« Des Joyce, il y en aura d’autres », affirme le Dr Stanley Vollant
Les recommandations de Ghislain Picard ne sont pas nouvelles, dit-il.

Le médecin Stanley Vollant a offert ses recommandations lors des audiences de l'enquête sur la mort de Joyce Echaquan.
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le chirurgien innu Stanley Vollant a affirmé que, tant qu’on nie l’évidence, à savoir, selon lui, qu'il existe du racisme systémique dans le système de santé, il y aura d’autres drames comme celui de Joyce Echaquan. Mais le chef de l'APNQL, Ghislain Picard, a dit espérer que « Joyce soit la dernière à tomber dans les mains du système » médical.
Je suis tanné des commissions. On connaît déjà les réponses et il faut qu’on aille vers l’action
, a lancé Stanley Vollant, qui est le troisième témoin du volet recommandations de l’enquête publique sur le décès de Joyce Echaquan.
Peu après, le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador a aussi fait part de ses recommandations qui n'ont rien de nouveau
et sont les mêmes que celles de la Commission de vérité et réconciliation de 2015, celles de l'ENFFADA et celles de la commission Viens.
Parmi celles-ci : sécurisation culturelle, poste de commissaire à l'enfance pour les Autochtones, davantage de formations et d'éducation ou encore adoption du Principe de Joyce.
« En bref, faire des efforts pour améliorer le système pour qu'il réponde à la réalité de nos peuples, et non que nos peuples s'adaptent au système. »
Il s'est d'ailleurs demandé ceci : Si on avait agi de façon urgente après la commission Viens, peut-être qu'on aurait pu sauver la vie de Joyce.
Un mea-culpa
Stanley Vollant a dit vouloir faire un mea-culpa.
En 2012, lors de sa grande marche où il est passé par le territoire atikamekw, il a entendu des histoires à propos de l’hôpital de Joliette, où est décédée Joyce Echaquan à la fin de septembre 2020.
Mais il a douté, a-t-il raconté.
Peut-être que les patients ont mal compris qu’il y avait une différence culturelle, s’est-il dit. Mais, avec ce qui s’est passé avec Joyce, il s’est rendu compte qu’il n’avait pas été à la hauteur de l’écoute
qu’il aurait dû avoir.
J’étais peut-être rendu la pomme rouge de l’extérieur et blanche de l’intérieur. Même un Autochtone peut devenir blanc de l’intérieur
, a-t-il lancé, précisant s’être senti honteux de ne pas en avoir fait plus.
Alors, sa mission, désormais, est d’en parler plus et de faire en sorte qu’il n’y ait plus de tels drames, qu'il n'y ait plus de Joyce
.
« Mais il y en aura d’autres, c’est certain! Ce n’est pas fini. On nie l’évidence, et nier l’évidence est symptomatique que le racisme systémique est beaucoup plus ancré dans le système de santé. »
Car la vidéo de Joyce Echaquan est, selon lui, sans appel, et pourtant, malgré ces images, des gens nient l’évidence
.
Le pédiatre et professeur adjoint à la Faculté de médecine de l’Université McGill Samir Shaheen-Hussain, qui a témoigné, a interprété ce déni comme une loi du silence, une omerta dans le domaine de la santé
.
Ghislain Picard a affirmé que ses émotions ont été extrêmement malmenées à cause de ces témoignages
niant l'existence de ce qu'il qualifie aussi d'omerta.
La semaine dernière, autant la coroner Géhane Kamel que le témoin expert Alain Vadeboncœur ont indiqué que, sans les vidéos, beaucoup de points n’auraient pu être mis en lumière, la famille n’aurait probablement pas été crue et les conclusions du Dr Vadeboncœur auraient été différentes.
Stanley Vollant s'est d'ailleurs tout de même dit prêt à faire un sacrifice sémantique
sur le terme systémique
, qui donne de l’urticaire à certains
, pour aller enfin de l’avant.
Samir Shaheen-Hussain a estimé, néanmoins, que ne pas reconnaître le racisme systémique équivaut, selon lui, à ne pas poser le bon diagnostic et, donc, ne pas pouvoir trouver le bon traitement.
D’égal à égal
La sécurisation culturelle est l’une des pistes de réflexion fournies par de nombreux témoins dont Stanley Vollant. Pourtant, il a estimé qu'il fallait aller au-delà de ce concept, c'est-à-dire respecter la culture, respecter les différences, mais aussi apprendre à communiquer et à comprendre.
Selon lui, simplement dire bonjour dans la langue de l'autre témoigne de la relation d’égal à égal et du respect de la différence.
La sécurisation culturelle, a expliqué le Dr Vollant, c’est quand tout le monde sera sur le même pied d’égalité
et qu’on traitera et soignera les gens comme des égaux. Il faut alors décoloniser les modes de soin, enlever la relation de dominant à dominé, a-t-il poursuivi.
Selon la directrice des affaires autochtones du ministère de la Santé et des Services sociaux, Julie Gauthier, la sécurisation culturelle est clairement une priorité gouvernementale et sectorielle
.
Elle a d'ailleurs présenté le plan global d'implantation de ce concept dans le réseau de la santé pour 2020-2025, un plan dont les travaux auraient commencé en 2018, mais qui ont été mis en lumière en novembre 2020.
La coroner Géhane Kamel a indiqué avoir beaucoup d'espoir avec les propositions faites par Mme Gauthier. Vous nous dites : "Il y a des iniquités.", travaillons ensemble pour qu'on soit capables d'avancer.
Toutefois, il a été mentionné que beaucoup de points dans le document reprenaient le Principe de Joyce proposé par la nation atikamekw, sans pour autant nommer le principe ou l'adopter. Ce bout-là m’impressionne : c’est que vous dites exactement les mêmes choses, mais en des termes différents
, a précisé la coroner.
L'équipe de Julie Gauthier ne compte aucun Autochtone, ce qui a étonné plusieurs personnes dans la salle d'audience. Cette dernière s'est justifiée en précisant avoir affiché des postes en vain. Si je pouvais avoir quelqu'un des Premières Nations ou Inuit dans mon équipe, ça me ferait plaisir
, a expliqué Julie Gauthier.
D'ailleurs, Stanley Vollant a dit avoir confiance dans l’enquête publique, mais il a peur que le gouvernement québécois ne soit pas à l’écoute des recommandations de la coroner
et que le rapport qui sortira de l'enquête soit encore tabletté comme plusieurs commissions
.
Parmi les autres recommandations : briser les murs de méconnaissance, former les agents de liaison et rendre les directions des établissements responsables des suivis, augmenter les effectifs du personnel soignant dans les communautés et rétablir la confiance dans le système de santé.
Un système de plainte adapté
Le processus de plainte doit aussi être revu pour être culturellement adapté car, selon Stanley Vollant, il est difficile pour un Autochtone de cheminer dans ce système, et se plaindre n’est pas dans la culture autochtone.
Cette recommandation rejoint celles faites vendredi dernier par la présidente de Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel, ainsi que par une professeure en soins infirmiers Annette Browne, venues plaider pour des changements majeurs afin de sauver la vie des femmes autochtones.
À ce propos, la commissaire-conseil au régime d’examen des plaintes du ministère de la Santé et des Services sociaux, Dominique Charland, est venue présenter la loi visant à renforcer le régime d’examen des plaintes du réseau de la santé et des services sociaux, qui va entrer en vigueur mardi.
L’objectif visé, selon Dominique Charland, est une amélioration continue de la qualité des services dans une démarche qui n’est pas blâmante, pas punitive. On veut encourager les gens à ne pas hésiter à nous interpeller
.
Dominique Charland a reconnu que cela demandait du courage et de l’énergie de porter plainte. Et il faut que ça serve à quelque chose
.
Le coroner et médecin qui accompagne la présidente de l’enquête publique a, à la fin de la présentation, fait part de ses questionnements, car, lorsqu’une plainte est déposée, les commissaires qui examinent ces plaintes ne peuvent pas savoir si ce sont des Autochtones ou non qui les ont faites.
Quelle imputabilité peut être faite si on ne peut pas avoir la donnée? [...] On perd donc notre temps à essayer de voir ce qui peut être fait à partir de ce régime pour changer ou améliorer
la situation? a demandé Jacques Ramsay.
Une discrimination documentée
Plusieurs témoins ont aussi affirmé ce que la professeure Browne avait expliqué vendredi : La littérature indique clairement qu’aucune province ou territoire n’est exempté : les peuples autochtones sont fréquemment victimes de racisme individuel et systémique quand ils interagissent avec le système de santé
.
Selon elle, cette discrimination est documentée et il est temps de se regarder dans le miroir et de mettre en place des stratégies et politiques, mais de manière constructive et non accusatrice.
Lors de son témoignage, Samir Shaheen-Hussain est allé plus loin que ce qu'a estimé la présidente de FAQ. Pour Viviane Michel, le racisme et la discrimination tuent
, car Joyce Echaquan a reçu de piètres soins à cause de préjugés racistes et misogynes
.
Selon Samir Shaheen-Hussain, le colonialisme médical, qu'il a déjà dénoncé plusieurs fois, a contribué à ce décès.
« Je ne dirais pas qu’elle a été ignorée à mort, je dirais qu’elle a été méprisée à mort. »
Plusieurs témoins ont demandé des formations de sensibilisation sur les problématiques auxquelles sont confrontées les femmes autochtones, une formation qui serait effectuée en collaboration avec des communautés autochtones. Mais un suivi devrait être fait.
L’Hôpital de Joliette avait en effet offert à ses employés une formation sur la sécurisation culturelle en 2019, mais à peine 3 % des personnes conviées, essentiellement des infirmières, y avaient participé.
L'enquête publique doit se terminer mercredi.
Une grande marche pacifique intitulée Justice pour Joyce : un vent de changement
se tiendra ce jour-là à Trois-Rivières.