ChroniqueJe ne ferai pas de chronique sur Joyce Echaquan

Rassemblement de soutien à la famille de Joyce Echaquan en 2020.
Photo : Radio-Canada / Josée Ducharme
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Ces derniers jours, je me suis questionnée sur la meilleure approche à prendre pour parler de cet événement tragique qui a laissé une marque au Québec il y a un an. J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur différents sujets à travers les chroniques que j’ai pu écrire. Mais aujourd’hui, j’ai pris une décision.
Je ne ferai pas de chronique sur Joyce Echaquan.
Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo étudie en journalisme à l’UQAM. Elle est membre de la nation anichinabée et sa famille vient de la communauté du Lac-Simon, en Abitibi. Elle est impliquée dans le milieu culturel montréalais et au sein de la communauté 2SLGBTQI+, en plus d'avoir réalisé des courts métrages avec le Wapikoni mobile.
Appels à l’aide
Je me souviens encore du moment où j’ai ouvert la vidéo de Joyce. Sa détresse est encore très vive dans ma mémoire. Cette même détresse qu’on a pu voir et revoir dans tous les médias par la suite. Ses appels à l’aide ont amplifié les voix collectives des nations autochtones à travers le Québec et même à l’échelle nationale.
On avait enfin une preuve de ce qui avait été dénoncé maintes fois. Dans le rapport de la commission Viens, on rapporte notamment qu’il y a de la discrimination systémique au sein des services sociaux et de santé. Ce rapport était paru le 30 septembre 2019. Presque un an avant les appels à l’aide de Joyce. Parce que, oui, filmer cette vidéo n’était pas pour dénoncer ou même revendiquer des droits. C’était le dernier recours d’une femme qui craignait pour sa vie.
Débats et traumas
J’ai décidé que je ne ferais pas de chronique sur Joyce. Parce que la couverture médiatique de son décès a été énormément éprouvante. On nous écoutait enfin, on débattait dans l’espace public du racisme systémique. Mais c’est justement ça. On débattait. Dans l’espace public. Et c’est encore le cas aujourd’hui.
Il est nécessaire qu’on se penche sur un sujet collectivement pour en arriver à des solutions ensemble. Par contre, constamment faire face à des événements éveillant des traumatismes dans les médias peut être très épuisant. Il en va de même pour les pensionnats. Un autre sujet très présent au sein de nos communautés. Cela demande une immense charge émotionnelle de débattre sur des réalités qui nous affectent directement.
Certaines personnes cherchent aussi à se défaire d’un sentiment de culpabilité et je comprends. Apprendre que le système dans lequel on vit a permis ce genre de violence peut être un énorme choc. Mais ce n’est pas aux personnes autochtones de donner des réponses.
J’aimerais ajouter aussi qu’on ne doit pas se sentir coupable pour des événements du passé. Mais il reste la responsabilité de dénoncer les injustices actuelles et d'exiger de l’État des réparations pour les torts faits aux personnes autochtones. Car les plaies sont encore bien ouvertes pour certains.
L’impact de la couverture médiatique
Nous étions, nous sommes et nous serons toujours en guérison. Par exemple, chaque enfant qu’on retrouve sur les sites des pensionnats représente une douleur pour nos communautés, un autre deuil à porter.
C’est pour cette raison que nous avons marché le 1er juillet ensemble. Nous nous sommes réunis pour que nous puissions nous recueillir ensemble. C’est pour la même raison aussi que d’autres ont décidé de rester à la maison et de le faire dans l’intimité de leur chez-soi ou de juste récupérer après une année éprouvante.
Les marches et les rassemblements sont importants. Par contre, la présence des médias sur les lieux peut rajouter un certain poids. En fait, ce n’est pas la présence en tant que telle, mais plutôt la façon dont l’information est rapportée et recueillie.
Une cérémonie offerte par un aîné aux personnes présentes peut être bloquée par un mur de journalistes et les caméras peuvent être intrusives lorsqu’elles captent des moments intimes de consolation.
Il est important de rapporter ces faits, mais je crois que cela nécessite une remise en question sur le rôle et l’impact que les médias ont sur les communautés. Et surtout il est crucial de trouver l’humilité nécessaire pour revoir les méthodes journalistiques utilisées lors d’événements qui peuvent traiter de sujets très sensibles.
De plus, les personnes autochtones dans les médias ont bien souvent été mal représentées. Certaines donc restent méfiantes face à une caméra ou un micro.
Mais nous remarquons dans quelques cas une meilleure sensibilité aux réalités autochtones et un meilleur rapport lorsque nous prenons le temps d’apprendre à se connaître et de sentir les intentions de chacun. Mais surtout, la présence des personnes autochtones racontant leurs propres histoires ou celle de leurs communautés est grandissante dans la sphère médiatique.
Alors, j’ai décidé de partager avec vous ces réflexions à propos de la couverture médiatique de nos réalités. J’ai donc parlé de Joyce Echaquan et de ce qu’elle a laissé. Le geste qu’elle a posé a eu une grande influence sur les revendications de nos droits et a permis à plusieurs de s’éveiller sur nos réalités.
Aujourd’hui, mes pensées seront avec Joyce Echaquan, mais aussi avec sa famille, sa communauté et ses proches. Je leur envoie tout mon soutien en cette journée qui sera remplie d’émotions.
Une chose est sûre par contre, c'est que je ne serai pas la seule à le faire.