« Mononk Jules », pleins feux sur l’histoire autochtone et la fabrication des mythes
Dans un spectacle qui associe marionnettes et projections, Jocelyn Sioui ravive la mémoire de son grand-oncle Jules Sioui, l’un des premiers militants pour l’autodétermination chez les Autochtones.

Jocelyn Sioui, créateur et marionnettiste, dans sa pièce Mononk Jules
Photo : Marie-Julie Garneau
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
L'admiration des peuples est inconstante. Ils sont capables de se jeter au cou d'un héros dont ils ne se souviendront plus quelques décennies plus tard. C'est ce qui est arrivé au Huron-Wendat Jules Sioui, l’un des fondateurs du gouvernement de la nation indienne, emprisonné en 1949 « pour sédition » : encore inscrit au panthéon des héros autochtones il y a un demi-siècle, il sommeille aujourd'hui sous la poussière de l'oubli.
Que s’est-il passé? Pourquoi a-t-il chuté dans un grand trou de mémoire
? C’est ce qu’interroge l’auteur Jocelyn Sioui dans le spectacle Mononk Jules
, une adaptation scénique de son livre éponyme sorti aux éditions Hannenorak en 2020.
À mi-chemin entre le théâtre documentaire et la marionnette, ce fascinant seul en scène retrace sa démarche pour reconstituer l’histoire d’un oncle qu’il n’a vu que très rarement dans sa jeunesse. Présenté au théâtre Aux Écuries de Montréal jusqu’au 6 novembre, le spectacle aborde aussi la quête identitaire de son auteur.
« Pour la première fois, je serai seul en scène. Pour la première fois, je parlerai d’où je viens. Pour la première fois je vous dirai qui je suis. »
En procès et en pamphlet, Jules Sioui s'est battu pour le droit à l’autodétermination des Autochtones, et a contribué à fonder ce qui est aujourd'hui l'Assemblée des Premières Nations.
Sa propre quête était proche de celle d’un héros tragique, il bousculait l’ordre établi
, résume Jocelyn Sioui au sujet du parcours jusqu’au-boutiste de ce militant huron-wendat qui s’est lancé dans une grève de la faim de 72 jours en 1950 pour faire plier Ottawa, non sans avoir au préalable fondé le GNIAN, le Gouvernement de la nation indienne d’Amérique du Nord, en 1944.
Par séquences chronologiques bien choisies, le spectacle pointe la perte de mémoire collective en ce qui a trait à l’histoire des Autochtones, tente d’y remédier pendant les deux heures de représentation, puis dédie les cinq dernières minutes à un revirement narratif aussi salutaire que surprenant pour qui n’a pas lu le livre.
Tout n’est qu’une question de prisme
, rétorque malicieusement Jocelyn Sioui, qui manipule avec brio l’empathie que les spectateurs pourront développer au fil de la pièce pour le personnage de son grand-oncle. Victime ou bourreau?
Une question de point de vue
Entre les mains du marionnettiste aguerri, les figurines du récit sont vouées à devenir autant de projections de Jules Sioui et des personnalités politiques de l’époque. Elles émergent de simples boîtes en carton transformées en maison d’enfance, en prison ou encore en paysage urbain, et prennent une dimension fantasmagorique.
La petite histoire de Jules Sioui rejoint la grande, celle des Autochtones au Canada, selon une narration ponctuée de piques humoristiques. Pour débuter, c’est plutôt l’Amérique qui découvre Christophe Colomb pendant qu’en arrière-scène une carte géographique se constelle de taches de sang. Comme un cours 101 sur les Premières Nations, à la perspective inversée.
Moi-même je me suis donné un cours d’histoire pour préparer le spectacle, raconte-t-il en entrevue, alors si je n’étais pas au courant de certains événements, il y a beaucoup de monde qui ne le sont pas!
Loin du cours magistral, Jocelyn Sioui se confie au public, raconte que de sa culture autochtone il ne lui reste plus que son patronyme et qu’il est devenu un Indien urbain qui se fond dans la foule
.
Inaperçu, peut-être, mais pas silencieux : sur scène, le comédien épingle aussi bien la politique de François Legault que les récentes revendications territoriales des équipes sportives, convoque la mémoire de Joyce Echaquan, puis se demande que faire avec les oublis de Jean Chrétien au sujet des abus dans les pensionnats. Il faudrait ajouter un acte entier au spectacle!
s’emporte le dramaturge.
Malléable, son seul en scène peut ainsi s’ajuster aux aléas de l’actualité. Je me rends compte que la parole directe, quand les gens sont touchés, a un pouvoir immense
, confie Jocelyn Sioui, galvanisé par la vive émotion que suscite son spectacle depuis qu'il a été présenté, cet automne.
Mononk Jules
partira en tournée québécoise à la fin de l’année, et peut-être dans les communautés autochtones quand une version techniquement ajustée le lui permettra.