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Un message au pape : « Les marques ne mentent pas »

En rencontrant le pape, Adrian N. Gunner veut porter les récits de ses grands-parents, mais aussi lui offrir des raquettes traditionnelles, comme l’a fait l’un de ses grands-pères il y a près de 40 ans. Un geste symbolique et politique.

Deux personnes âgées portant des tenues traditionnelles cries entourent leur petit-fils et arrière-petit-fils, tout sourire.

George et Lilian Neeposh, entourant leur petit-fils Adrian.

Photo : Gracieuseté : Adrian N.Gunner

La voix se transforme au bout du fil et devient un cri du cœur.

Dis au pape que les marques ne mentent pas!

Une citation de George Neeposh

Il répète : Dis-lui que ton grand-père t’a raconté des histoires et t’a montré ses marques, ses cicatrices, son œil aveugle… Dis-lui que les marques ne mentent pas.

Ces mots sont ceux de George Neeposh à son petit-fils Adrian N. Gunner, un Cri de 26 ans qui s’apprête à prendre l’avion pour rencontrer le pape au Vatican avec une délégation d’Autochtones et d’évêques du Canada.

Des blessures indélébiles

Autochtones au Vatican : rencontre historique

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George Neeposh, un Cri de Waswanipi, avait 8 ans quand il est entré au pensionnat pour Autochtones Mohawk Institute, situé à Brantford, en Ontario.

Même si le pensionnat était géré par l’Église anglicane, George souhaite tout de même que son petit-fils Adrian N. Gunner délivre son message au pape. Parce que son histoire, c’est celle de tous les survivants de pensionnats.

C’est assez difficile à raconter, car ça me ramène à ma jeunesse, à ce qui m’est arrivé, lance George Neeposh dans un débit rapide.

Mais il raconte quand même, car c’est important.

D’abord les violences verbales et physiques. Ce professeur qui l’avait dans l'œil et qui, quasiment chaque jour, l’humiliait en montrant devant toute la classe à quel point il était cancre, même si George essayait du mieux qu’il pouvait de bien faire ses devoirs, de bien retenir les leçons. George savait qu’avec l’humiliation venaient les coups.

Il prenait une longue règle ou un bâton et me frappait. Je recevais toujours des fessées, j’avais des bleus derrière l’oreille, derrière la tête. Je ne savais même pas que j’avais des ecchymoses jusqu’à ce qu’on me le dise, raconte George, qui a aujourd'hui 68 ans.

S’il faisait une erreur de calcul de 37 ou de 40, il recevait 37 ou 40 coups. Ça arrivait presque tous les jours!, se remémore-t-il.

Quand on lui demandait qui l'avait frappé, il refusait de dénoncer son professeur. Il restait muet par crainte de représailles.

Puis en une phrase, courte, rapide, il lance : J’ai aussi subi des abus sexuels, je ne veux pas en parler. C’est trop douloureux!.

Les abus sexuels provenaient du même professeur.

Ensuite George enchaîne : son œil perdu à cause d’un bâton de hockey cassé au pensionnat – ce qui aura aussi une répercussion sur sa vie d’adulte –, le travail obligatoire qu’un enfant n’aurait pas dû faire : nourrir les vaches et nettoyer l'étable, mais aussi récurer le pensionnat de fond en comble.

Puis sa langue perdue, car il n’avait pas le droit de parler cri au pensionnat.

Il poursuit son récit en parlant de ses copains qui ont disparu du jour au lendemain, des disparitions attribuées à des fugues ou à des accidents. Beaucoup de choses se sont passées là-bas et qui sont toujours cachées. Ils ne disent pas la vérité! affirme-t-il.

Étranger dans sa maison

Enfin, George, c’est aussi l’histoire d’un enfant qui n’est pas rentré pendant trois ans auprès de sa famille dans le territoire d'Eeyou Istchee. Alors au retour, fin 1970, j’étais un parfait inconnu pour mes parents!

Comment alors leur expliquer ce qu’il s’est passé? Impossible, j’étais trop timide et ils n’auraient pas compris. Je n’étais plus vraiment leur enfant.

Assise sur le divan, Lillian Neeposh prend le téléphone et renchérit.

Elle a aussi fréquenté dès l’âge de 5 ans le même pensionnat. Quand je suis revenue parmi mes proches, je me suis dit qu'ils étaient ma famille, mais ils ne me connaissaient plus. En fait, j’habitais juste avec eux. Ma vraie famille, ce sont les survivants, ils me connaissent, savent ce que j’ai traversé!.

Lillian Neeposh aussi a son lot de souvenirs douloureux, des cauchemars qui la hantent encore la nuit. En plus des crises d’anxiété la journée. Sans compter la nourriture qu’elle ne peut plus manger, comme des épinards et de la rhubarbe.

Nous étions obligés de manger la nourriture. Si on vomissait, on nous disait de la remettre dans la bouche et de l'avaler. Il y avait des vers dans la bouillie, des insectes dans la nourriture.

Une citation de Lillian Neeposh

Elle a fait aussi des travaux domestiques, comme nettoyer les toilettes et les escaliers avec une brosse.

Elle aussi a subi beaucoup d’abus physiques et sexuels.

Ses beaux cheveux longs tressés ont été coupés très court dès son arrivée.

Un quasi-silence intergénérationnel

De toutes ces histoires vécues au pensionnat, George et Lillian Neeposh en ont un peu parlé à leurs enfants et petits-enfants. Mais pas trop. Pour pas qu’ils soient en colère, pour que le traumatisme ne devienne pas intergénérationnel.

D’entendre que leurs grands-parents ont vécu l’enfer, tu sais… je ne voulais pas qu’ils paient pour les dommages et les abus qu’on a vécus, exprime George. Quant à Lillian, quand ses petits-enfants ont eu 5 ans, elle les a embrassés, câlinés, car elle n’a jamais eu ça.

Entendre parler de la violence physique, verbale, sexuelle infligée à mes grands-parents fait vraiment mal

Une citation de Adrian, petit-fils de George et Lillian

On m’a dit qu’ils sont allés dans les pensionnats vers l’âge de 6 ans. Mon fils (Riley) aura six ans cette année. Cela me fait mal rien que d’y penser, poursuit le jeune Cri.

Un jeune homme pose devant une falaise.

Adrian N. Gunner veut s'assurer que plus aucun enfant autochtone ne vivra ce que ses grands-parents ont vécu.

Photo : Gracieuseté : Adrian N.Gunner

Alors le message de ses grands-parents, s’il le peut, Adrian va le transmettre au pape François.

Les marques ne mentent pas. L’horreur, la haine, ma tête me fait toujours mal. C’est à cause du pensionnat, réitère George.

Ainsi il saura, poursuit Lillian. Il saura vraiment ce qui est arrivé aux survivants des pensionnats.

La douleur est toujours là. Elle ne vous quitte jamais. Je ne veux vraiment pas que mes enfants traversent ce que j’ai vécu.

Une citation de Lillian Neeposh, survivante de pensionnat

Lillian attend des excuses du pape. Tous les survivants méritent des excuses. Chacun d’entre eux. Pas seulement les survivants, mais aussi mon petit-fils. Les familles des survivants. Les parents des survivants aussi, estime-t-elle.

George se dit très fier de son petit-fils, qui est le grand chef du Conseil des jeunes de la nation crie et qui va porter l’histoire des traumatismes intergénérationnels avec d’autres jeunes Autochtones.

Mais en ce qui concerne les excuses du pape, il préférerait les entendre au Canada, là où ses pieds flanchent, là où sa hanche et ses marques lui font mal, là où ses cauchemars viennent encore le réveiller.

Reprendre le flambeau de son autre grand-père…

Adrian N. Gunner ne part pas qu’avec des messages et des histoires au Vatican.

La grande cheffe de la nation crie du Québec, Mandy Gull-Masty, a décidé d'apporter des raquettes traditionnelles fabriquées à la main par un aîné de Waskaganish, Sanders Weistche. Chaque année, chez les Cris, les enfants sont emmenés pour leur première marche en raquette, c’est symbolique.

Adrian a été désigné pour offrir au pape ces raquettes traditionnelles. Et ce n’est pas anodin.

Ces raquettes sont semblables à celles que son autre grand-père a offertes au pape en 1984, fabriquées à l’époque par l’un des meilleurs amis de Sanders Weistche.

Car l’autre grand-père d’Adrian N. Gunner est un leader historique de la nation crie, le premier grand chef des Cris, Billy Diamond, qui a aussi fréquenté un pensionnat en Ontario. Il a qualifié ces années de dévastatrices pour son développement, son identité et son sentiment d’appartenance.

Un homme donne des raquettes traditionnelles de la nation crie au pape, qui les regarde.

Le grand-père d'Adrian N. Gunner, Billy Diamond, a offert au pape Jean-Paul II une paire de raquettes traditionnelles lors de leur rencontre en 1982.

Photo : The Canadian Press

En 1982, Billy Diamond a eu une audience avec le pape Jean-Paul II, au cours de laquelle il a parlé des Cris du Québec.

Il a été le premier à attirer l’attention sur notre situation en tant que Cris d’Eeyou Istchee. Reprendre là où nous nous sommes arrêtés est le premier pas vers la réconciliation en Eeyou Istchee et au Canada.

Une citation de Adrian N. Gunner, petit-fils de Billy Diamond

Si on me donne la chance de parler au pape, j’évoquerai les impacts des traumatismes intergénérationnels auxquels nos jeunes sont confrontés aujourd’hui, précise Adrian N. Gunner. Les problèmes sociaux sont souvent liés aux traumatismes intergénérationnels causés par le système des pensionnats. Je partagerais personnellement les histoires que j’ai vues sur les impacts actuels.

Une croix faite en perlage qui sera offerte au pape François.

Outre des raquettes traditionnelles, une croix faite en perlage sera remise au pape. L'orange représente les survivants des pensionnats pour Autochtones, y compris les enfants qui ne sont jamais rentrés chez eux.

Photo : Gracieuseté / Flora Weistche

De plus, Adrian N. Gunner trouve important d’être au Vatican pour commencer à établir des liens à travers le Canada avec les autres jeunes des Premières Nations. Je suis aussi là pour apprendre en tant que jeune leader, pour suivre les pas de Billy Diamond.

Entre le message de George, la symbolique de Billy et son récit personnel, Adrian N. Gunner ne souhaite qu’une chose : s’assurer que cela ne se reproduira plus jamais au Canada.

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