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Pour ses 50 ans, la revue « Recherches amérindiennes au Québec » change de nom

L'anniversaire de la revue a aussi été l'occasion de parler de décolonisation de la recherche.

Un exemplaire de la revue.

À compter de janvier 2022, les numéros courants de la revue seront disponibles en libre accès sur Érudit.

Photo : Guillaume Lamy

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Lors d’un colloque retraçant 50 années de recherche sur les peuples autochtones dans la province, le directeur de la revue scientifique Recherches amérindiennes au Québec (RAQ), Laurent Jérôme, a annoncé que la publication s’appellerait désormais Revue d’études autochtones. C'était aussi l’occasion de se projeter vers l'avenir.

Avec ce nouveau nom, le mot amérindien est donc retiré de l’appellation de la revue lancée en 1971. On n’a pas eu de pression de la part d’une quelconque organisation politique. Le changement vient plutôt de l’évolution de la société et des regards qu'on porte sur les peuples autochtones, a souligné le jeune directeur.

En guise d'exemple, il a indiqué que plusieurs des collaborateurs ont été questionnés par leurs enfants sur l'utilisation du mot amérindien dans le nom de la revue.

M. Jérôme a toutefois tenu à souligner que le nouveau nom avait fait l’objet de nombreuses consultations, notamment auprès de membres de Premières Nations. Si la mission et les objectifs de la revue ont aussi été revus, afin notamment de s’ouvrir aux enjeux autochtones à l’international, celle-ci continuera de rester indépendante. Et francophone, même si le système de diffusion de la recherche encourage les chercheurs à publier en anglais.

Aux origines de la revue

Lors de sa création en 1971, Recherches amérindiennes au Québec visait à créer des liens entre des chercheurs éparpillés aux quatre coins de la province et à diffuser leurs résultats. L’utilisation du terme amérindien se voulait alors comme une forme d’ouverture par rapport au terme indien alors encore fréquemment utilisé, a évoqué Gérald McKenzie, l’un des six membres fondateurs de la revue.

Même si on avait étudié en anthropologie ou dans d’autres domaines, on ne savait presque rien : la présence autochtone, dans notre esprit, c’était invisible, a confié M. McKenzie.

Laurent Girouard, Gérald McKenzie et Camil Guy sont assis sur scène.

Laurent Girouard, Gérald McKenzie et Camil Guy, trois des six fondateurs de la revue.

Photo : Guillaume Lamy

Cette prise de conscience collective, les non-Autochtones la doivent notamment à l’intervention du chef Max Gros-Louis, qui avait à l'époque jeté un pavé dans la mare en présentant à la télévision la carte des revendications territoriales des Hurons-Wendat. Ça a été un choc. Tout le monde pensait que c’était une joke, mais ça a marqué notre conscience, s’est remémoré Gérald McKenzie.

Si RAQ a toujours voulu garder son autonomie vis-à-vis des universités ou de la politique, trois des cofondateurs présents au colloque ont évoqué le côté militant de ses membres fondateurs. Cela s'est notamment concrétisé par l’organisation de colloques entre Autochtones et non-Autochtones parallèlement à la publication de la revue.

À cette époque, le gouvernement du Québec nationalise l’hydroélectricité. Il est en quelque sorte forcé de s’intéresser aux peuples qui habitent le territoire où il envisage de construire des barrages. Dans la foulée de la Révolution tranquille, la cause indépendantiste est en outre en plein essor et cela se reflète chez les collaborateurs de la revue.

« Dans la foulée de la Révolution tranquille, le Québec francophone essayait de se décoloniser, mais on s’est aperçus que tu ne pouvais pas revendiquer ta liberté sans reconnaître celle des autres [les Autochtones]. »

— Une citation de  Gérald McKenzie, l'un des fondateurs de la revue

Malgré ce côté militant assumé à l'époque, certains des membres fondateurs s'interrogent toutefois, cinquante ans plus tard, sur le rôle politique de la revue dans le contexte de la montée des revendications territoriales autochtones.

Pour une recherche plus éthique

Outre l’aspect politique, les intervenants présents au colloque ont généralement souligné l’importance de continuer de faire évoluer la recherche sur les Autochtones en faisant davantage participer ces derniers.

« Décoloniser la recherche, c’est notamment avoir successivement fait passer les Autochtones d’objets de recherche à sujets de recherche, puis à participants et aujourd’hui à collaborateurs. »

— Une citation de  Marie-Pierre Bousquet, directrice du programme en études autochtones de l'Université de Montréal

Dans le domaine de l’archéologie, il y a toutefois encore un important rattrapage à faire, a évoqué le professeur de l’Université de Montréal Christian Gates St-Pierre, qui note qu’il n’y a actuellement pratiquement aucun archéologue autochtone, alors que sa discipline a un rôle à jouer afin notamment d’éclairer certains litiges territoriaux liés à l’occupation ou non du territoire.

Comme plusieurs de ses collègues chercheurs, M. Gates St-Pierre croit que les projets de recherche pourraient être adaptés afin d’être plus pertinents pour les Autochtones.

De son côté, l’historien huron-wendat Jonathan Lainey a affirmé que les historiens anglophones lui apparaissaient plus émancipés d'un certain poids politique, et qu'ils n’hésitent pas à consulter les communautés pour valider ou invalider certaines de leurs hypothèses au cours de leurs recherches.

M. Lainey, qui a travaillé au Musée canadien de l’histoire et qui est désormais au Musée McCord, a aussi évoqué les résistances qu’il sent parfois au sein de la population québécoise, des éditeurs et de certains historiens lorsqu'ils affrontent la vision autochtone de l’histoire du Québec et du Canada.

Une vision qui va notamment à l’encontre du mythe des gentils francophones alliés des nations autochtones face aux méchants Anglais qui les dépossédaient éhontément.

« Renverser l’historiographie qui nous relègue au deuxième plan dans l’Histoire, ça dérange. Mais c’est normal et même nécessaire dans un contexte de décolonisation. »

— Une citation de  Jonathan Lainey, historien

Des pistes pour le futur de la revue

Afin d’assurer l’avenir de la revue, qui fait notamment face à la concurrence des revues internationales plus prestigieuses pour les chercheurs, des participants au colloque ont notamment recommandé d’élargir le bassin de lecteurs en diffusant plus d’articles de vulgarisation, sans pour autant abandonner la publication d’articles pointus.

Transmettre un savoir universitaire sous forme de bande dessinée, c’est justement ce qu’a réalisé Emanuelle Dufour avec sa BD intitulée C’est le Québec qui est né en notre pays.

Karine Awashish et Emanuelle Dufour sont assises sur scène derrière une table.

Karine Awashish et Emanuelle Dufour lors d'une table ronde au colloque soulignant les 50 ans de la revue « Études autochtones au Québec ».

Photo : Guillaume Lamy

Selon elle, le milieu québécois de la recherche en général reste un milieu cloisonné, qui a ses propres codes et dont les publications ne sont pas assez accessibles. Anthropologue de formation à l’Université de Montréal, elle a dû bifurquer vers un doctorat en éducation artistique de l’Université Concordia pour que son projet de publication scientifique au moyen d'une bande dessinée soit accepté et crédité.

Un projet qui a depuis reçu plusieurs distinctions, dont la Médaille d’or du Gouverneur général en juin dernier.

Pour faciliter la transmission de la recherche, Karine Awashish, cofondatrice de la coopérative artistique Nitaskinan, aimerait entre autres qu’une plus grande place soit faite à la transmission des résultats de recherches de façon orale. Cela pourrait se faire par l’intermédiaire de balados ou de la radio, dont les Autochtones sont encore friands, selon elle.

Ne pas brûler le terrain

Actuellement, la sensibilité de la population québécoise envers les causes autochtones semble s’accroître à plusieurs niveaux, une bonne nouvelle pour la recherche. Attention toutefois à ne pas tomber dans l’excès inverse et à trop demander aux communautés, recommande Edgar Blanchet, agent de recherche au sein du bureau du Ndakina du Grand Conseil de la Nation Waban-Aki.

Dans le cas des communautés abénakises, pour lesquelles il travaille en tant que chercheur, il croit que la grande sollicitation de la part des chercheurs québécois en archéologie, anthropologie, ethnologie ou histoire risque de mener à une certaine lassitude et à brûler le terrain.

D’ailleurs, les Abénakis d’Odanak et ceux de Wôlinak, dans le Centre-du-Québec, l’ont bien compris. Ils ont donc établi un comité qui se réunit quatre fois par année pour évaluer les demandes de projets de recherche en fonction du degré d’implication que cela nécessite et des retombées pour la communauté.

Car, oui, il y a eu des avancées en matière de recherche éthique, notamment quand plusieurs chercheurs partagent ensuite leurs banques de données avec les nations autochtones qu’ils ont étudiées, mais encore faut-il que ces banques de données soient fournies dans un format ensuite réutilisable pour les communautés concernées, a souligné M. Blanchet.

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