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Le défi de diriger une communauté autochtone brisée

Vue d'ensemble sur la communauté : des maisons, un chemin enneigé et deux personnes qui marchent de dos sur le chemin.

La communauté a été mise sous tutelle au début des années 2000, ce qu'elle a encore du mal à accepter.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

(Re)prendre les rênes d’une communauté en grande difficulté économique, dépourvue d’un réseau électrique, aux prises avec de nombreux problèmes de gestion, de drogue et de logements : le défi de Casey Ratt, nouvellement élu à la tête du conseil de bande de la communauté anishnabe de Lac-Barrière en Outaouais, est énorme. Et il n’aura que deux ans pour y répondre.

Casey Ratt n’en est pas à son premier mandat en tant que chef. Pourtant, en entrevue, il assure qu’à la base, il ne comptait pas se présenter cette fois-ci aux élections qui se sont déroulées le 10 mars.

Portrait de Casey Ratt devant un bâtiment.

Casey Ratt était directeur général du conseil de bande lors du mandat de son prédécesseur. Il a aussi déjà été chef et accepte un cinquième mandat. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Des membres m’ont recommandé. J’avais un jour pour y réfléchir et prendre ma décision. Je ne m’attendais pas vraiment à gagner et, finalement, j’ai obtenu 50 voix de plus que Tony Wawatie [le chef précédent, candidat à sa réélection, NDLR], explique M. Ratt.

Être à la tête de Lac-Barrière n’est pas simple quand on sait toutes les difficultés qui pèsent sur cette communauté située dans la réserve faunique de La Vérendrye, entre Val-d’Or et Mont-Laurier.

Un panneau d'indication routière pour Val-d'Or et Lac-Rapide.

Mitchikanibikok Inik, le nom anishnabe de Lac-Barrière, est considérée comme une communauté semi-isolée. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Problèmes de gestion budgétaire

Sous tutelle depuis de nombreuses années, Lac-Barrière doit rendre des comptes à un séquestre-administrateur qui a été nommé par le gouvernement fédéral, étant donné la situation financière qui semblait incontrôlée.

Espaces autochtones s’est procuré un document faisant référence à un audit mené par l’entreprise comptable MNP et publié à la fin du mois de décembre 2022.

Le rapport fait état de divers problèmes, dont des cartes de crédit du conseil de bande utilisées pour payer des biens qui ne sont pas passés par le processus normal d’approbation. Beaucoup de reçus n’ont pas été fournis à temps, quand d’autres n’ont pas été fournis du tout, peut-on lire dans le document. Au total, le montant cumulé de ces reçus manquants s’élève à 82 020 $.

Un panneau qui a la forme d'un chandail orange sur lequel on peut lire "chaque enfant compte".

Lac-Barrière compte environ 750 membres vivant dans la communauté. Environ 150 autres vivent en dehors d'elle.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Les gens oublient de garder les reçus, mais nous ne sommes plus à 82 000 $. En janvier, c’était 25 000 $ qui manquaient, assure Casey Ratt qui sait aussi que certaines sommes ne seront jamais récupérées.

MNP indique aussi que ces derniers mois, de nombreuses avances sur paie ont été faites pour un montant total de 50 000 $.

Nous devons mettre en place une politique sur ce sujet. Par exemple, n’autoriser que des avances de 50 % du salaire, seulement deux fois par an, et exiger un remboursement dans les deux mois, poursuit M. Ratt.

Enfin, MNP souligne aussi des dépassements de frais pour des achats de données cellulaires supplémentaires. Casey Ratt dit qu’il faut simplement bloquer les forfaits lorsque toutes les données ont été utilisées. Comme je le fais avec mes enfants, ajoute-t-il.

Logements et électricité, deux priorités

Le chef a identifié sans trop de mal les deux priorités de son mandat : le manque criant de logements et l’électricité. Comme la communauté dispose d’électricité seulement grâce à une génératrice, la construction de nouveaux bâtiments est impossible : la génératrice actuelle ne serait pas capable d’alimenter de nouvelles unités.

Selon le chef Ratt, il manquerait une vingtaine de maisons à Lac-Barrière.

Une maison dont l'isolation n'est pas terminée.

Cela fait des années que le manque de logement est dénoncé par l'APNQL.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Dans cette communauté, la dernière maison a été construite en 1998. Beaucoup d'entre elles nécessitent des rénovations. D’autres ont désormais une date d’expiration inscrite sur leurs murs : plusieurs maisons installées au bord du lac finiront probablement par tomber dans l’eau à cause de l’érosion.

Pour résoudre ce problème, le chef sait que la communauté doit se pourvoir d’un réseau électrique permanent et efficace. Deux idées sont discutées : le raccordement au réseau d’Hydro-Québec et la création d’une usine de biomasse.

Ce sera à la communauté de choisir. Nous allons devoir organiser un référendum ou un sondage, explique-t-il.

Un pylône d'une ligne électrique.

Les Anishnabeg de la communauté ont le choix de signer un accord avec Hydro-Québec ou bien de développer eux-mêmes une usine de biomasse. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Marc-Antoine Mageau

Dans les rues de la communauté, beaucoup d’Anishnabeg disent ne pas faire confiance à Hydro-Québec qui, pour eux, n’est qu’un bras du gouvernement québécois. Et ils ne veulent pas composer avec lui.

De plus, les Anishnabeg de Lac-Barrière entretiennent un grief contre Hydro-Québec, car la construction d’un barrage a inondé leurs terres. Et même si à l’époque le barrage a été dressé par une autre entreprise, la communauté estime que c’est quand même le gouvernement québécois qui a donné le feu vert à cette compagnie, poursuit Casey Ratt.

Du bois coupé en bordure d'un chemin forestier.

Les restes de bois serviront à faire fonctionner l'usine de biomasse si la communauté opte pour cette option.

Photo : Radio-Canada

Cette crise de confiance a donc poussé les dirigeants de Lac-Barrière à réfléchir à une solution de rechange, dont la biomasse. L’avantage principal serait qu’à terme, le conseil de bande puisse en devenir propriétaire et qu’elle puisse créer de l’emploi. Mais sur le plan environnemental, il est certain que la biomasse n’est pas aussi verte que l'hydroélectricité.

Brûler des retailles de bois entraîne un relâchement de CO2 dans l’air. Casey Ratt le sait. Il rappelle aussi que dans 15-20 ans, il faudra aller chercher plus loin le bois à brûler, ce qui va aussi représenter un défi.

Mais aucune solution n’est parfaite. Il y a toujours des avantages et des inconvénients, dit-il.

Puis les maisons viendront. D'ailleurs, le chef attend avec impatience la livraison de six maisons mobiles d’ici le mois de juin.

Mais il faudra faire des choix difficiles : qui pourra en bénéficier?

Casey Ratt explique que les aînés seront consultés pour établir des critères et qu'un système de tirage au sort pourrait aussi être mis en place.

En attendant, n’est-il pas possible d’en rénover certaines? Selon le nouveau chef, le financement des travaux de rénovation n’est pas assez conséquent. On ne peut que remplacer des fenêtres, des portes, ou refaire une salle de bain, soutient-il.

Un jeune garçon joue au hockey dans la rue enneigée.

La surpopulation dans les logements peut avoir des conséquences sur le bien-être des enfants.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Ces problèmes de surpopulation dans les logements ont des conséquences sur la santé mentale des membres et augmentent les risques de violence domestique. Si on ajoute à cela les problèmes de consommation de drogue et d’alcool à Lac-Barrière, le cocktail devient explosif.

Nous avons de hauts taux de consommation. On essaye de contrôler tout cela, mais c’est dur avec le peu de ressources dont nous disposons, indique encore Casey Ratt.

Mais faire tous ces changements au cours d'un mandat de deux ans à peine, est-ce réaliste? Selon Casey Ratt, la communauté devrait, si elle le souhaite, se manifester pour demander un changement au code électoral.

Les préoccupations des membres sont toutefois loin des enjeux politiques. Généralement, ils vivent au jour le jour. En espérant que le lendemain sera mieux que la veille.

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