•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Suicide dans les communautés autochtones : « sujet tabou », prévention à bout

La Semaine de prévention du suicide remet en question l'efficacité des actions menées dans certaines communautés éloignées où les taux de suicide sont 16 fois plus élevés que dans les grandes villes du Québec.

Un aîné tend sa main aux ongles noircis.

La 32e Semaine nationale de prévention du suicide se déroule du 30 janvier au 5 février 2022 sous le thème « Parler du suicide sauve des vies ».

Photo : Getty Images / mihailomilovanovic

Alors que la Semaine nationale de prévention du suicide s’amorce officiellement dimanche, Jean-François Girard, intervenant social de première ligne à Kuujjuaq, au Nunavik, déplore que ce fléau soit encore tabou.

Il y a une vraie omerta dans les communautés, relate cet intervenant mohawk embauché comme « travailleur de rue » au Centre de santé Tulattavik de l’Ungava en 2019.

En trois ans de service à Kuujjuaq, M. Girard a dénombré une trentaine de suicides dans le secteur qu’il couvre. C'étaient majoritairement des hommes, dit-il, âgés de 22 ans à 57 ans. Il ne les connaissait pas personnellement, mais il leur avait déjà parlé.

Quatre suicides sont survenus au cours des deux mois qui ont précédé Noël.

Les aînés sont conscients que le problème est présent, assure-t-il en nous confiant pourtant ne pas être capable d’en parler avec eux. Peut-être ont-ils peur que si on en parle, ça s’empire?

Au sein de communautés tricotées serré où tout le monde se connaît, un suicide provoque une onde de choc immense, explique à son tour Jérôme Gaudreault, directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide.

Ça peut être un cousin, un proche, et cette proximité augmente le stress dans les communautés, ce qui complique le travail de prévention, reconnaît M. Gaudreault.

« Il faut que les leaders autochtones se lèvent et s’impliquent. Pour l’instant, c’est tabou. Mais à un moment donné, ils n’auront pas le choix d’en parler. »

— Une citation de  Jean-François Girard, travailleur de rue à Kuujjuaq

Dans les faits, Jean-François Girard intervient surtout dans l’ombre des réseaux sociaux pour déceler les cas de détresse psychologique parmi les messages publiés. Il oriente ensuite les personnes concernées vers les ressources disponibles, qu’il s’agisse de cas de violence conjugale, d’agressions sexuelles ou de pensées suicidaires.

J’utilise Messenger, une place où ils sont à l’aise de parler, précise-t-il. Le face-à-face en personne peut créer de la honte, de la gêne, la peur d’être jugé.

Certains Inuit n’ont pas accès à un forfait de cellulaire pour appeler une ligne d’aide, mais ils peuvent trouver un lieu où se connecter gratuitement au wifi. Encore faut-il avoir un téléphone, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

Rien de confidentiel

Par la suite, le chemin pour obtenir de l’aide est long, prévient M. Girard. Après son intervention par messagerie instantanée, ce sont au moins deux autres personnes-ressources que rencontre la personne en détresse, autant d’intervenants à qui se confier et à qui répéter une histoire très intime.

En cas de crise urgente, je les invite à consulter l’intake [le service d'admission du Centre de santé Tulattavik de l’Ungava], mais ils sont obligés de passer par la salle d’attente, où les gens les voient. Il n’y a rien de confidentiel.

Autre obstacle : le haut taux de roulement du personnel hospitalier et des intervenants sociaux sur place. De trois à cinq nouvelles infirmières par mois passent dans les services, illustre-t-il.

Dans ce contexte, la confiance n’est pas facile à bâtir avec la population locale. Les personnes qui auraient besoin d’aide ne la sollicitent pas toujours, car elles redoutent d’avoir à confier leur histoire encore et encore, sans véritable suivi.

Les données prouvent que le problème persiste dans certaines communautés éloignées : le taux de suicide y est bien supérieur à la moyenne nationale. Outre les traumas intergénérationnels – On marche sur des œufs, résume M. Gaudreault –, des études ont démontré l'existence d'un lien entre taux de suicide et défavorisation matérielle, indique-t-il.

Drapeaux en berne à Kuujjuaq.

Les drapeaux sont en berne à Kuujjuaq au lendemain du suicide de deux jeunes de cette communauté du Nunavik d'à peine 2800 habitants (archives).

Photo : Elias Abboud/CBC

En 2018, le Nunavik a affiché une moyenne de 147 suicides pour 100 000 habitants. À titre de comparaison, ce taux avoisinait 9 pour 100 000 habitants dans des villes comme Montréal ou Laval, selon les données publiées l’an dernier par l’Institut national de santé publique du Québec.

Un nouveau rapport attendu lundi laisse présager une aggravation de la situation dans les régions les plus septentrionales comme le Nunavik, où le nombre annuel de morts par suicide a triplé entre 2015 et 2018.

Si tu ne vois pas de résultats [aux actions de prévention], le niveau de confiance baisse, ajoute le directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide, qui reconnaît avoir dû franchir des écueils pour mener des projets au Nunavik. On essaie pourtant dans la mesure du possible de respecter la culture, d’adapter nos contenus avec des formations spécialisées pour les intervenants autochtones.

« Il faut qu’on soit plus à l’écoute de leurs besoins et qu’on leur apporte le soutien qu’ils réclament. »

— Une citation de  Jérôme Gaudreault, directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide

En réponse à Espaces autochtones, le Secrétariat aux affaires autochtones (SAA) indique qu’il finance non seulement l’Association de prévention du suicide des Premières Nations du Québec et du Labrador [...] depuis plus de 15 ans, mais aussi des initiatives au Nunavik en matière de prévention du suicide chez les jeunes. Autre implication mentionnée : le financement versé aux centres d’amitié autochtones, qui offrent des services en la matière.

Moi, je vois qu’il n’y a vraiment pas de ressources et de gros besoins, se désole le travailleur de rue Jean-François Girard en citant diverses initiatives suspendues à cause de la pandémie, paradoxalement à un moment où la population en aurait le plus besoin.

Cette année, la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik a décidé de reporter d’un mois les activités prévues à l'occasion de la Semaine de prévention du suicide à cause des restrictions sanitaires actuellement en vigueur.

La Régie annonce toutefois souligner la semaine du 31 janvier en diffusant des messages d’espoir, des ressources disponibles pour les Nunavimmiut ainsi que différentes idées pour célébrer la vie au quotidien.

Besoin d'aide pour vous ou un proche?

  • Ligne d'écoute Kamatsiaqtut : 1-800-265-3333 (inuktitut et anglais),
    ᑲᒪᑦᓯᐊᖅᑐᑦ ᐅᖃᕕᑦᓭᑦ.
  • Ligne d'écoute d'espoir pour le mieux-être : 1-855-242-3310 ou en utilisant le service de clavardage à espoirpourlemieuxetre.ca (Nouvelle fenêtre), 24 heures sur 24, sept jours sur sept (anglais, français et inuktitut sur demande),
    ᓄᓇᖃᕐᖄᓯᒪᔪᓄᑦ ᐃᓄᓐᓄᓗ ᐱᕕᑦᓴᖃᖏᓐᓇᓂᒧᑦ ᐃᓅᓯᕐᒥᒃ ᐅᖄᕕᑦᓭᑦ.
  • Jeunesse, j'écoute (24/7) : 1-800-668-6868 (anglais et français),
    aide par texto (686868) ou Facebook Messenger : jeunessejecoute.ca/aide-urgente/
  • Si vous êtes en détresse, si l'un de vos proches vous inquiète ou si vous êtes en deuil à la suite d'un suicide dans votre entourage, composez le 1-866-APPELLE. Ce service panquébécois est offert 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et est gratuit.
  • Il est aussi possible d’utiliser la plateforme d’intervention par clavardage en visitant le suicide.ca (Nouvelle fenêtre).

Commentaires fermés

L’espace commentaires est fermé. Considérant la nature sensible ou légale de certains contenus, nous nous réservons le droit de désactiver les commentaires. Vous pouvez consulter nos conditions d’utilisation.

En cours de chargement...