Innus et allochtones unis pour empêcher de nouveaux barrages sur la Magpie
David contre Goliath. L'épisode biblique illustre le combat que livrent les Innus, aux côtés de leurs voisins de la Côte-Nord, contre le gouvernement provincial et Hydro-Québec. Les premiers veulent protéger la rivière Magpie, les autres envisagent d’y construire de nouveaux barrages.

La Magpie est très convoitée par les sportifs qui aiment la descendre en kayak ou en rafting.
Photo : Boreal River Adventure
Le combat pour protéger la rivière Magpie a dépassé depuis longtemps les frontières de la communauté innue d’Ekuanitshit, située à 180 kilomètres à l'est de Sept-Îles, sur la Côte-Nord. Même si la Magpie se trouve sur leur territoire ancestral, le Nitassinan, les Innus la partagent avec les communautés non autochtones du reste de la Minganie.
La MRC
, la Société pour la nature et les parcs (SNAP) et l’association Eaux vives Minganie sont donc aux côtés des Innus pour sauver la rivière.Une union qui leur permet de faire front commun contre les visées du gouvernement et d’Hydro-Québec.
Lors de la dernière campagne provinciale, le candidat François Legault avait évoqué la Magpie pour y construire de nouveaux barrages afin d’augmenter la production hydroélectrique du Québec.
Une ambition qu’il a confirmée en tant que premier ministre par la suite.
Mais entre lui et la rivière se dressent des communautés qui ont plusieurs arguments dans leur besace.
Du côté d’Hydro-Québec, l’argument se tient en une phrase : la société d’État doit ajouter 2000 MW de puissance à ses centrales d’ici 2035. Elle doit donc trouver des solutions.
Alliance ancienne
Luc Noël, le préfet de la MRC de Minganie, n’en est pas à sa première joute pour protéger le patrimoine naturel du Québec. Le chef du conseil de bande d’Ekuanitshit, Jean-Charles Piétacho, non plus.
Les deux hommes ont déjà parlé d’une seule voix lorsque Petrolia voulait exploiter les ressources de l’île d’Anticosti. Et leur détermination a payé.
Dans le bureau du préfet, une écorce de bouleau sur laquelle est inscrit un message de remerciement, illustre cette alliance entre les Innus et les allochtones.
Aujourd’hui, ils sont dans le même canot pour sauver la Magpie.
Tourisme, éoliennes et panneaux solaires
Depuis la visite du fils de Robert F. Kennedy, qui avait descendu ce cours d’eau, le préfet a de grandes ambitions pour la Magpie. Et elles pourraient allier protection de l’environnement et développement économique.
La Magpie est l’une des 10 meilleures rivières au monde pour les activités en eaux vives. On peut faire d’autres choses avec elle que d’y construire des barrages
, explique Luc Noël. Il a en tête le tourisme.
L'idée séduit le chef Piétacho qui prévient tout de même que le tourisme de masse n’est pas non plus une bonne avenue. Il y aura des impacts, mais au moins, on aura un meilleur contrôle. Oui aux touristes, mais de manière limitée
, dit-il.
Mais comment faire alors pour augmenter la production électrique de la province?
On a de la place pour des éoliennes
, répond le préfet. Il y a aussi les panneaux solaires
, ajoute le chef Piétacho.
Aucune réponse de la part du gouvernement à l’évocation de ces idées.
Faire miroiter des redevances
En face, les promesses sont monétaires. Elles portent le nom de redevances
. Mais ni Luc Noël ni Jean-Charles Piétacho n’y croient.
On va faire cinq, quatre, deux barrages… Ça va nous donner quoi de plus à la région? Des redevances, quelques contrats de travail durant le temps des travaux et après on sera de nouveau livrés à nous-mêmes
, dit M. Noël.
Il évoque le cas des barrages construits sur la rivière Romaine.
La Romaine est arrivée, on avait trois-quatre municipalités dévitalisées [dépourvues de services minimums comme une station-service ou un dépanneur, NDLR]. Onze ans plus tard, on a encore trois-quatre municipalités dévitalisées. Qu’est-ce que la Romaine a laissé dans la région? Des barrages, des dividendes, quelques moyens supplémentaires. Avec l’argent, on s’est fait un complexe aquatique. Mais franchement, il [le gouvernement, NDLR] n’aurait-il pas pu le payer?
, lance le préfet dans une diatribe enflammée.
Il rappelle que le coût de la vie dans la région de la Minganie est élevé et que, même si le projet de la Romaine a donné des montants intéressants
à la région, il ne l’a pas dynamisée comme ça aurait pu le faire
.
Il ne suffit pas selon lui de donner un plat de bonbons et de dire "servez-vous", sans faire de pédagogie
pour développer une région.
Tout ce que ça a fait, la Romaine, comme mon grand-père dirait, c’est mettre un plaster sur une jambe de bois. Ça paraît bien, un plaster sur une jambe de bois, mais ça la guérira pas
, ajoute-t-il avec son franc-parler.
Ce qui s’est passé pour la rivière Romaine, où quatre barrages ont été construits, est encore dans tous les esprits. À l’époque, quand je me suis opposé à ce projet, les gens disaient que je travaillais contre l’économie, le développement. Aujourd’hui, ces maires me disent que j’avais raison
, explique le chef Piétacho.
Ce dernier affirme qu’en règle générale, les Innus d’Ekuanitshit ont toujours dénoncé les ententes de répercussions et avantages signées avec les entreprises.
Ce sont des ententes qui s’étendent parfois sur 50 ans, mais nous, on a besoin d’argent maintenant, notamment pour le logement
, renchérit M. Piétacho.
« Ce ne sont pas les redevances qui nous intéressent en ce moment, c’est la Magpie. »
Rita Mestokosho, poétesse innue d’Ekuanitshit, aimerait elle aussi que des leçons soient tirées de ce choix qui a été fait au début des années 2000.
Sommes-nous plus riches? Sommes-nous plus heureux? En meilleure santé? La réponse est claire
, affirme-t-elle.
La poétesse innue ne donne pas de réponse, mais son regard parle à la place de ses lèvres.
Shanice Mollen Picard, une autre Innue, n’y croit pas non plus. C’est pas l’argent qui va nous faire vivre quand il n’y aura plus rien sur la terre
, dit celle qui se bat depuis des années pour protéger désormais la rivière Magpie dans le but de lui éviter le même avenir que la Romaine.
Je n’ai jamais pu pagayer sur la Romaine. J’aimerais que mon fils puisse, comme moi, pagayer sur la Magpie
, dit-elle.
Aujourd’hui, on sait que la planète est en train de souffrir. On subit déjà les conséquences. Ce sera encore pire quand les océans vont monter. Nous, on veut faire du développement durable. Protéger cette partie du territoire
, martèle le préfet Noël, pas intéressé pour un sou aux dollars que pourraient lui faire miroiter les instances politiques.
Le ministre Pierre Fitzgibbon est régulièrement appelé à commenter les projets d’Hydro-Québec. Son cabinet a toutefois été avare de commentaires concernant la Magpie, nous renvoyant vers Hydro-Québec.
Du côté de la société d’État, on rappelle que présentement, aucun développement n’est prévu sur la rivière Magpie. Cependant, il serait prématuré de renoncer définitivement au potentiel d’une rivière, quelle qu’elle soit, en ce moment.
Francis Labbé, le porte-parole, ajoute aussi que [les] potentiels énergétiques sont étudiés en fonction de nos critères, qui sont l’acceptabilité sociale, l’environnement et la faisabilité technique
.
Concernant la Magpie, il est clair que pour le moment, le premier critère n’est pas rempli.