Place à la langue et à la mythologie autochtones à la Maison Théâtre

La pièce « Toqaq Mecimi Puwiht / Delphine rêve toujours » est présentée jusqu'au 9 avril à la Maison Théâtre.
Photo : Gracieuseté / Marianne Duval
C’est le programme proposé par l’équipe de Toqaq Mecimi Puwiht / Delphine rêve toujours, qui sera jouée sur les planches de ce petit théâtre de la rue Ontario jusqu’au 9 avril.
Cette pièce raconte l’histoire de Delphine, une jeune fille wolastoqey (prononcez wolas-to-goué) rêveuse et déterminée, dont le nom signifie automne
.
Une grande quête
Depuis que son père a égaré le tambour de son défunt muhsums (grand-père
, un mot qui se prononce mouchoum), elle n’a plus qu’une idée : le retrouver, où qu'il soit.
Alors que le vent se lève, Delphine est transportée dans le monde des esprits de la forêt. Elle rencontre un porc-épic, dont l’eau de toilette sent le marécage, une chouette chanteuse d’opéra, véritable diva des bois, et le Kiwahq (prononcez Gui-wak), le terrible personnage au cœur de glace qui finira par retourner dans le tambour contre son gré grâce la jeune femme, une caribou forte et fière.
Selon l’histoire ancestrale du peuple wolastoqey, seul un être vivant doté de la force d’un caribou, d’un esprit vif et d’un cœur aussi chaud que le soleil pourra vaincre le Kiwahq, une créature mi-homme, mi-animal.
Juste avant de partir pour sa grande quête, Delphine rend hommage à ses aïeuls comme étant ceux qui sont venus avant moi, avant moi et encore avant moi
. Ces mots universels rejoindront tous les spectateurs quel que soit leur âge.
Au cœur de la pièce : le tambour, véritable clé de voûte de la quête de Delphine, joué par l’artiste wendate Marie-Pier Chamberland, qui a remplacé au pied levé Jemmy Echaquan Dubé en raison d’une indisponibilité professionnelle.
Le tambour utilisé sur scène n’est pas qu'un accessoire scénique. Il s’agit d’un véritable instrument qui appartenait au grand-père de l’auteur de la pièce, Dave Jenniss, dont le père est issu de la communauté Wolastoqiyik Wahsipekuk, dans l’est du Québec.
Mme Chamberland s’est dite heureuse de mettre en lumière une relation père-fille positive, une relation saine et dont le dénouement repose sur les épaules d’une jeune fille courageuse.
Rencontre récente
La troupe de comédiens travaille ensemble depuis peu. Soyez rassurés : rien n’y paraît sur scène.
On constate réellement la chimie qui s’est créée entre les quatre comédiens lorsqu’on les rencontre en entrevue de groupe après la séance d’après-midi, samedi, à laquelle Radio-Canada a assisté gracieusement.

Eyota, la chouette à la voix d’or, porte un magnifique masque fait de plumes.
Photo : Gracieuseté / Marianne Duval
Tous sont très volubiles, heureux de vivre cette expérience ensemble et de pouvoir mettre leur culture à l’honneur, d’avoir l’occasion de partager ce qui les unit : l’amour de la terre, le symbolisme des animaux et des éléments ainsi que le respect envers leurs ancêtres.
Pour Emily Marie Séguin, qui interprète Eyota, la chouette à la voix d’or, il s’agit d’un privilège.
Cette jeune femme qui a des origines française et anishinaabeg n’a pas manqué de souligner que le fait de travailler avec un jeune public est un cadeau, car il se passe quelque chose sur scène
.
Voir les réactions des enfants en direct est très stimulant pour cette artiste bispirituelle qui s’est dite heureuse de participer à un projet dans lequel les femmes ont eu la belle part, que ce soit sur scène, derrière la scène ou en régie.
Sauge sacrée et bienveillance
La communion entre les membres de l’équipe semble si profonde et si sincère qu’ils procèdent à une cérémonie de purification chaque matin au cours de laquelle ils n’hésitent pas à accueillir leurs fragilités et leurs incertitudes comme un gros câlin de groupe bienveillant et authentique.
Oui, un vrai smudge avec des herbes sacrées
, assure Christian Pilon, qui interprète le père de la jeune héroïne ainsi que Matuwehs (prononcez Ma-douèche), le porc-épic qui garde la forêt ancestrale.
C’est d’ailleurs bien l’odeur de la sauge que le spectateur percevra lorsqu’il arrivera dans la salle, vestige probable d’une cérémonie récente.
Fait intéressant, M. Pilon, un Métis originaire de Sudbury, n’avait jamais joué au théâtre avant d’être de l'équipe de Toqaq Mecimi Puwiht / Delphine rêve toujours, lui qui gagne sa vie comme conférencier et conteur.
C’est donc dire à quel point la pièce sied bien à ses interprètes qui sont issus des Premières Nations et des peuples autochtones, sauf Geneviève D’Ortun, une artiste originaire du Nouveau-Brunswick, qui interprète le rôle du Kiwahq.

Le personnage du Kiwahq, mi-homme, mi-animal.
Photo : Gracieuseté / Marianne Duval
Comme le projet a été retardé par la pandémie, c’est par Zoom que Mme D’Ortun a eu ses premières rencontres en vue de ce rôle qui allie jeu et musique.
Cette interprète joue du saxophone sur scène, ce qui donne une tout autre dimension à son personnage de méchant dont la queue et les doigts donnent des frissons dans le dos. Ces doigts sont par ailleurs faits sur mesure pour qu'elle puisse jouer son rôle tout en manipulant son instrument.
En raison des thèmes et des symboles qu’elle met en avant, la pièce fait découvrir un univers inconnu et des sonorités nouvelles grâce aux mots et aux mélodies autochtones.
Dans une salle attenante à la scène, les enfants peuvent réécouter la prononciation des mots entendus durant la présentation, apprendre leur signification et voir leur orthographe. Ils sont aussi invités à poser un geste en rapport avec le sujet de la pièce, une activité simple pour clore l'expérience.
La langue wolastoqey est une langue algonquienne de l’Est très imagée qui se base sur la description des objets et de leur utilité plutôt que sur des noms. Par exemple, au lieu de divan
, on traduira : où l’on s’assoit ensemble
.
L’oreille blanche adorera ces mots nouveaux et les rythmes qui s'apparentent à ceux des chants de gorge traditionnels. La pièce est présentée à Montréal jusqu’au 9 avril.
D’autres dates sont prévues au Québec et en Ontario.
Il s’agit d'une coproduction d’Ondinnok et du Théâtre de la Vieille 17. Les textes sont de Dave Jenniss et la mise en scène de Milena Buziak.