Le caribou et les embûches à la protection de la biodiversité
Depuis des années, les Innus de Pessamit demandent la création d'une aire protégée afin de protéger le caribou du Pipmuacan.

La population du caribou du Pipmuacan est « dans un état critique ».
Photo : Gracieuseté : Jean-Luc Kanapé
Les Innus de Pessamit luttent depuis des années afin d’assurer la protection de la population en déclin du caribou du Pipmuacan. Or, au-delà de ces efforts et de cette volonté, ils se heurtent à de la résistance institutionnelle.
C’est ce qu’ont expliqué des membres de cette communauté de la Côte-Nord lors d’une présentation tenue à Montréal dans le cadre de la 15e Conférence des parties à la Convention sur la biodiversité des Nations unies (COP15).
Le lien que les Innus entretiennent avec le caribou est sacré
, souligne Jérôme Bacon St-Onge, vice-chef de la Première Nation des Innus de Pessamit, pendant cet événement.
Le caribou, ou atiku en innu-aimun, est une espèce qui nous a permis de survivre pendant des millénaires
, ajoute M. Bacon St-Onge.
« Nous essayons de tout mettre en œuvre pour la protection du caribou pour continuer de préserver l’espèce qui nous a permis de survivre tout ce temps. »
Les populations de caribous se situant sur le Nitassinan, le territoire traditionnel innu, sont en déclin en raison de l’exploitation forestière, des activités de villégiature et des feux de forêt qui ont perturbé les habitats.
Cependant, la population se situant autour du réservoir Pipmuacan est dans un état critique
, affirme Marie-Hélène Rousseau, qui est ingénieure forestière pour le Conseil des Innus de Pessamit.
La proportion de mâles par rapport au nombre de femelles est à 6 %, alors que, selon le seuil d’Environnement Canada pour déterminer si une population est saine, ça devrait être à un minimum de 15 %
, explique Mme Rousseau.
C’est pourquoi, depuis 2019, les Innus de Pessamit somment Québec de déclarer le territoire autour du réservoir Pipmuacan comme aire protégée.
Un projet d’aire protégée est d’ailleurs recommandé par la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards du Québec. De plus, dans son rapport paru en août 2022, la Commission qualifie le projet des Innus de très étoffé
.
Des obstacles bureaucratiques
Un constat que l’on peut faire, c'est l'inefficacité des processus gouvernementaux, observe Mme Rousseau. Ils ne prennent pas en compte les enjeux de perte de la culture liés à la perte de biodiversité.
Les processus mis en place actuellement ne permettent pas de respecter les droits ancestraux, d’intégrer les préoccupations des communautés, et ne favorisent pas le leadership autochtone
, énumère l’ingénieure forestière.
« On fait face à un régime forestier qui est inflexible où la vocation première du territoire est de nature économique. On ne reconnaît pas la valeur culturelle de la forêt. »
Aussitôt qu’on a une préoccupation ou une solution à apporter, c’est un non catégorique
, soutient Mme Rousseau.
Pour les Innus de Pessamit, cette situation peut s’expliquer par la divergence entre leur vision et celle de l’État québécois, et par la rigidité de la bureaucratie.
Pour le gouvernement, la forêt se décrit avec des caractéristiques géographiques, écologiques, mais il y a une totale absence de reconnaissance de la présence innue et de la valeur culturelle de nos forêts
, illustre Marie-Hélène Rousseau.
L’ingénieure forestière déplore que les ministères auxquels les Innus ont à faire fonctionnent en silos
, c’est-à-dire que ces ministères ne communiquent pas entre eux.
« On peut mentionner aussi la lenteur et la multiplication des processus, poursuit-elle. On peut le constater en regardant le nombre d’années que ça prend pour aboutir avec un projet d’aire protégée au Québec ou encore avec la mise en place d’une stratégie pour le caribou qu’on attend toujours. »
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