Le chemin complexe de la réconciliation : le cas de Natashquan
Les galets de Natashquan, en hiver
Photo : Radio-Canada / LAURENCE ROYER
Un an après son élection, le premier maire innu de Natashquan, Henri Wapistan, fait face aux réticences de certains de ses citoyens. Présenté au début de son mandat comme porte-étendard de la réconciliation, des tensions se sont pourtant dévoilées depuis son arrivée. Comme quoi cette réconciliation entre Autochtones et non-Autochtones n’est pas facilement acquise et que le chemin pour y arriver demeure ardu.
Ma première année s’est très bien passée malgré tout
, croit M. Wapistan depuis Nutashkuan, la communauté innue voisine de la municipalité qu’il dirige.
Obtenue grâce à une mince avance de 16 voix, sa victoire face à la précédente mairesse Marie-Claude Vigneault a été obtenue de justesse.
Qualifié de maire de la réconciliation, Henri Wapistan a pourtant connu une première année de mandat quelque peu mise à mal.
Des maisons occupées sans permission par des Innus, des résidences incendiées; les tensions entre Natashquan et Nutashkuan, la communauté innue tout près, n’ont pas manqué.
Je suis au courant et je veux que ça se règle
, assure M. Wapistan.
La situation à Pointe-Parent
Au printemps 2022, quelques mois après l’arrivée au pouvoir du maire Wapistan, des membres de la communauté de Nutashkuan ont commencé à occuper 13 résidences à Pointe-Parent, un petit village qui fait partie de la municipalité de Natashquan.
À ce moment-là, le conseil de Nutashkuan parle d'un problème de logement dans la communauté qui a poussé des Innus à occuper ces demeures sans permission. Depuis plusieurs années, le gouvernement est en processus de rachat des résidences de Pointe-Parent. Avant l'occupation de ces propriétés, Québec souhaitait faire de Pointe-Parent une destination touristique.
Un propriétaire de chalet dans le secteur, qui veut garder l’anonymat, se désole de la façon dont le dossier est géré.
Je demeure responsable de ce chalet-là, dit-il. Je comprends le manque de logement, mais c'est un enjeu de sécurité aussi avec les incendies qu'il y a eu.
On n’est pas rassurés, poursuit-il. On n’a pas un mot de la mairie, pas un mot de la police, on ne sait pas comment ça se développe.
Le maire Wapistan n’a pas répondu aux questions d’Espaces autochtones à ce sujet.
Une élection légitime?
La présence même d’Henri Wapistan au poste de maire soulève néanmoins des questionnements sur sa légitimité.
Qualifiée d’historique
par certains, sa victoire avait pourtant semé de l’inquiétude entre autres parce que M. Wapistan n’est pas citoyen de Natashquan.
Les élections [de 2021] se sont faites un peu bizarrement
, se souvient par ailleurs un ancien élu de Natashquan qui souhaite également garder l’anonymat par crainte de représailles.
Ça a été un affront pour le village, poursuit cette même personne. [M. Wapistan] a été arrogant. Ça n’a pas été fait de manière sympathique et pour les bonnes raisons. C’est comme si cet individu voulait avoir le titre de premier maire innu et prendre le contrôle du village.
En 2008, le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) a modifié les listes électorales en considérant que les territoires de certaines communautés autochtones sont inclus à ceux de municipalités voisines. C’est ainsi que Henri Wapistan a pu se présenter comme maire de Natashquan même s’il n’y habite pas.
Par ailleurs, à Mashteuiatsh, une autre communauté innue située au Saguenay-Lac-Saint-Jean, le conseil de bande recommande à ses membres de ne pas participer aux élections municipales de Roberval même s’ils figurent sur la liste électorale.
Des démarches ont été entreprises par Roberval et Mashteuiatsh auprès du gouvernement du Québec afin de remédier à cette situation qui est en contradiction avec le processus d’autonomie gouvernementale
, selon la communauté.
Le fait de faire perdurer une telle situation est totalement absurde. On croit assister à la rediffusion d’un mauvais film à chaque élection municipale
, avait affirmé, dans un communiqué, le chef de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique, aux dernières élections municipales de 2021.
Il y a 19 communautés au Québec [dans la même situation], dit l’ancien élu de Natashquan. On n’a jamais voulu faire changer ça parce qu’on ne voulait pas créer de mauvaises relations avec les Innus. Mais lui [Henri Wapistan] n’a pas pensé à ça. Il n’a pas pensé que ça allait créer des tensions et amener du négatif.
Maintenant, la grosse inquiétude, c’est que, dans trois ans, ce soit un conseil innu qui soit élu à Natashquan
, estime cette personne.
De son côté, l’actuel maire se considère comme faisant partie de Natashquan, même s’il n’est pas résident.
Je ne suis pas un étranger; je suis un gars d’ici et je connais la place
, avait-il affirmé lors de la dernière campagne électorale.
La réconciliation, ça prend plus qu’un maire pour y arriver
Somme toute, les relations entre Natashquan et Nutashkuan à travers le temps laissent présager une certaine harmonie et une compréhension mutuelle entre les deux communautés, d’après des Innus.
Entre les Innus et les Acadiens, les rapports ont toujours été bons, rappelle un Innu de Nutashkuan qui préfère taire son nom.
Les familles qui se sont installées à Natashquan ont eu le soutien des Innus et vice-versa
, raconte-t-il.
Si des tensions existent aujourd’hui, le retour à des temps plus doux n’est pas impossible, selon Richard Malec, un ancien conseiller à Nutashkuan.
Il y a des malaises, admet-il. Mais ça va finir par cicatriser. Il y a de la bonne entente et j'ai confiance en mes voisins.
Pour Richard Malec, la mairie n'est pas entière responsable des tensions entre le village et la communauté.
C'est le gouvernement, le ministère [responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit], qui sont responsables au final, estime-t-il. Pour que ça se règle, il faut que [les Innus] aient une forme [d'autonomie].
Une réconciliation, ça prend plus qu’un maire pour y arriver
, nuance l'autre source innue.
Ça ne va pas arriver du jour au lendemain non plus, poursuit cette même personne. La réconciliation, c’est un travail collectif qui prend du temps.
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