Accès à l’eau potable : les Autochtones peuvent demander compensation

L'eau potable coule désormais des robinets de Wauzhushk Onigum. Mais encore faut-il lui faire confiance.
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
En vertu d’un récent accord de règlement avec le gouvernement fédéral, les membres des communautés autochtones du Canada qui ont souffert d’un manque d’accès à l’eau potable depuis 1995 peuvent maintenant procéder à une demande de compensation.
Le règlement de 8 milliards de dollars a été approuvé le 22 décembre dernier par la Cour fédérale du Canada. Il fait suite à un recours collectif intenté par la Nation crie de Tataskweyak, au Manitoba, ainsi que par les Nations de Curve Lake et de Neskantaga, en Ontario. Ces communautés autochtones font l'objet d’avis d'ébullition à long terme depuis plusieurs années.
Les Autochtones ayant vécu sur des réserves soumises à des avis d’ébullition pendant au moins un an depuis le 8 novembre 1995 pouvaient se joindre à la poursuite.
L'accord de règlement prévoit une indemnisation de 1,5 milliard de dollars pour les personnes qui ont été privées d'eau potable au cours de cette période. Près de 142 000 personnes et 251 communautés autochtones sont admissibles à une compensation.

Les problèmes d'eau potable ont aussi touché la communauté autochtone anichinabée de Kitigan Zibi, au Québec. La petite Roseanna, qui vit avec sa mère Glenda Stevens à Kitigan Zibi, a toujours bu de l'eau en bouteille.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Avec ce règlement, le Canada reconnaît son rôle dans le manque d’accès des communautés autochtones à l’eau potable
, a indiqué la ministre des Services aux Autochtones Patty Hajdu, jeudi, en point de presse.
Le Canada reconnaît les dommages importants causés aux membres des communautés autochtones et la discrimination qu’ils ont subie à travers cet enjeu. Le règlement prévoit des mesures pour rebâtir la confiance de la population dans leur réserve d’eau et dans leur relation avec le gouvernement.
Nous envoyons aussi un message clair : les futures générations d’enfants autochtones auront accès à de l’eau potable
, a poursuivi Mme Hajdu.
Le règlement prévoit aussi 6 milliards de dollars pour soutenir un accès fiable à l'eau potable dans les communautés, la création d'un fonds de restauration économique et culturelle de 400 millions de dollars, la création d'un comité consultatif des Premières Nations sur l'eau potable et la modernisation de la loi canadienne sur l'eau potable des Premières Nations.
Un problème qui perdure
En 2015, le gouvernement libéral s’était engagé à éliminer les avis d'ébullition dans toutes les communautés autochtones du Canada. Même si 132 de ces avis ont été levés depuis, le problème d’accès à l’eau potable est encore très présent aujourd’hui. En effet, 33 communautés autochtones en souffrent toujours. C’est le cas de la Première Nation de Neskantaga, qui est soumise à un avis d'ébullition depuis 27 ans.
Lors de la campagne de 2015, le premier ministre Justin Trudeau a dit que, dans cinq ans, toutes les Premières Nations auraient de l’eau potable. Encore aujourd’hui, ce n’est pas le cas pour notre communauté
, a expliqué Roy Moonias.
Au Canada, Neskantaga est la communauté qui souffre depuis le plus longtemps du manque d’accès à l’eau potable. On compte les jours depuis le début [de l’avis d'ébullition à long terme]. Aujourd’hui, ça fait 9948 jours. Ou 27 ans, 2 mois et 27 jours.
Comme plusieurs membres de sa communauté, M. Moonias n’est pas ravi par l’accord conclu avec le gouvernement canadien.
Je n’approuve pas le format du règlement pour le recours collectif. Pendant 27 ans, ma communauté, ma famille et moi avons souffert, a-t-il indiqué. Pourtant, je me qualifie juste pour demander une compensation pour six ans, maximum. Qui a décidé ça? C’est très frustrant.

Maggie Sakanee de la Première Nation Neskantaga. Cette communauté du Nord de l'Ontario est sous un avis de faire bouillir l'eau depuis le 1er février 1995.
Photo : Radio-Canada / Martine Laberge
Sharon Sakanee, directrice des services de santé dans la communauté de Neskantaga, abonde dans le même sens. Elle ne peut tout simplement pas croire les conditions misérables dans lesquelles sa communauté vit encore aujourd’hui.
On nous dit d'utiliser des bouteilles d’eau pour nous laver, pour cuisiner, pour nettoyer… Ce n’est pas acceptable […] On vit dans l’un des pays les plus riches du monde et nous n’avons même pas accès à l’eau potable. Quelque chose doit être fait, ça fait beaucoup trop longtemps.
Au fil des ans, Mme Sakanee a témoigné des lourds impacts sur la santé que le manque d’accès à l’eau potable a eus sur sa communauté. Outre des problèmes dermatologiques et gastriques, la situation a généré beaucoup de désespoir. En 2013, l'état d’urgence a été décrété dans la communauté en raison de la multiplication des suicides chez les jeunes. Son fils fait partie de ceux qui se sont enlevé la vie.
Il aurait eu 27 ans aujourd’hui, a raconté Mme Sakanee. Il s’est enlevé la vie en novembre 2012. Il n’a jamais bu l’eau du robinet. De toute sa vie, il n’a jamais eu accès à l’eau potable. Et c’est ce que vivent tous les enfants de notre communauté aujourd'hui.