Quand l’archéologie dirigée par des Autochtones change certaines idées préconçues

De gauche à droite : Kyle Sarazin, Bryton Beaudoin, Jennifer Tenasco, Lucas Barbeau, Emma Logan, Jenna Kohoko et Jade Rogers-Baptiste.
Photo : Radio-Canada / Laura Beaulne-Stuebing / CBC
Pendant longtemps, dans le domaine de l'archéologie, les Autochtones ont été des objets d’étude, un peu comme des cobayes. Mais les choses sont en train de changer et les membres des premiers peuples sont en train d’investir la discipline et de déconstruire un mythe colonial tenace : celui des peuples dits « primitifs ».
À l'âge d'environ huit ans, Jennifer Tenasco a déménagé de sa communauté anishinabe de Kitigan Zibi, au Québec, pour s’installer à Ottawa. Changer d'école signifiait qu'elle perdait un endroit important pour apprendre sa propre culture : la salle de classe de sa communauté.
Heureusement, aujourd’hui, elle peut se connecter avec ses racines grâce à l'Anishinabe Odjibikan, une école de fouilles archéologiques financée par le gouvernement fédéral. Là-bas, des Anishinabeg du Québec et de l’Ontario déterrent, nettoient et trient des objets utilisés par leurs ancêtres il y a des milliers d'années.
Ils pratiquent néanmoins l'archéologie à leur manière : avant de commencer à creuser, ils organisent une cérémonie.
Nous jouons du tambour et nous chantons afin de préparer le site de la bonne manière et d’honorer la Terre mère avant de creuser en elle.
Pour la jeune femme, l’archéologie permet de se reconnecter avec ses ancêtres, mais prouve aussi que ces derniers étaient loin d’être primitifs. Il y a beaucoup de stéréotypes [sur les peuples autochtones]. Mais quand vous voyez les artefacts en vrai, cela me rend juste fière d'être qui je suis.
L’Anishinabe Odjibikan fait partie d'une tendance croissante en archéologie à impliquer les peuples autochtones dont les terres sont fouillées. Le travail est soit dirigé par Autochtones eux-mêmes, soit effectué en collaboration ou avec leur consentement.
Reconquérir l’histoire
Selon l'archéologue crie et métisse Paulette Steeves, les travaux archéologiques du dernier siècle ont presque totalement occulté les réalisations des peuples autochtones.
Par exemple, les momies les plus anciennes du monde ont été trouvées en Amérique du Sud et les plus grandes pyramides se trouvent en Amérique centrale, a expliqué Mme Steeves au micro de l’émission Unreserved sur CBC.

L'archéologue Paulette Steeves se consacre à la période du Pléistocène en Amérique, qui s'est terminée il y a 10 000 ans.
Photo : Radio-Canada / CBC/Walking with Ancients
En ignorant les réalisations et la sophistication des premiers peuples en Amérique du Nord et du Sud, le domaine de l'archéologie a renforcé les stéréotypes négatifs, la déshumanisation et le racisme, selon l’archéologue autochtone.
Mais les choses sont en train de changer.
Nous entrons dans le huitième feu de guérison.
Ce feu a beaucoup de flammes… Celles de tous les universitaires, les universitaires autochtones et leurs pairs, partageant les mêmes idées qui travaillent sur des éléments de réappropriation, de relance et de réhumanisation des visions qu’a le monde sur les peuples autochtones
, dit-elle.
Nous étions tout sauf primitifs
Un point de vue partagé par Kevin Brownlee, un archéologue cri qui, ayant été adopté, n'a pas grandi dans sa culture d’origine. Quand j'ai commencé en archéologie… les gens que j'ai rencontrés au sein de la communauté [crie] disaient que j'étais un traître
, se souvient-il.
Aujourd’hui, en tant que conservateur – d’abord au Musée du Manitoba puis au Royal BC Museum – , il se fait un devoir de visiter des salles de classe pour parler de son travail.

Kevin Brownlee, archéologue cri.
Photo : Radio-Canada / Warren Kay / CBC
En entrant dans les salles de classe et en parlant aux jeunes, vous verriez les enfants autochtones de la classe […] sortir de leur coquille. Et ils se disent : "C'est mon histoire dont il parle. C'est mon peuple". Et ils se sentent grandis
, affirme-t-il.
Vous savez, nous étions tout sauf primitifs.
L'histoire orale autochtone n'a jamais été à la hauteur des normes scientifiques, déplore Jennifer Tenasco. C’est pourquoi l’archéologie autochtone peut permettre de corriger certaines idées préconçues.
Pour moi, c'est juste bizarre que des non-Autochtones nous racontent notre propre histoire [...] C’est nous qui devrions leur raconter notre histoire et non l’inverse.
D'après un texte de Laura Beaulne-Stuebing, de CBC News.