourisme, Jaclin Bégin, préfet de la MRC d'Abitibi-Ouest, Christopher Skeete, ministre délégué de l'Économie, Suzanne Blais, députée d'Abitibi-Ouest, et Daniel Bernard, député de Rouyn-Noranda/Témiscamingue.
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Cotnoir
Mercredi, Québec a annoncé une aide de 50 millions de dollars sous forme de prêts pour les entreprises touchées par les feux de forêt, des mesures qui ne se substituent pas aux assurances
, a précisé Christopher Skeete, ministre délégué à l'Économie. Mais voilà : la mesure peine à convaincre un secteur déjà endetté.
Avec la COVID, on a déjà eu recours à des prêts qui n’ont pas encore été remboursés, ça prend plutôt des compensations, des aides directes
, insiste Dominic Dugré, directeur général de la Fédération des pourvoiries du Québec (FPQ). Réponse du ministre délégué de l'Économie : On donne un taux avantageux, plus bas que le taux marchand […] on pense qu’on est à la bonne place, compte tenu de l’enjeu et de la rapidité avec lequel on l’a déployé
.
Les feux sont survenus en plein mois de juin, soit la haute saison de pêche, le mois le plus profitable
, renchérit M. Dugré, qui chiffre les pertes de ses adhérents en millions de dollars par semaine.
Reconstruire, ça dépasse le coût des assurances. Certains sites ne sont accessibles qu’en hydravion, il faut faire venir les travailleurs, les loger.
Occasion de développement
L’Innu André Michel préfère rester philosophe et confiant après l’incendie : Le chef a parlé au premier ministre de la pourvoirie. Il a dit qu’il allait nous aider à compléter le financement dont on a besoin
.
Les Innus de Uashat-Maliotenam, qui ont acquis la pourvoirie en 2019, caressent le projet d’une auberge 4 étoiles, de cuisines tout équipées, un magasin avec des articles de pêche
. La reconstruction envisagée permettrait de doubler le nombre de clients sur ce site réputé pour des paysages à couper le souffle.
Preuve de son succès? En pleine période d’incendies, seulement le quart des réservations ont été annulées. Même si on ne pouvait plus les loger, les clients tenaient quand même à venir, quitte à réserver un hôtel à leurs frais à Sept-Îles, assure M. Michel. Ils nous encouragent
. Quant aux plages horaires qui se sont libérées, elles ont immédiatement trouvé preneur.
On a été agréablement surpris. Oui, les infrastructures ont brûlé, mais pas les sites de pêche, et les poissons sont toujours là.
Destination d’exception, la pourvoirie Moisie Nipissis illustre un engouement certain pour le tourisme autochtone au Québec.
Avant la pandémie, nous avions 247 expériences réalisées par des entreprises autochtones, cette année on dépasse le plancher des 300
, se félicite Dave Laveau, directeur général de Tourisme Autochtone Québec. Cet attrait s’illustre aussi à l’étranger. Le festival Plaisirs d'hiver, en Belgique, a choisi de mettre en lumière les Autochtones du Québec pour sa prochaine édition qui aura lieu du 24 novembre au 31 décembre à Bruxelles.
Pour Dave Laveau, l’avenir du tourisme autochtone – très ancré dans les milieux naturels – passera aussi par une offre favorisant le développement durable. C’est là qu’il faut travailler et concentrer les efforts, c’est ce qu’on encourage
, conclut-il.