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Bispiritualité : briser les cases pour simplement « être »

Une personne marche dans la rue avec un panneau indiquant "fierté, bispiritualité autochtone".

Même s'il est devenu plus facile d'assumer sa sexualité hors des normes imposées, les Autochtones qui s'identifient au mouvement LGBTQ2S+ peinent encore à le faire.

Photo : Getty Images / David Dee Delgado

Quitter sa communauté pour vivre pleinement sa sexualité en ville, mais par ce choix, prendre le risque de subir du racisme et de perdre son identité autochtone. Le dilemme est difficile pour les Autochtones qui s’identifient comme bispirituels, queers, non binaires ou encore homosexuels.

C’est pour les aider à ne pas choisir entre leur identité sexuelle ou de genre et leur identité autochtone que Diane Labelle, née d'un père Autochtone d'Akwesasne et d'une mère allochtone et qui défend un héritage mohawk, a décidé, avec l'appui de de Kailey Karahkwinéhtha Nicholas, une jeune Mohawk de Kanesatake, de mettre sur pied l’organisme 2E Cercle (2S Indigiqueer Circle).

Diane Labelle est bispirituelle et anciennement directrice du Centre régional d’éducation des adultes des Premières Nations. Elle est en couple avec une Mohawk depuis plus de 30 ans et a mis du temps avant d’accepter son orientation sexuelle.

Diane Labelle adossée contre un mur rouge.

Diane Labelle milite pour que les gens se sentent bien dans leur peau, en accord avec leur identité profonde.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Et même de comprendre vraiment ce que signifiait le terme bispirituel.

Déjà, petite, Diane Labelle sentait qu’elle avait un côté tant masculin que féminin. J’étais une fille quand c’est ce qu’on attendait de moi, puis un garçon quand c’est ce qu’on attendait de moi, dit-elle.

« Mais plus tard, à l’école, on nous a demandé d’être l’un ou l’autre. On ne pouvait pas être les deux. »

— Une citation de  Diane Labelle
Un participant brandit un drapeau arc-en-ciel.

L'organisme compte participer au défilé de la Fierté à Montréal. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Diane Labelle ne veut pas choisir, mais la chose n’est pas facile à l’époque. Encore moins qu’aujourd’hui. Elle décide, à 16 ans, de quitter Cornwall, la ville où elle a grandi, pour Montréal. Elle y découvre ses premiers bars gais. Je m’y suis sentie comme à la maison, glisse-t-elle.

« Ce qui m’ennuie, ce sont les cases dans lesquelles on essaye de nous mettre. C’est en parlant avec des aînés que j’ai découvert la bispiritualité, la fluidité du genre. J’étais dans la mi-vingtaine. »

— Une citation de  Diane Labelle

Les bispirituels sont considérés comme ceux qui se tiennent au milieu pour équilibrer le cercle, pour équilibrer les cercles masculin et féminin.

Cela va plus loin que l’homosexualité. Il ne faut pas tenter de lier les deux trop étroitement. Les bispirituels sont un autre genre qui décrit quelqu’un avec plus qu’un esprit ou énergie, et cela leur permet de jouir d’une vision plus grande, explique-t-elle.

La Mohawk exprime avant tout son désir d’être.

De l’autre côté du pont Mercier, à Kahnawake, Diane Labelle ne trouve pas une très grande ouverture d’esprit. Elle dénonce un certain dénigrement envers les homosexuels qui existe encore, même si l’actuelle grande cheffe, Kahsennenhawe Sky-Deer, est elle-même lesbienne.

Kahsennenhawe Sky-Deer avec une tunique traditionnelle, assise sur un fauteuil.

La grande cheffe mohawk, Kahsennenhawe Sky-Deer, est la première femme grande cheffe et ouvertement lesbienne. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Diane Labelle déplore le fait que l'orientation sexuelle semble un moyen trop facile d’abaisser les autres. Et il y a peu de compréhension de la non-binarité ou les personnes transsexuelles.

Pourquoi cette homophobie au sein de la communauté mohawk et autochtone en général?

Selon Diane Labelle, cela viendrait de la colonisation et des outils d’assimilation culturelle, comme les pensionnats.

Des chercheurs avancent d'ailleurs que les homosexuels étaient traditionnellement beaucoup plus acceptés dans les communautés autochtones que dans les sociétés occidentales.

Les questions de genre et de sexualité sont arrivées tardivement dans les communautés. Diane Labelle croit qu’il leur fallait d’abord gérer toute la question de l’identité autochtone.

Un immense drapeau de la fierté est porté dans les rues du quartier West End à Vancouver lors d'un défilé.

Diane Labelle espère que les membres pourront se rendre au 36e rassemblement international bispirituel qui se tiendra en Nouvelle-Écosse cet été. (Photo d'archives.)

Photo : La Presse canadienne / Darryl Dick

Aujourd’hui, l’association 2E Cercle, que Diane définit vraiment comme un cercle, veut rassembler tous les Autochtones LGBTQ2S+ du Québec. Des cercles comme celui-ci existent dans d’autres provinces et territoires. Le Québec était encore orphelin.

Diane Labelle et Kailey Karahkwinéhtha Nicholas ont réussi à rejoindre les 11 nations du Québec. Chacune d’elle a un représentant au sein de l’organisme.

On veut entendre toutes les voix. Les Mohawks, à eux seuls, ne peuvent pas représenter tous les bispirituels autochtones du Québec, croit Mme Labelle.

Le projet ne date pas d’hier. Il a même 30 ans. La volonté est de s'attaquer aux difficultés qu'éprouvent les Autochtones qui veulent affirmer leur identité, que ce soit au sein de leur propre communauté ou dans des zones urbaines.

Choix cornélien

Le problème est que durant longtemps, les organismes de financement ont toujours traité séparément l'homosexualité et l'autochtonie.

Ainsi, les cercles de parole et d’échange ouverts aux membres de la communauté LGBTQ2S+ rassemblent essentiellement des non-Autochtones.

Souvent, les Autochtones non-binaires, homosexuels, queer ou bispirituels doivent choisir entre deux parts de leur identité : celle qui les relie à leur autochtonie et l’autre, plutôt reliée à leur sexualité ou leur genre.

Un bloc de béton peint avec le logo des Six Nations.

C'est dans la communauté mohawk de Kahnawake que Diane Labelle a rencontré la femme qui partage sa vie depuis plus de 30 ans. (Photo d'archives.)

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Il semble encore difficile de vivre les deux pleinement, que ce soit dans les communautés autochtones ou en ville. En renonçant à leur vie auprès des leurs, ces personnes se retrouvent dans un environnement certes parfois plus ouvert sur les différentes orientations sexuelles, mais parfois racistes.

Dans les communautés, c’est l’inverse, ce qui crée un vide immense dans leur besoin de sentiment d’appartenance et les pousse à faire un choix difficile. C’est une identité ou l’autre, mais pas les deux à la fois.

Un homme, de dos, qui porte un chapeau avec des pins aux couleurs autochtones.

L'organisme veut rassembler tous les bispirituels des 11 nations du Québec. (Photo d'archives.)

Photo : Getty Images / Jenny Evans

La feuille de route est précise : après avoir réfléchi à l’organisation de la structure, s’être enregistré comme OBNL et avoir cherché du financement, le cercle veut dresser une liste d’activités pour permettre aux membres de participer à de grands rendez-vous comme la Fierté à Montréal, se rencontrer, lancer des missions éducatives, donner des formations aux professeurs, au personnel soignant et surtout, briser l’isolement.

Politiquement, Diane Labelle explique que les représentants du groupe consulteront la population bispirituelle de la région et verront quelles actions politiques elle souhaite voir menées par le groupe.

Trois ans de financement

Diane Labelle explique aussi que le groupe réfléchit à un modèle de gouvernance alternatif et non hiérarchique, mais plus linéaire.

Cette année, le groupe a pu obtenir du financement du gouvernement fédéral grâce, notamment, au soutien de l’organisme montréalais Coalition des familles LGBT+. Il va bénéficier de 244 000 $ pour 2023, puis 100 000 $ les deux années suivantes.

Insuffisant, assure Mme Labelle, bien consciente que la tâche pourra parfois être ardue.

Mais la militante compte bien sur la jeune génération qu'elle trouve plus réceptive aux questions de genre et qui a développé certains réflexes d'ouverture qui n'existaient pas à son époque.

À terme, elle prévoit se mettre en retrait de l'organisme lorsque celui-ci aura atteint son rythme de croisière.

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