ArcelorMittal aurait pollué des cours d’eau plus longtemps que ce qu’on croit
La mine à ciel ouvert de Mont-Wright, à proximité de Fermont (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Ann-Edith Doust
ArcelorMittal a pollué les eaux qui entourent son site minier de Mont-Wright, à Fermont, durant plus d'une décennie. C’est ce que croit sérieusement une inspectrice fédérale qui a déposé un document en cour pour obtenir des comptes de la part de la minière.
Des allégations portant sur des rejets toxiques dans la nature par la mine, entre 2011 et 2013, ont été prouvées devant un tribunal en juin 2022. La Cour du Québec a condamné ArcelorMittal à payer une amende de près de 15 millions de dollars. La minière a porté cette décision en appel.
Les infractions environnementales de la minière auraient continué après 2013, à en croire le document déposé au tribunal de Montréal qui a été produit comme preuve ajoutée à la cause justement portée en appel et qui oppose le procureur fédéral et la minière.
Selon Nathalie Ricard, inspectrice fédérale pour Environnement Canada, la minière a commis plusieurs infractions de rejets d’effluents non autorisés et contenant des substances nocives entre avril 2014 et juin 2022.
Ces rejets auraient provoqué un apport de contaminants exogènes dans le lac Irène, le lac Saint-Ange, le lac Webb
et un ruisseau, peut-on lire.
Les résidus miniers peuvent contenir des substances toxiques et avoir des conséquences sur la qualité des eaux ainsi que sur les différentes formes de vie présentes dans ces eaux.
Mme Ricard reproche à la minière des infractions entrant dans deux catégories distinctes : des infractions de rejets de substances nocives survenus aux points de rejets du complexe minier et des infractions de rejets d’effluents ne passant pas par les points autorisés. Ces derniers rejets atteignent plutôt des eaux où vivent les poissons
, peut-on lire.
Pire encore, ces lacs sont l’un des principaux affluents de la rivière Moisie, qui est une réserve aquatique projetée et qui est reconnue comme l’une des plus importantes rivières à saumon d’Atlantique en Amérique du Nord
, poursuit le document.
Innus et écologistes inquiets
La situation inquiète le conseil des Innus de Uashat mak Mani-utenam (ITUM) d'autant plus que le complexe de Mont-Wright est situé dans le bassin versant de la rivière Mishta Shipu (Moisie), laquelle fait partie intégrante de notre patrimoine naturel et culturel
, indique le chef Mike McKenzie dans un courriel.
Compte tenu de nos relations avec ArcelorMittal et du fait que la compagnie est pleinement consciente de l'importance de la rivière pour les Innus, ITUM doit être informé rapidement et impliqué dans tous les événements qui peuvent affecter le Nitassinan [le territoire traditionnel des Innus]
, ajoute-t-il.
« Il reste beaucoup de travail à faire sur le plan de la collaboration environnementale avec nous. »
Rodrigue Turgeon, coresponsable du programme national pour l'organisme MiningWatch, dénonce le comportement de la minière.
« Ce n'est pas normal qu'on soit obligé de demander une ordonnance pour avoir des informations manquantes. C'est un drapeau rouge. »
Selon lui, le document déposé en cour met en évidence l'inefficacité du système d'autorégulation des minières. M. Turgeon croit aussi que le gouvernement se trouve toujours à la remorque des événements.
Le dossier de 2011-2013 n'est même pas encore réglé et on vient d'apprendre que la minière aurait commis de nouvelles infractions les années suivantes
, déplore-t-il. Il exhorte le gouvernement à mettre en place un vrai système de pollueur-payeur et à mettre fin au système d'autorégulation des minières.
« Faire confiance à un pollueur et négliger d'avoir un suivi sur des sites problématiques crée un cocktail pour ce genre d'infraction. »
Ces fautes, si elles sont avérées, contreviendraient à la Loi sur les pêches, et la minière pourrait être condamnée à payer de lourdes sommes. Jusqu'à 8 millions de dollars en cas de récidive.
L'inspectrice Nathalie Ricard se base sur des analyses en laboratoire d’échantillons fournis par ArcelorMittal, mais elle estime que ces documents sont incomplets.
Sans même détenir la totalité des résultats d'analyse, elle est donc déjà inquiète.
Sa demande au tribunal a été déposée le 2 octobre 2022 et ArcelorMital avait un mois pour y répondre. Espaces autochtones n'a pas pu vérifier si la minière avait transmis les documents manquants exigés par l'ordonnance, car le ministère n'avait pas encore répondu à notre courriel à la publication de ces lignes.
L’enquêtrice affirme en tout cas qu’elle a des motifs raisonnables de croire qu’[ArcelorMittal] a, à plusieurs reprises, entre le 1er mai 2014 et le 30 juin 2022 [contrevenu à la] Loi sur les pêches
.
Contactée par Espaces autochtones, Annie Pré, la directrice de communications d'ArcelorMittal, assure que l'entreprise collabore avec le gouvernement fédéral.
Elle ajoute par courriel : Nous avons investi massivement en protection de l’environnement au cours des dernières années. Nous continuerons de le faire. Nous effectuerons notamment au cours des prochaines semaines la mise en service d’une nouvelle usine de traitement des eaux à notre complexe minier de Mont-Wright.
Elle précise qu'entre 2021 et 2023, la minière a investi près de 1 milliard de dollars dont 30 % consacrés à des projets qui nous permettront de continuer de réduire notre empreinte environnementale
. Qui plus est, 300 millions de dollars seront encore mis sur la table dans les prochaines années, affirme-t-elle.
Est-ce que la minière a fourni les documents demandés? Elle affirme que ce n'était pas à elle de le faire. L'ordonnance du 2 septembre n’était pas adressée à ArcelorMittal, mais plutôt au laboratoire Bureau Veritas [le laboratoire d'analyses]. Nous ne sommes donc pas en mesure de répondre à cette question
, écrit la porte-parole.
Le site minier de Mont-Wright est situé à environ 20 kilomètres à l’ouest de Fermont et fonctionne depuis 1975. ArcelorMittal estime qu’il pourrait être en fonction pendant encore une trentaine d’années.