Brûlages traditionnels : combattre les feux de forêt par le feu
Les écologistes exhortent les gouvernements à déclencher davantage de brûlages dirigés, à l’instar des communautés autochtones, afin d'atténuer les risques d’incendies de forêt.

Pour les gardiens du feu autochtones, la sagesse des Premières Nations en matière de feux est la clé de la prévention des énormes incendies de forêt, qui ont décuplé en Colombie-Britannique en raison de la crise climatique.
Photo : Radio-Canada / Harold Dupuis - La Semaine verte
Les brûlages dirigés, pratiqués depuis des millénaires par les communautés autochtones, peuvent aider à diminuer l'importance des feux de forêt, de plus en plus fréquents et violents en Colombie-Britannique.
Par une chaude journée de printemps, Joe Gilchrist manie habilement sa torche à goutte et enflamme une armoise près de Savona, au nord-ouest de Kamloops. L'arbuste s'embrase. Les flammèches et les petits crépitements se transforment bientôt en une grande langue de flamme orangée et fluorescente, qui se détache du paysage poussiéreux de la réserve indienne de Skeetchestn, au centre de la Colombie-Britannique.
Joe Gilchrist est un gardien du feu. Cet aîné allume des feux pour combattre les incendies de forêt et ainsi nettoyer
la terre. Il s'agit de la pratique ancestrale du brûlage.
Membre de l'Interior Salish Firekeepers Society, qui réunit gardiens du savoir autochtone et écologistes, il fait partie d'un mouvement en pleine expansion qui vise à réintroduire le brûlage traditionnel pour diminuer les dégâts causés par les mégafeux.

Joe Gilchrist, gardien du feu et membre de l'Interior Salish Firekeepers Society.
Photo : Radio-Canada / Andrew Lee
Cette pratique a pourtant été proscrite à l'arrivée des colons au 19e siècle — puisqu'au moins un gardien du feu a été pendu pour avoir allumé des feux. Mais avec les conséquences désastreuses des changements climatiques sur les forêts, de plus en plus de gouvernements et de scientifiques tentent de revaloriser cette pratique qui porte fruit.

Le gardien du feu Joe Gilchrist utilise une torche à goutte pour démarrer un feu près de Savona, en Colombie-Britannique.
Photo : Radio-Canada / Harold Dupuis - La Semaine verte
Russell Myers Ross, qui a été chef de la Première Nation Yunesit'in pendant huit ans, a grandi près de Williams Lake, dans le centre de la Colombie-Britannique, où il affirme que les feux de forêt ont changé la vie de la plupart des gens. Nous avons la possibilité de restaurer des zones qui n'ont pas été entretenues depuis longtemps
, a déclaré Myers Ross, dont la fille et les aînés participent tous aux projets de brûlage culturel.
Nos ancêtres ont toujours fait ça… Le vrai problème, c'est que nous ne le pratiquons presque plus depuis la colonisation, depuis que nos communautés ont été perturbées.
Un soutien gouvernemental insuffisant
Bien que la Colombie-Britannique affirme qu'elle soutient les brûlages dirigés par les Autochtones, les écologistes spécialisés dans les incendies affirment que ce soutien demeure insuffisant. En Colombie-Britannique, moins de 10 000 hectares de terres sont actuellement brûlés délibérément pour la protection des communautés.
En juin dernier, la province a investi 359 millions de dollars à la protection future contre les incendies de forêt. Mais seulement 1,2 million de dollars ont été injectés dans les projets de brûlages culturels, cette année. Par ailleurs, les projets de brûlage tombent souvent à l'eau en raison des longs délais d'approbation, selon les spécialistes.

Russell Myers Ross travaille avec une équipe sur un brûlage culturel près des terres traditionnelles des Yunesit'in, près de Williams Lake, en Colombie-Britannique.
Photo : Gracieuseté : Joshua Neufeld
Le ministère des Forêts affirme que les projets de brûlage ont doublé au cours des deux dernières années, passant de 33 à 69 entre 2021 et 2022. Il a notamment travaillé avec les Premières Nations du Fraser, de l'Okanagan, des Kootenays, de Cariboo et Chilcotin et de la vallée de Pemberton.
Selon les gardiens du feu et les écologistes, il faut en faire plus, et plus rapidement, la province ayant connu en 2018 la plus grande saison de feux de forêt jamais enregistrée, avec plus d'un million d'hectares brûlés.
Le dôme de chaleur record en 2021 n'a fait qu'empirer les choses. Il y a un an, les températures ont grimpé à 49,6 degrés Celsius dans la ville de Lytton, en Colombie-Britannique, avant que le feu de forêt ne calcine la communauté, tuant deux résidents.
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Diminuer l'ampleur des incendies de forêt
Pour les scientifiques, il serait temps que le Canada apprenne des autres endroits de la planète ravagés par le feu et qui utilisent le feu pour combattre le feu. De la Californie à l'Australie, il y a une résurgence des brûlages culturels destinés à limiter les incendies de forêt, en raison de la crise climatique.
Selon Joe Gilchrist, la mise en place de feux contrôlés permet de réduire le combustible pour les incendies de forêt lorsque la terre est trop sèche. Si elle n'est pas brûlée, elle ne fait que s'accumuler
, soutient-il. Il suffit d'un coup de foudre ou d'un incident humain pour qu'il y ait un incendie catastrophique.

La réserve indienne Skeetchestn, dans le centre de la Colombie-Britannique, qui a été brûlée en avril, était d'un vert riche en juin.
Photo : Radio-Canada / Yvette Brend
M. Gilchrist, qui forme des spécialistes du feu aux savoirs autochtones, la sagesse des Premières Nations en matière de feux est la clé de la prévention des mégafeux.
L'utilisation autochtone du feu doit être légalisée. Le sous-brûlage de la forêt n'est pas mauvais. Nous n'essayons pas de tuer des arbres. Nous essayons simplement de ramener la médecine et le fourrage, de rendre les communautés sûres parce qu'il y aura beaucoup moins de feux avec cette pratique.
Robert Gray, écologiste spécialiste des feux de forêt à Chilliwack, partage ce point de vue. Il rappelle que le brûlage culturel remonte à des centaines de milliers d'années
et qu'il a toujours permis aux communautés autochtones d'évoluer et de prospérer, avant la colonisation.
Traditionnellement, les gardiens du feu autochtones allumaient des feux pour éliminer les débris qui pouvaient alimenter les flammes et rendre les incendies plus violents. Ils le faisaient aussi pour renouveler les cultures et les pâturages, pour des raisons de sécurité. Des exemples de cette pratique dans le monde entier, selon l'écologiste.
Nous devons augmenter considérablement le rythme et l'ampleur des feux culturels et des feux dirigés.
Les leçons de l'Australie
William Nikolakis, originaire d'Australie, est le directeur exécutif de la Gathering Voices Society. Il travaille avec les Premières Nations à la réappropriation de leur gestion territoriale. Ce professeur adjoint au Département des forêts de l'Université de la Colombie-Britannique affirme que le continent australien, aujourd'hui le plus sujet aux incendies ravageurs de la planète, est en train de se tourner vers les savoirs aborigènes, en utilisant des feux contrôlés.
Le feu est un outil qui a été utilisé dans le monde entier; c'est juste que cette pratique s'est perdue à bien des égards et a été arrêtée à cause des personnes et des biens.
En Australie, au cours de la dernière décennie, des projets de feux menés par des Autochtones ont employé des milliers de personnes pour brûler plus des millions d'hectares de terres et générer des millions de dollars en unités de crédit carbone australiennes.

Une bande de forêt brûlée lors de la saison des feux de 2021 est tapissée de vert et bordée de lupins près de Coldwater Creek, au sud de Kamloops, en Colombie-Britannique, en juin 2022.
Photo : Radio-Canada / Yvette Brend/
Nous avons eu des jeunes de huit ou neuf ans qui ont mis le feu à la terre pour nettoyer le paysage, enlever les herbes mortes, les broussailles et les arbres morts. Nous réintroduisons le feu dans le paysage pour le rendre sain.
M. Nikolakis explique que son association a fait appel à Victor Steffensen, spécialiste australien du brûlage autochtone, pour l'aider à se former. Cette pratique de brûlage requiert bien évidemment un savoir-faire, c'est un processus lent et prudent
.
Avec les informations de Yvette Brend, CBC News