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Aire protégée : Québec proposerait une forêt brûlée aux Innus

Des troncs brûlés après les feux de forêt.

Les Innus demandaient une zone en particulier, mais il semblerait que, dans son projet, Québec leur offrirait une zone infertile et sans caribous. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Benoit Jobin

Alors qu’ils la demandent depuis 2020, les Innus risquent de ne pas voir la création de l’aire protégée du Pipmuakan, qui aurait pu contribuer à la protection du caribou. À la place, le gouvernement aurait l'intention de leur offrir une zone où la forêt a complètement brûlé.

Au moment où on se parle, il y a sûrement 45 000 arbres qui tombent, lance Jérôme Bacon St-Onge.

Il se souvient d'avoir fait un bout de chemin sur la 138 avec un aîné. Chaque fois qu’ils croisaient un grand camion chargé de bois, il lui disait : c’est encore une partie de notre territoire qu’on a perdu, ça.

Un homme pose devant l'objectif.

Jérôme Bacon St-Onge prône une cogestion du territoire.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Pessamit tente pourtant depuis quelques années de mettre un frein aux appétits grandissants des forestières qui coupent les arbres du Nitassinan comme on coupe les blés.

En 2020, les Pessamiulnuat de Pessamit, sur la Côte-Nord, ont décidé de déposer un projet d’aire protégée. Au sud et à l’est du réservoir Pipmuakan, ils ont ciblé une forêt mature de 2761 km2.

Cette forêt est un refuge essentiel pour le caribou forestier, un animal sacré dans la culture innue et aussi une espèce en péril.

Une coupe forestière sur le Nitassinan.

Une coupe forestière sur le Nitassinan. (Photo d'archives)

Photo : Gracieuseté d'Adèle Clapperton-Richard

Malgré tout, des coupes ont déjà eu lieu dans cette zone ces trois dernières années et d’autres sont encore planifiées. De quoi mettre en colère Jérôme Bacon St-Onge, vice-chef et porteur du dossier territoire et ressources.

Le coup de grâce à ce projet a été porté il y a quelques semaines.

Les Innus ont pu prendre connaissance du plan caribou que voudrait publier le ministère, début juin. Selon ce projet, l’aire protégée qu'ils ont suggérée serait balayée d’un revers de la main. À la place, le gouvernement leur offrirait une zone au nord du réservoir de 1081 km2. Deux fois plus petite que celle suggérée. Et surtout, située bien ailleurs.

Mépris et condescendance

Cette zone, c’est une forêt qui a complètement brûlé. Il n’y a pas de caribous ici, assure Éric Kanapé, conseiller en environnement pour la communauté de Pessamit et détenteur d’un bac en biologie.

Un homme qui regarde une carte.

Éric Kanapé se désole de l'état du Nitassinan, le territoire ancestral des Innus de Pessamit.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

L’information a été confirmée par Louis Bélanger, professeur retraité de l’Université Laval et membre de la commission forêt à Nature Québec, et par Marie-Hélène Rousseau, ingénieure forestière pour le conseil de Pessamit.

Le gouvernement a présenté aux Innus un plan déjà tout fait. Il n’y a pas eu de discussions. Il est rendu où, l’objectif de réconciliation du gouvernement?

Une citation de Louis Bélanger, professeur

Cette situation illustre une fois de plus le mépris et la condescendance du gouvernement à l’égard des Autochtones, pense Éric Kanapé. Ils se disent : "on va continuer de maudire les Indiens", poursuit-il.

Selon Louis Bélanger, Québec va même à l’encontre de ses obligations constitutionnelles de consultation en évitant de consulter et estime que le gouvernement a un pouvoir discrétionnaire total.

C’est insultant. Encore plus alors que la commission indépendante sur le caribou a recommandé de faire cette aire protégée, ajoute-t-il.

Un caribou.

Les mesures pour protéger l'habitat essentiel du caribou ont été en partie plombées par les opérations forestières, selon plusieurs experts. (Photo d'archives)

Photo : Gracieuseté : Louis Fradette

Plus largement, les Innus de Pessamit dénoncent depuis longtemps le far west forestier qu’est devenu le Nitassinan. Quand je vais dans mon territoire, à mon camp, et que je vois la montagne, je ne vois plus rien au sol à cause des coupes à blanc. Je ne reverrai jamais l’état naturel de mon territoire, se désole Éric Kanapé.

Il explique qu’à cause des coupes, plus d’une dizaine de familles doivent se partager un territoire qui se réduit comme une peau de chagrin, créant ainsi une pression sur tout un écosystème. C’est encore à nous de nous tasser, laisse-t-il tomber.

Un camion transportant des troncs d'arbres devant des piles de bois d'œuvre.

Plusieurs compagnies forestières sont présentes dans le Nitassinan. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose

On ne nous écoute pas

Jérôme Bacon St-Onge critique aussi la manière dont les consultations sont menées.

Ils [les représentants du gouvernement] disent nous avoir parlé, mais ils viennent nous jouer du violon. On a beaucoup de demandes de consultation, mais c’est plus bidon qu’autre chose, dit-il.

En réalité, le gouvernement présente son plan d’aménagement des forêts une fois que celui-ci est terminé. Un peu trop tard, selon les Innus et leurs alliés.

La planification stratégique ne se fait pas vraiment en consultation avec les Innus. Il n’y a pas de place pour en parler, constate M. Bélanger.

Un doigt montre une carte.

Toutes les lignes grises sont des chemins forestiers qui ont été tracés. En jaune, la zone que voudraient protéger les Innus.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

On a un processus de consultation sans aucun indicateur de performance. Il est impossible de remettre en question des coupes. On peut demander de modifier la technique de coupe, les faire sur une plus petite zone ou les espacer dans le temps, mais c’est tout.

Une citation de Louis Bélanger, professeur

Dans les faits, on ne nous écoute pas. On ne prend pas en considération ce qu’on dit. Ils ne comprennent pas l’importance que le territoire a pour nous, explique Éric Kanapé. Le biologiste raconte que les Innus ont beau rabâcher que les endroits où les coupes sont prévues sont essentiels pour les Innus. Qu’ils ont une importance culturelle. Mais rien n’y fait.

Ils nous répondent que les coupes n’auront pas d’impact. Ils disent ensuite qu’ils savent gérer le territoire. Mais s’ils savaient vraiment le gérer, comment ça se fait qu’il y ait autant d’espèces en danger au Québec?

Une citation de Éric Kanapé, biologiste

Ce n’est pas faute d’essayer de défendre leur cause avec des arguments solides. Pessamit travaille avec des chercheurs, des universitaires, des organismes de protection du territoire. Éric Kanapé croit que le savoir autochtone peut apporter quelque chose aux différentes stratégies de lutte contre la crise climatique.

Depuis un rapport du GIEC de février 2022, les Autochtones sont justement considérés comme des pourvoyeurs de solutions.

Éric Kanapé souligne également que les Innus ne compartimentent pas les composantes de la forêt. Il y a les arbres, les cours d’eau, le caribou… tout est interrelié. Et parler de la forêt sans parler du caribou, c’est impossible.

Pas de développement sans cogestion

À ceux qui accusent les Autochtones d’être anti-développement, Jérôme Bacon St-Onge répond : on ne veut pas freiner le développement économique, mais on veut avoir plus de pouvoir décisionnel, dit-il en critiquant la vision capitaliste et pécuniaire qui prévaut aujourd’hui et en soulignant le rôle important des lobbys forestiers auprès de Québec.

Des empreintes de caribous dans la forêt vues d'un drone.

Des traces de caribous vues du ciel. (Photo d'archives)

Photo : Gracieuseté : Erwan Gavelle

Éric Kanapé abonde dans le même sens. Même si j’aimerais que tout soit intact, je comprends qu’il faut du développement, mais on pourrait apporter des choses, croit-il.

On n’est pas pour des pertes d’emplois, mais quand il n’y aura plus d’arbres à couper, c’est là qu’ils n’auront plus d’emplois, dit M. Bacon St-Onge, en expliquant vouloir une réelle cogestion de la forêt.

Il explique aussi que les entreprises forestières lui disent avoir les mains liées. Elles nous renvoient vers le gouvernement, car c’est lui qui donne les permis et qui récolte les redevances. Même s’ils se disent sensibles, ça reste que c’est le gouvernement qui est responsable et le gouvernement utilise cette réalité à son avantage, estime M. Bacon St Onge.

En effet, les Innus de Pessamit ne touchent rien pour ce qui est fait à leur forêt.

Un coucher de soleil au loin à travers des montagnes

Le Nitassinan s'étend tout autour de Manic 5 et jusqu'à la rivière Caniapiscau. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Ils estiment aussi n’avoir accès qu’à des fonctionnaires, alors qu’ils voudraient parler directement aux ministres responsables de ces dossiers. Les fonctionnaires nous disent tout le temps que tout dépend de ce qu’on leur dira en haut. Bref, on tourne en rond, alors qu’on a réussi à parler directement à Steven Guilbeault [le ministre fédéral de l’Environnement], dit M. Bacon St-Onge.

Blocages?

Que reste-t-il aux Innus pour se faire entendre? Éric Kanapé sait ce qu’il se passe du côté des Atikamekw, où des barrages ont été érigés pour s’opposer aux coupes sur leur territoire traditionnel. Il suit cette situation de près. Et l'idée de faire de même dans le Nitassinan lui traverse souvent l'esprit. Il n'y a que ça qui semble marcher, croit-il.

Les Innus estiment être un peuple très ouvert, qui a accueilli les Européens. Aujourd’hui, ils ont l’impression que les non-Autochtones ont bien trop profité de cette hospitalité.

Sollicité pour faire des commentaires à ce sujet, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a indiqué dans une courte déclaration écrite que la stratégie est toujours en cours d’élaboration et que rien n’est arrêté pour le moment.

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