Elle revisite la grande tradition picturale en remplaçant les hommes par des animaux
L'artiste mohawk Crystal Deer présente sa toute première exposition à la Galerie Shé:kon, à Montréal.

Originaire de Kahnawake, Crystal Deer présente sa toute première exposition qui réunit une trentaine de peintures et de dessins.
Photo : Michael Patten
Effacés, les angelots, Marie, Jésus et autres figures religieuses! Crystal Deer les a remplacés par des chèvres, boucs et hiboux tout en conservant la composition classique des tableaux d’origine dont elle s’inspire. « Je suis plus attachée aux animaux qu’aux gens », résume-t-elle. Foi d’artiste en début de carrière.
Née en 1990, Crystal Deer est une artiste multidisciplinaire de Kahnawake
, annonce le programme de l’exposition Masters Revised (Les Maîtres révisés), à l’affiche de la Galerie Shé:kon jusqu’au 11 mars, à Montréal. Une vingtaine de peintures et sept dessins y sont exposés, fruit de plusieurs années de travail pour cette artiste émergente à découvrir.
Derrière l’appréhension d’accueillir son premier public le jour du vernissage, samedi, Crystal Deer affiche l’aplomb des artistes qui savent ce qu’ils veulent, et valent. Sur le choix des grands maîtres romantiques et baroques dont elle révise
un florilège de chefs-d'œuvre? J’aime leur travail, mais je me dis que j’aurais préféré que ce soit avec des animaux
. Il suffisait d’y penser.
Un buffle toise le spectateur telle une Madone altière dans une étole chatoyante. Dans un autre tableau, un hibou surplombe une scène religieuse en remplacement de Marie. Le titre Madona in Glory Revised incite le spectateur à retrouver sur Google la version originale et à comparer les deux. L’exercice se décline très bien avec les autres tableaux. Entre l’original et la version Deer, impossible de ne pas sourire.
Lumières, compositions, respect des pigments… Le travail académique a été peaufiné au Collège Dawson, où Mme Deer a suivi ses études en beaux-arts, puis à l’Université Concordia, où elle a obtenu un baccalauréat en arts plastiques et lié des amitiés artistiques qui lui permettront, un temps, de travailler dans un studio collectif.
D’un coin de l'œil, elle scrute le public et se demande si l’un de ses professeurs viendra lui rendre visite le jour du vernissage. Beaucoup l’ont encouragée, à raison, mais il y en a un qui l’a particulièrement inspirée. Guiceppe di Leo!
prend-elle le soin d’écrire en soulignant son nom. Très traditionnel, très technique
. Peut-être lui doit-elle sa maîtrise des voluptueux nuages et des pelages d’animaux dont elle exprime très bien la texture.
Quand elle évoque son exposition, Crystal Deer laisse transparaître sa passion, mais aussi son intransigeance et sa minutie. Certains tableaux, comme Hagar in the Desert revised, ont nécessité au moins 150 heures de travail, raconte la peintre. Elle s’est essayée à la technique de la tempera à l'œuf qui remonte à l’antiquité. Plus jamais!
, lance-t-elle.
Pour l’heure, ses pièces ne sont pas à vendre, prend-elle le soin de préciser, car la série n’est pas achevée. Quant à l’influence autochtone dans son art, l’artiste mohawk n’y voit aucun rapport avec son travail.
« Les chèvres et les hiboux, ça ne vient pas de notre culture. »
Un lieu pour les talents émergents
Dans le cousinage artistique des peintres revisitant l’esthétique classique, Crystal Deer évoque l’Américain Adam Miller, qui a notamment signé une fresque de près de neuf mètres carrés sur les moments marquants de l'histoire du Québec. Un mélange entre la grande tradition de la peinture et des éléments contemporains inattendus. Et l’on pense aussi à Kent Monkman, artiste d'origine crie devenu vedette internationale dans le cénacle de l’art contemporain.
Une référence qu’approuve Michael Patten, directeur de la Biennale d’art autochtone contemporain de Montréal dont dépend la galerie Shé:kon. Crystal Deer renverse la chaîne alimentaire, d’une certaine façon, en mettant les animaux à la place des humains
, analyse M. Patten.
Crystal Deer est la 5e artiste exposée dans cette galerie destinée aux arts visuels autochtones émergents et aux commissaires de la relève du Québec. Avis aux intéressés, les appels de candidatures sont toujours en cours.
Une exposition à la Galerie Shé:kon peut aussi constituer une passerelle pour les artistes qui souhaitent faire partie de la prochaine Biennale d’art contemporain autochtone, prévue au printemps 2024 dans plusieurs villes du territoire québécois, mentionne M. Patten.