Derrière le drapeau des Warriors

Le sens du drapeau de la Mohawk Warrior Society est souvent mal compris.
Photo : Radio-Canada / Jean-Francois Villeneuve
Dans plusieurs rassemblements autochtones est brandi le fameux drapeau de la Mohawk Warrior Society, dont les membres sont appelés « warriors ». C'est un drapeau qui a marqué le Québec, en particulier en 1990 lors de la crise d'Oka. Pour expliquer le sens de ce drapeau, le rôle de la Mohawk Warrior Society et la vision de ses membres, un livre sera disponible à compter du 27 septembre en anglais et en français.
Ils étaient censés être trois lorsqu'Espaces autochtones se sont rendus à Kahnawake pour en parler. Finalement, ils étaient sept membres de la Mohawk Warrior Society, tous réunis autour de deux grandes figures de la résistance mohawk dont les récits figurent dans l'ouvrage : Tekarontakeh et Kahentinetha.
Le premier est un gardien de savoirs ancestraux et la deuxième est une militante de longue date, aujourd’hui responsable du site web Mohawk Nation News.
C’est à eux qu’il faut parler pour comprendre ce que contient La Mohawk Warrior Society. Manuel de souveraineté autochtone, un livre qui sera disponible dans les librairies québécoises le 27 septembre.

Des Mohawks de Kanesatake ont marché à l'été 2015 pour souligner les 25 ans de la crise d'Oka, un épisode qui a marqué les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones au Québec et au Canada.
Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz
Ce document réunit une importante documentation sur la société guerrière kanien’kehá:ka, dont tout le monde connaît le drapeau réalisé par Louis Karoniaktajeh Hall, cette œuvre qui représente un Autochtone, englobé par un soleil sur fond rouge, plume d’aigle dressée sur la tête.
Philippe Blouin, anthropologue et coordonnateur du projet, affirme que jusqu’à maintenant, beaucoup de ce qui a été écrit sur la Mohawk Warrior Society est de la propagande
, comme quoi tous ses membres sont des terroristes
.

Ce symbole du wampum de Hiawatha qui représente la confédération iroquoise agace Tekarontakeh, qui estime que nous sommes tous des êtres humains et que ce genre de regroupement devrait compter touts les humains.
Photo : Radio-Canada / Delphine Jung
Les Mohawks réunis dans une petite maison le long de la route 138 disent plutôt qu'ils sont des porteurs de la Terre
.
Concrètement, cela signifie que les hommes, donc les porteurs de la Terre, doivent mettre en œuvre les décisions des femmes pour parvenir à une paix globale.
Cet ouvrage de 400 pages rassemble ainsi des témoignages et des écrits qui racontent l’histoire orale des Mohawks et leur façon de penser le monde. Il permet aussi de comprendre cinq siècles de résistance mohawk. Ce travail de longue haleine a pris environ six ans pour les porteurs du projet.

Une carte de l'île de Montréal avec une toponymie mohawk datant de 1880.
Photo : Ville de Montréal
Bien plus que des mots
Le premier défi qu'ont dû relever les auteurs a été la traduction d’un récit oral en un texte en français. Dans beaucoup de langues autochtones, un mot correspond souvent à une image, un concept, qu’il est difficile de réduire à un seul mot.
Quand quelqu’un parle, tu vois ce dont il parle, tu ne fais pas que l’entendre. C’est une langue très descriptive dans laquelle il n’y a pas de place pour la mauvaise compréhension. C’est pourquoi c’est si important pour nous de raconter notre histoire
, explique Tekarontakeh, bandana bien serré autour de son front.

Tekarontakeh croit que les gens doivent désormais s'intéresser à ce que les Mohawks « ont dans la tête ».
Photo : Radio-Canada / Delphine Jung
La traduction, selon lui, détruit le sens des mots. Conséquence : Les gens interprètent notre histoire et essayent de faire des parallèles entre leur culture [celle des non-Autochtones, NDLR] et la nôtre. Mais notre vision du monde est totalement différente
, explique-t-il.
Kahentinetha ajoute qu’il a fallu la collaboration d'un groupe de six à dix personnes pour que les Mohawks se mettent d’accord sur la traduction de tel ou tel mot, ce qui dépendait, selon elle, du ton sur lequel était dit le mot, de la façon dont on le voyait
.

Kahentinetha est une aînée qui a participé à de nombreux combats des Mohawks.
Photo : Radio-Canada / Delphine Jung
L’exemple le plus frappant des problèmes que peuvent causer les traductions s’illustre avec un mot : kaianere’kó:wa.
Souvent traduit par ''la grande loi de la paix'', ce mot a été considéré comme la définition d’une constitution
dont se seraient dotés les Iroquois, expliquent les deux Mohawks.
Pour Kahentinetha et Tekarontakeh, il s’agit plutôt d’un état d’être, d’une relation avec la nature qui ne peut pas être enfermée dans une quelconque codification juridique.
Il en est de même pour le terme anglais warrior
, qui a une connotation bien différente de celle du mot employé en kanien'kéha (langue mohawk), qui est rotisken’rakéhte
et qui veut dire porteur de la Terre
.
L’idée de ce recueil consiste donc à expliquer aux lecteurs qu’il y a une formule pour retrouver la paix.
Cependant, qu’on ne parle pas de réconciliation aux Mohawks.

Les Mohawks ont souvent soutenu les Autochtones de tout le Canada dans leurs combats.
Photo : CBC/Dan Taekema
Ce n’est pas nous qui avons demandé une réconciliation, car nous n’avons jamais rien fait de mal. Nous n’avons jamais été les agresseurs, on a toujours partagé
, explique Tekarontakeh en précisant que les gens le comprendront en lisant le livre.
Comptent-ils sur les jeunes? Ils vont dans la bonne direction, répondent-ils.
On leur a mis dans la tête que pour revenir à leur culture, ils devaient porter des mocassins et aller vivre sous une tente dans le bois, mais ce n’est pas comme ça que cela devrait se faire. On parle plutôt de développer une économie pour notre communauté qui ne fera pas de mal à l’environnement, par exemple, et je crois que les jeunes trouveront une solution
, précise Tekarontakeh.
Les Mohawks veulent avant tout que ce livre permette aux lecteurs de s’ouvrir à une autre manière de voir le monde et, surtout, qu'il leur permette de comprendre que les Mohawks ne détestent pas les gens
mais plutôt ce qui a été fait aux Autochtones
au cours de quelques centaines d’années.