Protection du caribou forestier : « C’est clair que c’est peine perdue »

Le projet de stratégie pour le rétablissement du caribou forestier du gouvernement Legault déçoit énormément les Innus d’Essipit et de Mashteuiatsh.
Photo : Getty Images
Après la communauté innue de Pessamit, celles d’Essipit et de Mashteuiatsh pourfendent à leur tour le projet de stratégie de rétablissement du caribou forestier que présentera le gouvernement du Québec dans les prochains jours. Elles déplorent également le report du dépôt de la version finale de ce plan, qui était attendue en juin.
Après avoir pris connaissance du scénario élaboré par le gouvernement de François Legault, les Innus d’Essipit et de Mashteuiatsh estiment qu’il n’a rien de rassurant pour la survie du caribou
.
Les territoires visés ne correspondent pas à l’ampleur du besoin pour protéger le caribou. C’est clair que c’est peine perdue
, lance M. Gilbert Dominique, chef des Innus de Mashteuiatsh.
Le gouvernement nous a démontré que sa priorité, ce n’est pas la protection du caribou. La priorité, c’est de ne pas porter préjudice à l’économie du Québec et à la coupe du bois. Cette approche va mener inévitablement à l’extinction du caribou.
Des propositions ignorées
Au début mars, le ministre de l’Environnement Benoit Charette avait rencontré les communautés innues d’Essipit et de Mashteuiatsh et s’était engagé à mener avec elles un processus de coconstruction de la stratégie de protection du caribou.
Des équipes du ministère de l’Environnement et du ministère des Ressources naturelles et des Forêts ont ensuite recueilli leurs propositions et écouté leurs défis spécifiques liés au caribou forestier. Le déclin de cette espèce, qui est sacrée dans la culture innue, menace en effet certaines Premières Nations dans leur identité.
Lors d’une troisième rencontre, en mai, une ébauche du plan gouvernemental a été présentée aux deux communautés. Non seulement ont-elles constaté que leurs propositions n’avaient pas été retenues, mais elles ont aussi appris que la stratégie finale ne serait pas prête en juin. C’est plutôt un projet de stratégie qui serait déposé.

Gilbert Dominique (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada
Avec le recul, on s’est rendu compte que ce n'était pas du tout une approche de coconstruction, mais plutôt une approche d’intégration, remarque Gilbert Dominique. Québec ignore nos propositions, les études et les constats faits par les scientifiques à travers le Québec.
Le caribou a besoin de vastes territoires, qui soient le moins possible impactés par la coupe de bois, les chemins forestiers et la villégiature. Il fallait prendre des décisions en ce sens. Il fallait s’engager à restaurer les différents habitats et marquer le coup par des décisions rapides. Il aurait fallu protéger les grands massifs de forêts anciennes. Mais ce n’est pas ça qui se dessine
, se désole M. Dominique.
Gagner du temps
À Essipit, c’est avec un mélange de déception et de colère que les Innus ont reçu le plan gouvernemental et ont appris le report du dépôt de la stratégie finale.
Dans les derniers mois, on se faisait miroiter une stratégie en juin 2023 et, finalement, c’est seulement un scénario qui sera présenté. Québec gagne encore du temps pour couper sur nos territoires
, explique Michael Ross, directeur du développement et du territoire au Conseil de la Première Nation des Innus Essipit.
On permet les coupes pendant qu’il n’y a pas de stratégie et on continue de dégrader l’habitat du caribou. En retardant encore l’adoption de la stratégie, ils gagnent encore quelques mois.
M. Ross raconte les ravages de la coupe forestière sur le territoire d’Essipit, que le projet élaboré par le gouvernement Legault ne freinera pas, selon toute vraisemblance.
Une très grande majorité de notre territoire sera sacrifié et ne fera même pas partie de la stratégie. Et si on ne fait pas partie de la stratégie, absolument rien ne sera fait pour le protéger. Tout sera éventuellement bûché, même les massifs de forêts anciennes qui restent.
L’un des derniers espoirs des Innus d’Essipit et de Mashteuiatsh réside dans le gouvernement fédéral, qui a compétence sur tout le territoire canadien en matière de protection des espèces menacées.
C’est certain qu’on souhaite une intervention du gouvernement fédéral à cette étape-ci, s’il n’y a pas de changement de cap du gouvernement du Québec
, explique M. Ross.

Le directeur du développement et du territoire pour la Première Nation des Innus d’Essipit, Michael Ross. (Photo d'archives)
Photo : Conseil de la Première Nation des Innus d'Essipit
Comme d’autres membres des Premières Nations, il gardera un goût amer de cette dernière collaboration avec le gouvernement québécois.
Clairement, les processus de consultation et d'accommodement des Premières Nations ne fonctionnent pas du tout et ne sont aucunement respectés, dit-il. On souhaite juste s'asseoir avec le gouvernement pour s’assurer que les derniers massifs sur notre territoire ne soient pas coupés.
Le manquement en matière de consultation relativement à la protection du caribou forestier avait d’ailleurs convaincu les communautés innues d’Essipit et de Mashteuiatsh d’entreprendre des poursuites judiciaires contre le gouvernement Legault devant la Cour supérieure du Québec, en février 2022.