Se connaître, faire des affaires, mais aussi maîtriser le territoire

Mikael Robertson, le directeur général de la Commission de développement économique des Premières Nations du Québec-Labrador (CPNQL), lors du Grand rassemblement 2023
Photo : Radio-Canada / Guy Bois
« Le rapprochement via les projets de développement économique, c’est un peu le "fast track" de la réconciliation. Ça mobilise les gens autant autochtones que non autochtones autour d’objectifs communs qui mènent à des projets gagnant-gagnant. C’est à travers ces projets-là qu’on apprend à se connaître. »
Celui qui s'exprime ainsi s’appelle Mickel Robertson. Cet Innu de la Côte-Nord est aussi le directeur général de la Commission de développement économique des Premières Nations Québec-Labrador (CDEPNQL), dont le siège est situé à Wendake dans la région de Québec.
S’il y a un élément qui est ressorti du Grand rassemblement de Gatineau qui se termine vendredi, c’est bien le manque de connaissance mutuelle entre les Premières Nations et les Québécois. Mickel Robertson parle même de deux solitudes.
C’est un peu le principe des deux solitudes [entre les Premières Nations et les Québécois] dans certains endroits au Québec, pas partout, mais un peu comme le Québec et le Canada
, dit-il.
Selon lui, les rencontres économiques comme celle de Gatineau, même si les résultats sont difficiles à mesurer, permettent dans un premier temps de se connaître
, une étape essentielle vers le travail en commun.
Souvent, les gens qui ne sont pas autochtones se demandent comment on peut faire pour travailler avec les Premières Nations, souligne-t-il. Ils sont un peu mal à l’aise de faire les premiers pas. Ces cercles régionaux là, ça permet de créer un lieu où justement les rapprochements sont plus faciles. Et on mise sur le fait qu’éventuellement ces rapprochements débouchent sur des partenariats.
Un développement économique en transformation
Ce diagnostic est partagé par Vincent Lecorne, le directeur de l’Association des professionnels en développement économique du Québec. Une association qui conseille les villes et les MRC, et qui a pris acte du fait que le développement économique est en pleine redéfinition.
Le développement économique change, il se diversifie, il y a des entrepreneurs émergents, les Premières Nations font partie de cela, dit-il. Ce sont de nouveaux acteurs économiques qu’il faut mieux comprendre.
Selon M. Lecorne, il y a des occasions à saisir pour son organisation.
Ce n’est pas un manque d’ouverture de nos membres, mais plutôt le fait qu’il faut une prise de conscience, indique-t-il. Au lieu de travailler en parallèle, en silo, nous avons tous l’avantage de travailler ensemble, de bien se comprendre, de mieux se connaître, avoir des moments en commun, des dossiers en commun.
M. Lecorne mentionne entre autres qu’il existe dans plusieurs régions des entreprises qui sont à la recherche d’acheteurs et que les Premières Nations pourraient jouer un rôle important à ce chapitre.
Le grand chef de Wendake, Rémi Vincent, est aussi un partisan de ces rencontres qui portent sur l’économie, les relations avec les entreprises et les municipalités. Après 400 ans de relation avec la Ville de Québec, on a convenu aussi qu’on ne se connaît pas tant que ça
, affirme-t-il. Or, des ententes conclues avec la Ville de Québec lors du sommet de 2019 sont en train de se concrétiser, même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir
.
On apprend à se connaître, on tisse des liens et ça devient plus naturel dans nos relations
, affirme le grand chef.
Le grand chef de la nation atikamekw, Constant Awashish, retire de ce Grand rassemblement, comme plusieurs autres participants, que malgré la proximité avec les municipalités ou les entreprises on ne se connaît pas
. Ce sont des années de préjugés, de stéréotypes, les effets de la colonisation, constate-t-il. Je pense que c’est encore dans l’imaginaire collectif des gens. En même temps, on veut la même chose, le bien-être de nos populations, et nous sommes tannés d’être mis à l’écart.
Le grand chef Awashish donne l’exemple de la Ville de La Tuque où, dit-il, nous partageons les mêmes défis d’améliorer le sort de nos populations qui sont toutes les deux défavorisées
.
La question cruciale du territoire
Si la compréhension et la prise en compte de l’importance des Premières Nations dans le développement économique font consensus à Gatineau, autant pour les municipalités que pour les entreprises présentes, il reste une grande incertitude qui nuit aux affaires : le statut juridique des territoires autochtones.
Il y a une incertitude autour de la question territoriale. Oui, il y a des traités qui se négocient [mais] c’est une incertitude qui ne touche pas seulement les Premières Nations. Elle touche les investisseurs et l’ensemble des Québécois
, affirme le directeur de la CDEPNQL Mickel Robertson.
C’est le grain de sable dans l’engrenage. Depuis la Convention de la Baie-James, les négociations territoriales entre le Québec, Ottawa et les Premières Nations ont très peu évolué. Aucun traité n’a été signé depuis 1975 au Québec. Les investisseurs potentiels peuvent craindre de perdre leur mise ou encore que leurs investissements soient accaparés par d’interminables procédures si le statut des territoires autochtones au Québec demeure comme en ce moment dans un no man’s land
juridique, faute d’ententes globales avec les nations autochtones.
C’est difficile de développer avec cette épée de Damoclès, avec les possibilités de poursuites [judiciaires] que cela implique. C’est toute la question des droits autochtones, des droits ancestraux qui ne sont pas encore réglés. Quand ce sera réglé, ce sera mieux pour tout le monde
, ajoute le directeur général.
D’autant plus que le contenu des ententes, entre les Autochtones, les sociétés d’État comme Hydro-Québec ou les entreprises, se transforme radicalement. En 1975, par exemple, lors de la signature de l’Accord de la Baie-James, les Cris, les Naskapis et les Inuit ont consenti à éteindre
certains droits pour recevoir des compensations financières.
Aujourd’hui, cette formule est largement rejetée par les nations autochtones. On privilégie les redevances comme avec les minières ou Hydro-Québec, mais on vise surtout une participation active
par l’actionnariat. C’est le cas du projet éolien Apuiat qui regroupe les Innus en tant qu’actionnaires majoritaires en partenariat avec Boralex et la Ville de Port-Cartier.
Cette nouvelle approche permet justement d’avoir des revenus à la hauteur des sommes générées par les projets plutôt que d’obtenir des sommes fixes [comme les redevances]. Ça permet aussi de faire partie des stratégies de développement économique et de créer plus d’emplois pour les membres des communautés. Et ça permet au-delà des revenus d’assurer un certain contrôle sur les projets
, soutient Mickel Robertson. Une façon pour les Premières Nations de consolider aussi leur autorité sur le territoire.
On est sur le territoire, on connaît le territoire, on est des acteurs du développement de ce territoire-là
, conclut le directeur général de la CDEPNQL .
L’économie, donc, pour se réconcilier, mais aussi pour que les Premières Nations soient avant tout maîtres chez elles
.