ChroniquePour Papa

Un champ de cœurs a été installé sur le site du pensionnat pour Autochtones de Brandon, au Manitoba.
Photo : Radio-Canada / Charles-Étienne Drouin
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Comme chaque année, le 30 septembre est une journée qui m’attriste. Je pense à mon père et à ce qu’il a vécu. Je pense à ma grand-mère et à mon grand-père. Mon père ne m’a jamais vraiment parlé de la façon dont son passage aux pensionnats a affecté toute sa famille.
Mais il me raconte souvent des récits de leurs vies.
Par exemple, il me parle de la fois où son père lui avait appris à trapper ou bien il me décrit la chaise berçante préférée de sa mère.
Je n’ai jamais pu rencontrer mes grands-parents, mais ils restent vivants à travers les histoires que mon père me transmet. Je ressens aussi une certaine tristesse dans son regard lorsqu’il se remémore les souvenirs de son enfance.

Lorsque Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo a retrouvé son père, Roy Cheezo lui a montré l'endroit où son propre père trappait.
Photo : Gracieuseté : Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo
Il a toujours été très ouvert à parler de ce qu’il avait vécu au pensionnat. Et même aujourd’hui il veut inspirer les autres en parlant de son parcours et de celui d’autres personnes survivantes des pensionnats.
Il est important d’entendre les voix de nos aînés et de les écouter. Et pas juste de prêter attention aux histoires troublantes dans les pensionnats, mais aussi de les écouter parler de leur vie. Poser des questions sur leur parcours et sur ce qui les a amenés à être encore là aujourd’hui.
Mon père a eu un parcours difficile. Je n’en dirai pas plus, car je veux respecter sa vie privée.
Mais ce qu’il a vécu dans les pensionnats a aussi affecté le reste de notre famille. J’ai dû grandir sans père. J’étais chanceuse d’avoir une mère extraordinaire pour prendre soin de moi.
Par contre, je n’ai pas pu apprendre ma langue ni recevoir les enseignements des aînés de ma communauté. J’ai senti toute ma vie qu’il me manquait une partie de moi.

Le premier souvenir de Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo avec son père, Roy Cheezo. Elle lui offre des morceaux de banane.
Photo : Gracieuseté : Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo
Mais aujourd’hui, nous avons tous les deux fait un parcours de guérison. On est toujours en train de le faire en fait.
Nous sommes toutefois à un point où il est possible de faire rentrer l’autre. Il est trop tard pour rattraper le temps perdu, mais on est là. Ensemble. Et on s’écoute.
C’est ça guérir aussi.
Alors, le 30 septembre pour moi a toujours été une journée plus difficile à vivre. Car je ne peux m’empêcher de penser à tous les enfants que l’on a perdus et que l’on cherche encore aujourd’hui.
Mais aussi aux enfants qui ont survécu et de la façon dont ils ont été réduits au silence.
Je revois les yeux tristes et fatigués de mon père. Mais je me souviens aussi de lorsqu’ils s’allument de fierté quand il me parle du canot en écorce que lui et un groupe de personnes ont créé ensemble. Le canot est encore à Kinawit à Val-d’Or en ce moment.
Je ris à ses blagues de papa même s’il les répète sans cesse. Je m’accroche aux fois qu’il me dit je t’aime
dans sa langue et aux longs câlins qu’on se donne avant de se séparer encore une fois. Parce que même si on s’est réunis, il reste qu’on est encore éloignés.
Je m’accroche à l’espoir de voir mon père s’aimer comme je l’aime.
Je puise ma force de mes parents. Et je m’inspire de la résilience de mon père. Car malgré tout ce que la vie lui a envoyé, il est encore là aujourd’hui.
Alors, quand je mets mon chandail orange, je pense à mon père, aux enfants qui sont encore perdus, à ceux retrouvés et à ceux qui ont survécu.
J’ai donc voulu écrire aujourd’hui pour toi, Papa. Parce que pour nous cette journée-là n'est pas une stratégie politique. C’est simplement une journée pour qu’on puisse se soutenir entre nous et que le reste de la population montre son appui.
Aujourd’hui, c’est aussi la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. C’est même annoncé sur le site officiel du gouvernement du Canada et un peu partout. Des chandails oranges sont vendus à La Baie. Les évêques s’excusent. Les projecteurs médiatiques sont sur nous. Qu’est-ce que ça veut dire, maintenant, pour nous cette journée? Oui, on en a fait du chemin. Les choses bougent.

Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo et son père Roy Cheezo. Cette photo a été prise sur le site de Kinawit à Val-d’Or et il s'agit de la dernière fois qu'ils se sont vus.
Photo : Gracieuseté : Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo
Je ne suis juste plus certaine de la direction vers où on s’en va comme Autochtone. Mais je garde espoir en regardant les différentes communautés à travers le Canada se réunir et se mobiliser pour s’entraider.
Mon cœur se réchauffe lorsque je vois toutes ces personnes autochtones et les alliés simplement porter un chandail orange en cette journée.
J’espère aussi que maintenant que cette journée est reconnue au niveau national par le gouvernement, de plus en plus de personnes seront sensibilisées à nos réalités.
Bref, je pense fort à toi, Papa, et aux autres personnes qui partagent la même histoire que la nôtre.
Kisagin