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Feux de forêt : les communautés cries jonglent avec différentes émotions

Un panneau d'une communauté crie.

Oujé-Bougoumou est vidée de ses habitants depuis mardi soir.

Photo : Gracieuseté: Lance Cooper

Les communautés cries qui luttent contre les feux de forêt vivent un mélange d’émotions, entre stress et anxiété d’une situation menaçante et incertaine, reconnaissance de l’accueil reçu par les évacués et inquiétude pour l'avenir.

Oujé-Bougoumou, située à environ 730 kilomètres au nord de Montréal, a évacué la totalité de sa population, tandis qu'à Waswanipi, ce n'est qu'une partie des gens qui sont partis. À Mistissini, les personnes très vulnérables (femmes enceintes, personnes très malades) ont dû quitter la communauté par mesure de précaution.

La lutte

On met beaucoup d’efforts, on fait tout pour garder Oujé-Bougoumou, s'exclame le vice-chef de la communauté, Lance Cooper.

Oujé-Bougoumou, qui veut dire en cri le lieu où se rassemblent les gens, a été vidée de sa population mardi soir après un ordre d’évacuation totale.

Les communautés autochtones face aux feux de forêt

Consulter le dossier complet

Feu de forêt avec fumée et flammes, près d'une rivière, le 15 mai 2023, à Hay River, aux Territoires du Nord-Ouest.

Sur place, des avions-citernes et des équipes au sol continuent de se battre sans relâche contre le feu qui se trouve à 17 kilomètres de la communauté crie. Il a brûlé environ 78 000 hectares. Un pare-feu a aussi été creusé pour protéger la communauté.

On est quand même, de manière générale, inquiets, raconte Lance Cooper.

D’autant plus qu’Oujé-Bougoumou est reconnue internationalement pour son architecture traditionnelle et a reçu plusieurs prix, indique Abel Bosum, l’ancien grand chef du Grand Conseil des Cris.

Mardi, Abel Bosum était sur la route, entre Sherbrooke et sa communauté, quand il a entendu les rumeurs d'une possible évacuation. Le chef, son fils Curtis Bosum, lui a dit de rester à Chicoutimi. Tout ce que j’ai, ce sont mes habits avec lesquels je voyageais et ma mallette.

C’est terrifiant, quand tu penses à tout le monde. J’étais aussi effrayé que le feu détruise ma communauté. C’est la première fois que je vois une telle évacuation. On a déjà eu des feux de forêt, mais pas aussi gros ni voyageant aussi vite, poursuit-il.

Selon le chef Curtis Bosum, les vents de vendredi devraient tourner et venir du sud, ce qui sera très utile pour les efforts de la SOPFEU. Leur plan est de brûler une partie de la forêt afin qu'il n'y ait pas de combustible pour le feu lorsque la direction du vent changera. Ces efforts, combinés à l'impact de la zone marécageuse sur le feu et à notre barrière de protection à l'est de la communauté, pourraient s'avérer efficaces.

À Chicoutimi, où se trouvent la plupart des réfugiés de la communauté, le moral est bon et les gens ont de l’espoir, soutient le vice-chef Lance Cooper.

Lance Cooper fixe la caméra.

Le vice-chef d'Oujé-Bougoumou, Lance Cooper

Photo : Gracieuseté : Lance Cooper

À Waswanipi, à 130 kilomètres à l’ouest, ça sent la fumée, mais ce n’est pas aussi intense que les autres journées, dit la cheffe Irène Neeposh.

Sa grande crainte est que la route 113 vers Chapais soit coupée. Car de l’autre côté de la communauté, la 113 vers Senneterre est fermée. Waswanipi est toujours à risque de se retrouver prise, isolée.

Mercredi, elle a demandé aux personnes vulnérables d’évacuer en direction de Québec. Plus de 1000 personnes sont sorties de la communauté, soit la moitié de Waswanipi.

L'accueil

La vice-cheffe de Waswanipi, Rhonda Oblin-Cooper, a fait la longue route de 650 kilomètres. On part de notre communauté sans savoir ce qu’on laisse en arrière ni ce qui arrive devant. C’est quelque chose de vraiment stressant pour la communauté, mais on est vraiment contents de l’accueil reçu, relate-t-elle.

Romeo Ottereyes regarde la caméra.

Romeo Ottereyes a quitté Waswanipi avec sa famille et est arrivé à Québec vers 2 h dans la nuit de mercredi à jeudi.

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

On a dû fuir, pas à cause du feu, mais de la fumée qui est dangereuse. Si le feu arrive, on est pris. Je pense à ma famille, ceux que j'aime, il y en a qui ont laissé leurs chiens de compagnie. On est fatigués de ce qu’il se passe, explique Romeo Ottereyes, venu avec toutes ses affaires pour camper, au cas où.

Mais il n’aura pas besoin de le faire, car un centre d’hébergement temporaire a été rapidement mis en place au Centre de foires d’ExpoCité à Québec. D'autres personnes sont dans des hôtels ou chez des proches.

Entouré du maire de Québec, Bruno Marchand, et du grand chef de Wendake, Rémy Vincent, Rhonda Oblin-Cooper ne cesse de remercier ses hôtes et de rappeler qu'on est tous ensemble là-dedans.

Wendake avait levé la main pour aider au besoin des communautés aux prises avec les feux, mais n’avait pas forcément les infrastructures nécessaires, explique le grand chef. On a donc demandé à la Ville de Québec et on a dit aux gens de venir!

Une femme parle aux micros dans une mêlée de presse.

De gauche à droite : Rémy Vincent, Rhonda Oblin-Cooper et Bruno Marchand

Photo : Radio-Canada

Une solidarité qui va droit au cœur de Rhonda Oblin-Cooper. Parfois, différentes choses nous séparent, comme la langue, mais quand arrive une situation comme celle-ci où tout s’écroule, en quelque sorte, ces barrières tombent et on commence à connecter à des niveaux différents, des niveaux humains, et c’est ce qui se passe.

Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, ne le cache pas. Quand on peut avoir une communauté qui parraine l’hébergement, c’est plus facile, car on parle de sécurisation culturelle, de connaître la réalité!

Il indique que, depuis le début, le gouvernement québécois travaille avec les communautés et les aide comme toute autre municipalité. Normalement, c’est Services autochtones Canada qui est leur point de repère quand il arrive des catastrophes. Ce qu’on a décidé de faire pour sauver du temps, car ce n’est pas le temps de parler de responsabilité et tout, on y va directement avec eux.

Personnes des communautés autochtones évacuées le 8 juin vers 17 h

Communauté autochtoneNombre de personnes évacuées
Kitcisakik250
Lac Simon150
Lac Barrière206
Obedjiwan261
Oujé-Bougoumou1000
Waswanipi800

Source : Gouvernement du Québec

Près de 20 % des évacués actuellement au Québec proviennent de communautés autochtones. Les Premières Nations sont grandement touchées par ce qu'il se passe, comme elles sont grandement touchées par les changements climatiques au Québec, confirme Ian Lafrenière.

La controverse

Le chef de la communauté crie de Mistissini, Michael Petawabano, a fait un rappel en fin de journée. Nous tenons à préciser que nous ne nous opposons pas à l’évacuation et nous ne refusons pas les recommandations d’évacuation, peut-on lire dans un communiqué.

Il précise que Mistissini n'est pas en danger et que les incendies entourant la communauté sont gérés et surveillés, en coordination avec la SOPFEU. Il assure travailler en étroite collaboration, notamment avec les gouvernements.

Un peu plus tôt, le premier ministre François Legault est revenu sur ce qu’il qualifie de malentendu à l’intérieur de la SOPFEU. Mercredi, il avait évoqué l’évacuation de Mistissini, ce qu’avait démenti le chef de la communauté. Selon François Legault, les informations sur le terrain et celles qu’il a reçues n'étaient pas les mêmes.

Une carte montrant des routes fermées en rouge.

Carte des routes fermées dans Eeyou Istchee.

Photo : Crédit : Ministère des Transports et de la Mobilité durable

Ian Lafrenière dit comprendre la réaction du chef de Mistissini, qui a dit que François Legault ne dirigeait pas sa communauté.

Il voulait rassurer ses citoyens, mais d’un autre côté, je comprends très bien la réaction du premier ministre qui craignait pour la communauté, car si la route avait été fermée, ils auraient été pris au piège. [...] Je suis en lien avec le chef, c’est un ancien policier, on se comprend très bien. On parle la même langue. On a convenu qu’il n’y avait pas de chicane de juridiction. On veut tous la même chose, protéger la communauté, indique Ian Lafrenière.

L'inquiétude

À Val-d’Or, loin de sa famille et de sa communauté, le cri Allan Saganash essaie de passer le temps. Depuis une semaine, il est en attente dans un hôtel. Venu pour des examens médicaux, il s’est retrouvé dans l’impossibilité de retourner à Waswanipi à cause de la fermeture de la route 113.

Pour cet aîné et sa femme, l’éloignement familial pèse. Je n’ai pas vu ma famille depuis. Ils me demandent comment je vais, c’est déprimant. Ma famille a été évacuée dans une autre ville et on est pris ici pour un moment, ce n’est pas un bon sentiment, c’est dur pour le moral, raconte-t-il.

Le coordonnateur des Services préhospitaliers et des mesures d’urgence du Conseil Cri de la santé et des services sociaux, Jason Coonishish, le confirme : Le plan d’évacuation fonctionne bien. La seule affaire est que, quand le monde est déplacé, il a besoin d’aide psychosociale, c’est l'inquiétude. Les aînés sont inquiets pour leur maison.

Un homme pose au milieu d'une forêt coupée.

Allan Saganash, Cri de Waswanipi de 71 ans

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Le Conseil cri de la santé a envoyé une équipe de professionnels de la santé à Québec et à Chicoutimi, dont la majorité parle cri, pour venir en aide aux évacués. Ils se connaissent et savent [quels sont les] besoins, aussi pour la traduction, poursuit Jason Coonishish.

Mercredi, le Conseil cri de la santé a affrété trois avions pour faire venir à Montréal une soixantaine de personnes, surtout des patients qui ont besoin d’hémodialyse et des femmes enceintes, avec leurs accompagnants. Ils vivaient dans leurs communautés, mais avaient été transférés par mesure de sécurité à Chibougamau à cause de la fumée. Puis, Chibougamau ayant été évacuée, il a fallu les rapatrier vers Montréal.

De son côté, Allan Saganash espère que sa fille pourra passer le prendre pour qu'ils puissent aller ailleurs ensemble. En attendant, il a les yeux rivés sur les cartes satellites et suit la progression des feux. Son constat l’attriste déjà pour le présent, mais aussi pour l'avenir.

C’est tellement triste. Il y a tant de forêts détruites et on ne sait pas combien de camps, de chalets ont été détruits. Cela va avoir un impact sur notre mode de vie cri. C’est une perte de culture. On est chasseurs, trappeurs, on sait ce qui disparaît, c’est aussi notre culture. C’est une lourde perte, dit-il, très ému.

L’ancien grand chef Abel Bosum pense que son camp a été sauvé, pour l’instant. Il a une pensée pour les autres. Outre le fait qu’il faudra tout reconstruire, et que ces camps ne sont pas assurés, lui aussi s’inquiète pour la nature, les animaux qui ne sont plus. Cette nourriture traditionnelle qui manque déjà à Allan Saganash. C’est notre ferme, précise Abel Bosum. Ça va prendre des années avant de retrouver ce qui était là avant, conclut-il.

Certains n’ont d’ailleurs pas quitté leur camp, indiquent les vice-chefs de Waswanipi et d’Oujé-Bougoumou. Car, précise quasiment en larmes Rhonda Oblin-Cooper, c’est leur maison. Ils y vivent à l’année.

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