Déconstruire les préjugés envers les Autochtones dès le primaire
Une école primaire de Verdun, à Montréal, propose aux élèves, à partir du préscolaire, de s’immerger dans les cultures autochtones à travers des activités et des rencontres avec des artistes. L'initiative vient d'une enseignante qui a décidé d'élaborer un guide pour outiller ses collègues.

Les Atikamekw Karine Wasiana Echaquan et Carole Flamand ont l'impression d'avoir accompli leur mission quand elles ressentent la belle énergie qui ressort du groupe d'élèves.
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
« Kwei, Kwei, je vais me présenter dans ma langue, comme ça, vous allez entendre avec les oreilles le son de la langue atikamekw. » Karine Wasiana Echaquan enchaîne les présentations dans sa langue, puis en français, devant une trentaine d’enfants, assis par terre ou sur un banc, qui la regardent attentivement.
À l’École des Marguerite, du Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys, presque tous les élèves vont pouvoir écouter la femme atikamekw raconter les contes et légendes de sa nation, accompagnée par une autre atikamekw de la communauté de Manawan, Carole Flamand.
Mon grand-père m’a toujours raconté des histoires, et maintenant, c’est à mon tour de vous raconter les histoires de mon grand-père
, poursuit Karine Wasiana Echaquan, qui donne la partie tradition orale de l’atelier.
Celui-ci comprend aussi des discussions autour du bois, des écorces pour faire notamment des canots – là encore un héritage de son grand-père –, des esprits, du porte-bébé traditionnel tikinagan, du tambour, de la flûte, etc.
Carole Flamand prend le tambour en main pour entamer son chant de l’âme
. Avant cela, elle regarde chaque enfant dans les yeux et leur demande de toucher ses yeux avec leur regard, puis de les fermer pour écouter le chant.

L'Atikamekw Carole Flamand espère toucher les cœurs. Elle estime que même si de plus en plus d'écoles font appel à elle, c'est encore trop rare.
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
À l’avant, Gabriel, 7 ans, ferme ses grands yeux bleus et se laisse porter. Il a été touché dans le cœur
, souffle Carole Flamand à la fin.
Pendant tout l’atelier, Gabriel a été captivé par les deux femmes. Il raconte avoir trouvé cela très intéressant
. Particulièrement la chanson, les différentes saisons, les quatre éléments de la roue de la médecine, et quand elles ont fait des choses
.
Même si son enseignante a déjà parlé des Autochtones en classe. Gabriel dit avoir appris de cette rencontre du jour qu’il y a des Autochtones au Canada
. Il repart en regardant les deux femmes atikamekw avec un sourire.
Cet atelier a exactement pour objectif de sensibiliser les élèves dès le plus jeune âge, et ce, grâce surtout aux rencontres. Pour l’enseignante au préscolaire et initiatrice du projet Catherine Lauzon, la vérité se trouve dans ces moments.
C’est par ce moyen qu’on va arriver à déconstruire tous les préjugés, diminuer la discrimination, parce que ces élèves de 5-6 ans, de tout le primaire, ce sont les futurs acteurs de la société. Ce sont nos futurs policiers, enseignants, médecins, politiciens…
Un guide pour combler un vide
En 2021, afin de souligner la toute première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, Catherine Lauzon dit s'être retrouvée à court de ressources. Elle a questionné ses collègues et d'autres enseignants dans un groupe Facebook.
J’ai alors constaté le néant dans lequel j’étais moi-même. C’est comme si c’était un sujet délicat, on ne savait pas quoi faire, comment l’aborder, quelle activité faire. Je me suis dit qu’on manquait vraiment de ressources
, explique Catherine Lauzon.
Elle a alors eu vent d’un programme en Colombie-Britannique qui inclut les savoirs et perspectives autochtones au primaire, dès le préscolaire, pour accompagner les enseignants.
Catherine Lauzon décide donc d’élaborer un guide pédagogique pour outiller les personnes enseignantes à aborder la vérité et le rapprochement envers les peuples autochtones avec les élèves du préscolaire
.
Élaboré dans le cadre de sa thèse avec Constance Lavoie, à la direction de recherche, et en collaboration avec Ingrid Tshirnish et Marie-Claude Cormier, de l’école Tshishteshinu de Maliotenam, le guide devrait être disponible à l’automne 2023.

Catherine Lauzon souhaite inspirer d'autres écoles avec son guide.
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
Dans son école primaire, Catherine Lauzon a, dans un effort de vérité et de rapprochement
, mis en place plusieurs activités : aller au théâtre voir la pièce de l’auteur wolastoqey Dave Jenniss et le recevoir, faire un atelier de création de bâtons de la parole et de capteurs de rêve avec l’organisme Kina8at, accueillir des artistes tels que la Mohawk Barbara Kaneratonni Diabo pour la journée du 30 septembre… Le tout est financé par l’école et par une subvention gouvernementale de plus de 27 000 $.
De l’avis de plusieurs enseignantes, le guide va pallier un manque.
Vanessa Langlais, enseignante en 2e année, avait déjà une sensibilité
pour avoir enseigné au Nunavik. Selon elle, il y a un manque certain dans le programme. Il faut avoir l’intérêt, il faut aller le chercher toi-même
. Elle évoque même que pour certains, c’est comme lointain, tabou, nébuleux
.
Comme s’ils [les Autochtones] étaient oubliés, invisibles, à moins que tu aies été en contact avec eux d’une manière ou d’une autre. Sinon la personne ne va pas s'asseoir avec son enfant et dire : "viens, je vais te parler de la réalité autochtone"
, poursuit-elle. Dans sa classe, affirme l’enseignante, personne ne connaissait les Autochtones avant qu’elle en parle.

Yvonne Lo, Vanessa Langlais, Jade Rousseau et Catherine Lauzon discutent de l'apport de ces rencontres dans leur école.
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
À ses côtés, Yvonne Lo, enseignante de 4e année primaire, acquiesce. On n’en parle pas
, renchérit-elle. D’être une femme d’origine chinoise, je sais ce qu’est être une minorité visible, mais là, c’est une minorité visible invisible, car elle n’est pas incluse dans notre société.
S’appuyant sur les rencontres à l’école, mais aussi sur l’actualité, Yvonne Lo mène des discussions en classe, montrant, dit-elle, une facette qui n’est pas forcément écrite dans les livres d’histoire.
D’ailleurs, lorsqu’elle a parlé des pensionnats pour Autochtones ou en écoutant les récits de Karine Wasiana Echaquan, ses élèves ont réagi : C’était incarné, les enfants l’ont senti. La réflexion mûrit dans leur esprit
, explique l’enseignante.
Le fait d’inviter des Autochtones permet au dialogue de commencer. C’est un très bon modèle, de tels projets sont importants et ils devraient faire partie intégrante [de l’enseignement] pour les enfants, qu’ils voient autre chose et qu’ils prennent conscience qu’ils peuvent prendre part et avoir une opinion.
Jade Rousseau, qui a aidé sa collègue Catherine Lauzon dans le projet, affirme avoir appris la vérité
avec la découverte de ce qui pourrait être les restes de 215 enfants à Kamloops, en 2020. L'éducatrice spécialisée assure avoir encore du mal à comprendre comment elle en savait si peu avant.
Il manque un morceau à notre histoire... parce que c’est une partie honteuse
, observe-t-elle, souhaitant que ses propres enfants et ceux de l’école aient davantage de connaissances sur les questions autochtones.
Sensibiliser tôt
Même si c’est vague
dans la tête de Jade Rousseau, la femme de 40 ans se souvient quand même des préjugés entendus après la crise d’Oka.
Ce sont ces idées reçues qui ont donné matière à réflexion à Catherine Lauzon quant au manque de connaissances sur les questions autochtones dans l'éducation. Petite, elle a vécu un clash
entre ce qu’elle connaissait et ce qu’elle entendait. Sa voix devient tremblante quand elle en parle.
L'enseignante, qui a aujourd'hui 32 ans, n'a pas vécu la crise d'Oka. Pourtant, au secondaire, à LaSalle, soit 15 ans après ces événements, les propos entendus sur les Autochtones l'ont profondément touchée. D'autant plus que sa tante est innue et ses cousins aussi.
J’ai commencé à me questionner à partir de ce moment-là, puis en tant qu’étudiante au baccalauréat en enseignement. On n’en entendait pas parler et je trouve ça malheureux. Cela m’a amenée à faire ma thèse
, indique-t-elle.
La vérité et le rapprochement vont arriver en apprenant des Autochtones, en collaboration avec eux. Cette année, on a fait un beau projet, mais c’est tellement manquant dans les autres écoles.

Jade Rousseau dit avoir appris énormément depuis la découverte de Kamloops et le décès tragique de Joyce Echaquan.
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
À l’École des Marguerite, Catherine Lauzon et Jade Rousseau ont notamment confectionné des affiches de personnalités autochtones importantes actuelles et anciennes, qui ont marqué l’histoire, mais qu’on ne retrouve pas dans les livres colonisés
. Elles ont également collé des mains orange sur les vitres en l'honneur des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées et ont organisé les ateliers avec rencontres et discussions.
En commençant si jeune, avec du contenu adapté, Catherine Lauzon espère créer un pont, bâtir des relations. Pour ses élèves de préscolaire, elle espère donner une image positive grâce à la valorisation de la culture et des langues autochtones à travers des chansons, des comptines. Mes élèves sont déjà sensibles au sujet
, souligne-t-elle.
Le point de départ, c’est nous dans les écoles! Nous pouvons apporter un changement pour ne plus avoir de Joyce Echaquan, de discrimination et de préjugés à l’égard des peuples autochtones, qu’on apprenne à les connaître et à construire avec eux.
Parler à l'âme
de l'enfant

Les femmes atikamekw disent faire revivre la mémoire de leurs ancêtres et leurs pratiques, mais en même temps, faire vivre leur présent.
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
Karine Wasiana Echaquan et Carole Flamand terminent leur atelier. Les enfants posent quelques questions puis applaudissent, les remercient et partent.
À l’âge qu’ils ont, ils sont encore pétillants de vouloir apprendre, ils sont dans la curiosité. Je leur ai dit qu’ils partaient avec un cadeau, celui des nouvelles connaissances. Ça va toucher leur sensibilité et l’ouverture de notre monde, de notre réalité
, dit Carole Flamand en souriant.
Elle constate qu’il se passe quelque chose dans le monde, ce qui fait du bien
. De plus en plus d’écoles font appel à elles pour venir parler de leurs traditions, leur culture.
On est vus, entendus, il y a plus de sensibilité et plus d’ouverture à connaître, savoir la vraie… notre histoire.
Certains pourraient penser que 5-6 ans est un trop jeune âge pour ces sujets, même adaptés, mais Karine Wasiana Echaquan répond avec un enseignement de son aîné. Mon grand-père disait souvent que même si un enfant joue, dort ou fait autre chose, tu lui racontes quand même la légende, car son âme est en train d’écouter
.