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Chronique

On ne s’excusera plus de vivre

Une vieille photo en noir et blanc de jeunes écoliers autochtones en uniformes, assis en rangées.

Des écoliers de l'ancien pensionnat de Blue Quills à Saddle Lake, près de Saint-Paul. Il a fermé ses portes en 1970.

Photo : Bibliothèque et Archives du Canada / Ministère de l'Intérieur/PA-046123

Edith Bélanger

Mon esprit est hanté cette semaine. À travers les tâches domestiques et le travail, dans le tumulte de ma vie surchargée de projets et de rêves, il y a une pensée qui revient toujours dans ma tête.

Les vies autochtones dérangent dans ce pays.

C’est comme ça depuis les premiers contacts où les puissances coloniales ont préféré faire comme si les Autochtones n’existaient pas tellement ils dérangeaient leurs plans. Terra Nullius, territoire vide, territoire pris.

Edith Bélanger est une diplômée de philosophie de l’Université Laval et de l’ENAP en administration publique en contexte autochtone. Elle est candidate au doctorat en gouvernance traditionnelle autochtone à l’UQAT. Edith est membre de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk (Malécite).

La semaine dernière, une nouvelle a réveillé cette pensée obsédante qui me fait serrer les dents chaque fois que je sers à boire à mes enfants.

Une enquête menée en Alberta autour du pensionnat pour Autochtones de Blue Quills, pour identifier des tombes non marquées, a permis de mettre au jour des archives troublantes. En effet, ce sont des centaines d’enfants, en bonne santé à leur arrivée au pensionnat, qui y ont trouvé la mort, possiblement après avoir consommé du lait non pasteurisé.

On a servi aux enfants du lait qui était un vecteur de la tuberculose. Ils en sont morts, par centaines.

L'Université Blue Quills des Premières Nations, en Alberta.

L'Université Blue Quills des Premières Nations, près de St. Paul, en Alberta, occupe les bâtiments de l'ancien pensionnat pour Autochtones du même nom.

Photo : Radio-Canada / CBC

Oui, je sais, vous n’avez sans doute pas envie de lire quelque chose d’aussi tragique, mais je ne m’en excuserai pas. Je ne me retiendrai pas de dire cette vérité qui dérange.

Ce n’est pas le lait qui est responsable du décès de ces enfants, c’est la politique canadienne d’assimilation et les individus qui ont trop bien joué leur rôle dans cette tragédie nationale, qui s’est déployée en grande partie dans les pensionnats pour Autochtones.

Faire la sourde oreille

Cette indignation qui m’habite est inconfortable. J’oscille entre la peine et la colère et, parfois, je ne sais pas quoi en faire, surtout quand je suis confrontée à l’ignorance ou, pire encore, à l’aveuglement volontaire.

Par exemple, il se trouve toujours des gens qui refusent d’être dérangés dans leur confort et qui jettent le blâme sur ceux qui veulent utiliser l’éducation pour rétablir les faits.

La chroniqueuse Denise Bombardier entre dans la catégorie des gens qui voudraient qu’on se taise et, plus encore, qu’on se sente coupable de souhaiter que tous les Canadiens connaissent la réalité de l’histoire coloniale et ses effets encore bien trop présents, comme une blessure qui ne cicatrise jamais.

Dans un papier publié le 20 janvier, madame Bombardier assimile l’éducation aux enjeux autochtones à une forme de propagande destinée à culpabiliser les enfants québécois de souche… Ce sont les mots qu’elle emploie.

Denise Bombardier devant un micro dans un studio radio de Radio-Canada.

La journaliste et animatrice Denise Bombardier, en entrevue à la radio de Radio-Canada (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Catherine Contant

Si je suis son raisonnement, il n’y a donc pas de possibilité de vivre ensemble? Il faudrait donc choisir entre la conscience tranquille des Québécois de souche et le besoin légitime des peuples autochtones de savoir que leur histoire réelle, vécue, est connue.

Heureusement, je fais partie de ceux qui croient en la possibilité de créer des ponts entre les peuples. Comme plusieurs amis et collègues qui œuvrent dans le vaste domaine de l’éducation, je constate que, même si la vérité est inconfortable, elle ouvre la voie à une plus grande conscience sociale, et ça, c’est un ingrédient essentiel d’une société plus juste.

Le défi de l'éducation

George Brassens, qui était bien plus défaitiste que moi, disait que tout se jouait à la naissance quand il chantait Quand on est con, on est con… Pour ma part, je crois que c’est dans l’éducation des plus jeunes que tout se joue. Rendus à l’âge adulte, il me semble que le défi est souvent plus grand.

Un cruel rappel de l’étroitesse d’esprit de certains adultes, pourtant bien éduqués, s’est pointé dans l’actualité, hier, alors qu’on apprenait qu’un avocat d’origine chinoise avait lancé une pétition pour contester une formation obligatoire aux enjeux autochtones destinée aux avocats.

L'avocat Roger Song.

C'est l'avocat calgarien Roger Song qui est à l'origine de la pétition demandant la levée de l'obligation de suivre le cours de connaissance autochtone. Il considère qu'obliger les avocats à suivre ce module est une forme d'« endoctrinement politique ».

Photo : Fournie par Roger Song

Me Song trouve que cinq heures de formation en ligne sur les réalités autochtones et les compétences culturelles, c’est trop pour lui, et il assimile cela à de l’endoctrinement. Il évoque la propagande qu’il a vécue en Chine.

C’est étonnant à quel point les réactions tant de Mme Bombardier que de Me Song s’apparentent à ce qu’on qualifie de gaslighting, cette opération par laquelle une personne qui refuse de remettre en question ses comportements ou ses croyances envers une personne ou un groupe renverse la situation par une habile manipulation qui vise à culpabiliser son vis-à-vis.

Je garde le micro et je monte le volume

J’ose croire que la majorité des Canadiens et des Québécois ne sont pas aussi déterminés à rester dans cette situation d’ignorance qui sépare les peuples et qui, il faut se le dire, contient le terreau fertile du racisme.

Et, parce que j’y crois, parce que je sais qu’il y a parmi vous une armée d’alliés, je ne m’excuserai plus de dire la vérité et de raconter nos histoires, aussi difficiles à entendre soient-elles.

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