Détecter les « faux Autochtones » dans les universités
Il y a eu le cas d’Alexandra Lorange à l’UQAM. Puis celui de Carrie Bourassa à l’Université de la Saskatchewan. La remise en cause de leurs identités autochtones a contribué à soulever une question fondamentale : comment les universités peuvent-elles vérifier l’identité autochtone affirmée par leurs professeurs et leurs étudiants?

L'Université Queen's, à Kingston, a embauché un groupe d'experts pour mettre en place des balises afin de vérifier l'identité autochtone des professeurs.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Pepin
Plusieurs universités canadiennes tentent de mettre en place des lignes directrices pour éviter l’embauche de gens qui se présentent comme Autochtones sans l’être vraiment. Un défi, car les questions d’identité sont très sensibles dans le monde autochtone.
Ces dernières années, des cas de fraude ont été dévoilés par les médias. Ainsi, l’identité métisse, anichinabée et tlingite de Carrie Bourassa, professeure à l’Université de la Saskatchewan, a été remise en cause par CBC en octobre 2021.
Il y a aussi eu Alexandra Lorange, cette chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal, qui se prétendait Atikamekw, avant que deux généalogistes remettent en cause ses racines autochtones.

Carrie Bourassa
Photo : (YouTube.com)
Pour éviter ce genre de situation, l’Université du Manitoba a mis en place des mécanismes de vérification. Catherine Cook, vice-présidente (autochtone), soutient l’Université dans son travail d’identification.
Dans cet établissement, la première requête consiste à demander si le candidat possède une carte de bande délivrée par le gouvernement fédéral. L’auto-identification sans preuve ne suffit pas.

La carte de statut d'Indien est désormais exigée comme preuve par certaines universités.
Photo : Radio-Canada / Ben Nelms (CBC)
Ceux qui n’ont pas de carte doivent fournir d’autres documents. La plupart du temps, ils ne sont pas inscrits parce qu'ils ont perdu leur statut ou ont été forcés d'y renoncer.
Ces gens sont des Autochtones sans statut. On sonde alors la communauté à laquelle ils se disent affiliés et on demande à la communauté si elle est prête à se porter garante pour le candidat
, explique Mme Cook.
Au Manitoba, les gens se connaissent bien, les liens entre les gens sont très forts, alors on est très à l’aise avec notre manière de faire
, ajoute-t-elle.
Il faut être un peu plus courageux quand on demande aux gens qui ils sont.
Selon elle, demander des documents prouvant le statut d'Indien des professeurs revient à demander le diplôme d’un professeur qui dit dans son C. V. être détenteur d’un doctorat.
Quand tu postules, tu devrais te sentir capable et à l’aise de prouver que tu es autochtone
, précise encore Mme Cook.
Guy Freedman, président et associé principal du cabinet d’expert-conseil First People’s Group établi à Ottawa, a été embauché par l’Université Queen’s pour mettre au point, là aussi, des mécanismes permettant de confirmer que les futurs employés s’identifiant comme Autochtones le sont bel et bien.

Guy Freedman
Photo : Gracieuseté : Guy Freedman
En juin 2021, un rapport anonyme montrait du doigt six professeurs dans cette université, alléguant qu’ils n’étaient pas Autochtones. À l’époque, l’université avait soutenu ses professeurs.
Les vérifications sont importantes pour M. Freedman, qui estime qu’il n’est pas normal que certaines personnes profitent de bourses ou d’occasions professionnelles réservées spécifiquement aux Autochtones, alors qu’ils ne le sont pas.
Pour M. Freedman et Mme Cook, les communautés doivent absolument participer au processus. Une sorte de délégation
de pouvoir qui est, selon Mme Cook, extrêmement importante pour les communautés.
Cette manière de faire leur redonne une certaine autonomie. On trouvait ça important que tout le processus soit géré par des Autochtones
, détaille-t-elle.
Ce n’est pas au gouvernement de décider qui on est, c’est aux communautés de le faire.
Vérifications pour les étudiants aussi
À l’Université Laval, on s’intéresse en ce moment à vérifier l’identité autochtone des étudiants qui postulent à des bourses qui leur sont réservées.

La sénatrice Michèle Audette et conseillère principale en matière de réconciliation et d’éducation autochtone à l’Université Laval
Photo : Radio-Canada / Alexandre Milette-Gagnon
Désormais, les candidats doivent prouver qu'ils sont inscrits ou qu'ils sont membres d’une nation autochtone clairement identifiée par l’établissement.
Il y a aussi une liste précise de documents que peuvent présenter les étudiants, comme la carte de bande ou une déclaration de la communauté.
La sénatrice Michèle Audette, qui est aussi conseillère principale en matière de réconciliation et d’éducation autochtone à l’Université Laval, a planché sur ces questions. Elle prône une participation des nations.
Ce débat [sur l'identité autochtone, NDLR] doit se faire chez nos leaders, et pas dans les universités. [En attendant], on doit s'accoter sur des outils qui sont désuets.
On n'est pas obligé de prétendre être quelque chose qu'on n'est pas. On apprécie les alliances
, ajoute-t-elle. Lorsqu'elle repense à certaines personnes qui se sont réclamées Autochtones
sans l'être, elle confie s'être sentie trompée
.
Pour ce qui est de la situation des Autochtones non inscrits, elle indique que l'université n'a encore rien mis en place, mais qu'elle réfléchit à la meilleure décision à prendre.
Selon Mme Cook, il est important d’aller plus loin que la simple autodéclaration. Si aucune balise claire n’est fixée, on court le risque de voir des situations de fraude comme on en a vu se reproduire
, croit-elle.
Contre-idées
Sébastien Malette, professeur à l’Université Carleton qui milite pour la reconnaissance des Métis de l’Est et dont l'identité autochtone est contestée, rappelle que la notion d’indianité est une construction juridique
.
Mise au point
Cet article a été mis à jour pour mieux refléter le contexte de cette prétention identitaire à l'Université Carleton.
Selon lui, l’utilisation des cartes d’Indien pour déterminer l’identité des Autochtones n’est pas pertinente. Ces cartes proviennent d’organisations reconnues au niveau gouvernemental et certaines d’entre elles ont été reconnues au fil du temps. Il est tout à fait possible que certaines organisations non reconnues le deviennent plus tard. En attendant, ses membres sont discriminés
, argue-t-il.

Le professeur de l’Université Carleton Sébastien Malette pense qu'utiliser la carte de bande pour déterminer l'identité autochtone n'est pas une bonne solution.
Photo : Radio-Canada
Quant à l’idée de sonder les communautés pour attester de l’affiliation d’un membre non inscrit, c’est tout aussi problématique, croit-il.
On tombe dans la notion un peu trop romantisée de communauté. C’est penser que l’expérience autochtone et que le critère de la communauté sont homogènes.
M. Malette croit que l’autodétermination et la démonstration de présence de liens ancestraux seraient suffisantes.