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« Ils ont voulu tuer le chant de gorge inuit, mais l’art est toujours vivant », Lydia Etok

Une femme assise.

L'Inuk Lydia Etok pratique le chant de gorge depuis ses 18 ans.

Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine

Samedi soir au Théâtre Outremont, Lydia Etok va offrir une performance de chant de gorge avec à l’esprit que l’héritage de ses ancêtres aurait pu à jamais s’éteindre. L’artiste inuk ayant grandi au Nunavik, dans le Grand Nord québécois, exprime à pleine voix son « trésor culturel » comme un pied de nez aux politiques d’assimilation.

Quand les colons et les missionnaires sont arrivés dans l’Arctique et qu’ils ont entendu pour la première fois les chants de gorge inuit, ils ont pensé que c’était la parole du diable, raconte Lydia Etok en secouant la tête. Ils ont alors interdit aux femmes de pratiquer la tradition millénaire, qui a par la suite failli disparaître de la surface de la Terre.

Assise sur une chaise dans sa cuisine, avec sur la table une pile de livres en langue inuktitut baignés d’une lumière ambrée automnale, l’interprète explique que le chant de gorge n’a bien sûr jamais rien eu de diabolique.

L’ignorance et la volonté de domination ont causé un mal immense au peuple inuit, souffle-t-elle. Mais on est parvenus à se relever grâce à notre obstination et à cette volonté de ne pas accepter la défaite.

Elle ajoute que le chant – nommé katajjaq en inuktitut – était surtout un jeu de patience, une activité ludique pour occuper la journée ou bien s’amuser pendant les longues soirées d’hiver. C’était un moyen de laisser passer le temps en attendant le retour des chasseurs, dit-elle.

Perdre le chant de gorge, c’est comme perdre un membre de notre corps. Il y a une part de notre identité qui s’en va et qui ne reviendra plus jamais.

Une citation de Lydia Etok

La pratique a bel et bien frôlé l’extinction. Elle a survécu grâce à la détermination de quelques femmes qui ont continué de chanter en cachette, malgré la peur et les menaces, souligne l’artiste. Les aînées ont sauvé la tradition grâce à leur sagesse. Elles assurent maintenant la transmission des valeurs traditionnelles aux nouvelles générations.

Deux chanteuses inuit sur la scène.

Les chanteuses de gorge inuit Lydia Etok (à gauche) et Nina Segalowitz (à droite), lors d’une représentation du concert Saimaniq. (Cédric Trahan / Avec l'autorisation de France Gaignard)

Photo : gracieusete / Cédric Trahan

Née à Montréal d’une mère inuk, la chanteuse a vécu dans le petit village de Kangiqsualujjuaq, au nord-est de Kuujjuaq. Elle explique que, durant sa jeunesse, elle entendait ici et là des échos de personnes qui s’adonnaient aux chants de gorge, mais la revitalisation demeurait timide.

C’est à partir des années 1980 qu’on a assisté à une véritable renaissance, précise-t-elle. Les jeunes voulaient apprendre cet art oral pour se réapproprier leurs racines.

S'exercer pour acquérir les techniques

Le chant de gorge réunit généralement deux femmes. Le jeu vocal sous forme de duel amical, fait de sons gutturaux, consiste à se répondre mutuellement le plus longtemps possible jusqu’à ce que l’une des deux ne suive plus le rythme ou abandonne.

C’est à 18 ans, pendant ses études collégiales à Montréal, que Lydia Etok a plongé, tête première, dans l'univers sonore de cet art exigeant. Une amie originaire de Puvirnituq avait reçu les enseignements de sa grand-mère.

Quand elle revenait en ville, on pratiquait ensemble les sons et la respiration, et c’est progressivement de cette manière que j‘ai à mon tour appris les techniques, se souvient-elle.

Le chant de gorge inuit imite la nature : sons du vent, des rivières, des cris d'animaux. Ce que nous partageons est une vieille tradition, un art sacré pour mon peuple.

Une citation de Lydia Etok

L’interprète est entre autres codirectrice artistique de l’orchestre Oktoécho pour le volet autochtone. Cette troupe basée à Montréal propose des spectacles réunissant des musiques des quatre coins du monde.

Plusieurs personnes sur la scène d'un spectacle.

Le concert Saimaniq réunit des musiques du monde sous la houlette des chants de gorge inuit.

Photo : Oktoecho

Pour le concert Saimaniq (paix, en inuktitut), Lydia Etok chante avec l’Inuk Nina Segalowitz. Le duo est entouré sur scène de plusieurs musiciens aux influences sonores métissées venues du Moyen-Orient, du Japon ou de Scandinavie.

J’aime beaucoup chanter, mais en même temps j’essaie d’éduquer par le biais d’un art traditionnel souvent mal compris.

Se produire sur scène lui offre l'occasion d’aller à la rencontre du public, et parfois de démystifier des préjugés qui perdurent, même ici au Québec, précise-t-elle. Il y a des gens qui viennent me voir pour me demander si on habite encore dans des igloos. Ce genre de questions me surprend toujours, alors qu’on vit dans la même province.

Comme une forme de résistance, sa pratique lui permet de mettre en lumière la vitalité artistique d'un peuple autochtone porté par un legs culturel unique.

Elle rappelle d’ailleurs que le chant de gorge pratiqué dans les 14 communautés inuit du Québec est considéré comme patrimoine immatériel depuis 2014. Ils ont voulu tuer le chant de gorge inuit, mais l’art est toujours vivant et dorénavant protégé contre l’oubli, se réjouit-elle.

Le concert Saimaniq, offert par l'ensemble Oktoécho, est à l’affiche ce soir à 20 h au Théâtre Outremont.

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