Les femmes lumière
Deux femmes autochtones qui portent la jupe à rubans traditionnelle.
Photo : La Presse canadienne / Jeff McIntosh
Parmi les très nombreux rôles qu’une fille et, plus tard, une femme doivent jouer dans le cours d’une vie, celui qui est le plus valorisé par la culture populaire occidentale est sans doute celui d’être un objet de désir.
Cette force d’attraction est évidemment liée au pouvoir ultime des femmes, celui de porter et donner la vie. En ayant en elles cette fonction dans un univers qui en a réduit la portée sacrée, les filles naissent, sans le savoir, dans un monde dangereux.
Malgré des décennies de luttes pour l’équité entre les sexes, même en vivant dans une société où la diversité est de plus en plus acceptée, tant de travail reste à faire.
Par exemple, au Canada, les femmes autochtones sont probablement le segment de la population le plus vulnérable. Elles sont en moyenne exposées à plus de dangers, évoluent dans des environnements plus pauvres, assument des responsabilités seules et en bas âge, risquent davantage d’être victimes de crimes violents et sont surreprésentées dans le système de justice pénale.
Bien sûr, en cette journée du 8 mars, je vais célébrer et remercier toutes ces femmes qui ont ouvert le sentier et qui continuent de le faire. Je ne pourrais pas passer sous silence toutes ces femmes qui m’inspirent par leur parcours de vie.
Woliwon, merci :
- À ces mères qui sont venues avant moi pour que je puisse l’être à mon tour;
- Aux femmes spirituelles qui portent la voix, les chants et les gestes de nos ancêtres;
- À celles qui sont des vraies leaders positives, qui osent faire les choses différemment;
- Aux apprenantes de tous les âges qui veulent comprendre notre histoire pour mieux réparer nos peuples;
- À ces jeunes qui ont le courage d’affirmer leur identité en hommage à celles qui n’ont pas pu le faire avant elles;
- À toutes ces femmes qui dérangent...
Je veux aussi avoir une pensée pour notre histoire brisée, parce qu’il est difficile d’aller de l’avant sans comprendre ce dont nous avons hérité.
Il n’y a pas besoin de remonter loin dans l’histoire pour voir que les femmes autochtones au Canada ont fait l’objet d’un traitement colonial spécial.
On s’est acharné sur elles en les empêchant de jouer leur rôle au sein de leurs sociétés au moment où le gouvernement a décidé que seuls les hommes pouvaient décider et discuter de politique.
Les curés et les politiciens sont entrés dans leurs chambres à coucher pour décider à leur place de l’avenir de leur famille et de leurs enfants en mettant en place les articles discriminatoires de la Loi sur les Indiens, ce qui les forçait à renier leur origine si elles se mariaient avec une personne non autochtone.
On les a empêchées de guérir les corps et les âmes des gens de leurs communautés en interdisant les pratiques rituelles et en effaçant les langues autochtones du territoire et les cultures des livres d’histoire.
Finalement, des fonctionnaires fédéraux ont fait en sorte que ces femmes ne puissent plus être mères, tantes et grand-mères en enlevant les enfants, ce qui prouve de multiples façons l’existence d’une créativité malsaine, malveillante, destinée à faire disparaître ce pouvoir des femmes.
Ces politiques d’assimilation dont nous sommes collectivement les héritiers ont pris racine dans la peur et il me semble parfois que tout s’est joué dans les premières rencontres avec les Européens, ici, sur l’île de la Tortue*.
Dans nos sociétés traditionnelles, les femmes prenaient part aux décisions politiques, discutaient de l’organisation sociale, et leur féminité n’était pas subordonnée au désir et à la volonté unilatérale d’un seul homme.
Le pouvoir des femmes était reconnu, elles étaient plus proches du monde des esprits. En portant la vie, elles pouvaient créer un espace de contact entre les générations passées et futures. Leur lien avec la Terre mère les plaçait de facto dans un rôle sacré de protection et de responsabilité de leur territoire.
Je suis une femme forte. Je suis déterminée, éduquée et obstinée. Je dérange, je le sais bien.
Aussi, il m’arrive parfois de voir dans le regard de certains hommes cette ombre que mes ancêtres ont dû apercevoir quand le respect envers le pouvoir des femmes s’est transformé en crainte.
Cette ombre-là a plané trop longtemps sur nos peuples. Elle s’est logée dans les cœurs et les esprits, et nous a tous fait oublier qu’à la base, nos sociétés étaient en équilibre par l’effet d’une complémentarité des rôles reposant sur des millénaires d’expérience.
C’est contre cette même ombre que les filles et les femmes doivent se battre pour devenir des directrices, des cheffes, des diplômées, des artistes et des femmes médecins.
À toutes ces femmes inspirantes qui, une victoire après l’autre, aident tant de personnes à guérir de notre histoire coloniale collective : continuez de briller, lorsque la lumière sera assez forte, l’ombre disparaîtra.
* C’est ainsi que les Premières Nations désignent l’Amérique du Nord.