Joyce Echaquan avait peur d'aller à l'hôpital de Joliette, selon ses proches
Carol Dubé a livré un témoignage émouvant pendant plus de deux heures à l'enquête publique.

Carol Dubé, le conjoint de Joyce Echaquan, arrive au palais de Justice de Trois-Rivières pour assister aux audiences publiques sur la mort de la jeune mère de famille atikamekw originaire de Manawan.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Joyce Echaquan appréhendait et avait même peur d’aller à l’hôpital de Joliette, où elle devait régulièrement se rendre pour des suivis à cause de problèmes de santé. Elle avait aussi déjà rapporté y avoir été attachée plusieurs fois et avoir entendu des propos désobligeants.
C’est ce qui ressort du témoignage de son conjoint Carol Dubé lors de la première journée des audiences publiques visant à faire la lumière sur le décès de cette mère de famille atikamekw.
Pendant plus de deux heures, Carol Dubé a livré son témoignage au palais de justice de Trois-Rivières. La voix étranglée par l’émotion, souvent en larmes, l’homme de 43 ans, a d’abord dépeint une mère exceptionnelle
qui aimait ses sept enfants, deux petits-enfants, les gens, les animaux, la vie et parcourir le territoire de ses ancêtres. Elle aimait tout
.
L'homme, vêtu d'une chemise mauve et d'une cravate assortie, a ensuite fait part des problèmes de santé de sa conjointe, notamment qu'elle souffrait de diabète, d’anémie et de problèmes cardiaques depuis la naissance de leur sixième enfant. Elle devait donc se rendre régulièrement à l’hôpital de Joliette pour faire des suivis.
Quand elle y allait seule, elle me racontait souvent qu’elles [les infirmières] étaient déplaisantes envers elle, pis qu’elle n’était pas bien traitée,
a expliqué d’une voix très faible Carol Dubé, le conjoint de Joyce Echaquan pendant 23 ans.
Selon lui, Joyce Echaquan a été attachée à plusieurs reprises dans le passé, se sentait vulnérable, avait peur des attouchements et peur qu’on lui administre
des médicaments comme des antidouleurs lorsqu’elle allait à l’hôpital de Joliette. Joyce Echaquan était allergique à un médicament antidouleur, l’empracet, a rappelé Carol Dubé.

Début des audiences publiques sur la mort de Joyce Echaquan.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Il a aussi raconté qu’un voisin de chambre à l’hôpital aurait demandé à une infirmière pourquoi elle ne la traitait pas comme lui. Il a aussi relaté des événements
, notamment des avortements. D’ailleurs, suite à de la pression d’un médecin, selon Carol Dubé, elle a eu une ligature des trompes, ce qu’elle aurait regretté, a-t-il affirmé.
Elle avait peur d’aller à l’hôpital
, a-t-il répété. Ce qu'ont confirmé aussi dans leurs témoignages la mère et la fille de Joyce Échaquan.
Plusieurs fois, Carol Dubé a affirmé que sa conjointe n’a jamais demandé à finir ses jours comme ça, avec ces personnes qui l’insultaient, qui la méprisaient
.
La semaine qui a précédé sa mort, Joyce Echaquan a éprouvé des maux de ventre qui se sont accentués. À la suite de son hospitalisation, le 26 septembre 2020, Carol Dubé lui a parlé quelques fois, et échangé des messages textes avec elle.
Carol Dubé se trouvait chez une tante de Joyce Echaquan lorsqu’il a eu vent de la vidéo.Peu avant son décès, la mère de famille avait filmé et publié en direct la scène sur Facebook. Elle subissait des insultes dégradantes de la part d’employées. La vidéo, qui a largement circulé dans les médias sociaux, a déclenché une onde de choc et d’indignation.
Carol Dubé ainsi que sa belle-mère ont tous deux affirmé dans leurs témoignages avoir eu du mal à joindre l'hôpital et à obtenir des informations sur la situation de Joyce Echaquan.
La fille de Joyce Echaquan a pu rapidement se rendre sur les lieux. Elle a indiqué avoir retrouvé sa mère inanimée, seule, puis ensuite avoir vu le personnel intervenir et partir avec Joyce Echaquan. Sa fille a soutenu que même morte, elle était toujours attachée
.

Marie Wasianna Echaquan Dubé lors des audiences
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Lors de son arrivée à l'hôpital, la mère de Joyce Echaquan, Diane Dubé, dit qu'à l'hôpital on lui a affirmé que la mort était naturelle, alors elle a réclamé une autopsie.
Le 29 septembre, Carol Dubé a rencontré du personnel de l'hôpital, dont une médecin qui lui a semblé nerveuse
, qui ne le regardait pas dans les yeux
, et elle lui aurait indiqué qu'il y avait des circonstances aggravantes. Ayant pu voir le corps de sa conjointe, il a affirmé que le visage était enflé avec notamment des égratignures.
Une coroner à l'écoute
Questionné sur leurs habitudes de vie, il a précisé qu’ils consommaient du cannabis de temps en temps, mais qu'ils s'abstenaient de boire de l'alcool ou de prendre d'autres drogues depuis des années.
La coroner Géhane Kamel a alors coupé le témoignage pour rappeler qu’elle ne voulait en aucun cas lire ni entendre de lien entre les habitudes de vie de Joyce et le fait qu’elle soit autochtone.
Je ne veux pas que les gens fassent de lien entre j’ai consommé du cannabis de temps en temps avec… ben c’est sûr, c’est la communauté autochtone
, a déclaré Géhane Kamel, visiblement fâchée.
Le plus important pour moi est de comprendre qui était Joyce, sans aucun jugement. […] Je veux la vérité pour me faire une tête.
Avec de longues pauses et de grands sanglots dans la voix, Carol Dubé a indiqué que le deuil n’était pas encore fait et que la douleur était encore très présente.
Il y a un vide dans notre maison, dans mon cœur aussi.
Le conjoint de Mme Echaquan a également précisé aux procureurs de l'enquête que lui rendre justice est la meilleure chose à faire
.

Carol Dubé a témoigné lors des audiences publiques sur la mort de sa conjointe Joyce Echaquan.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Il a conclu son témoignage en disant avoir encore des interrogations sur le comportement des infirmières.
Pourquoi une personne qui a une si belle profession, si honorable, pourquoi elles n’ont pas honoré leur statut d’infirmières
, a-t-il lancé.
Dans un rare geste, Géhane Kamel a quitté son siège pour s’approcher de Carol Dubé, lui présenter ses condoléances et le remercier pour son courage
.
Elle a alors répondu aux questionnements de Carol Dubé en lançant : La beauté de la chose, c’est pour ça qu’on est là. Vous allez quitter d’ici [sic] avec des réponses
.
À la fin de son témoignage, dont de nombreux éléments recoupaient les déclarations de son père, Marie Wasianna Echaquan Dubé a tenu, en larmes, à expliquer les raisons de sa venue à la barre.
Je suis ici pour répondre à une question posée à ma mère avec violence et haine. La question était : ''Qu'est-ce que tes enfants diraient s'ils te voyaient comme ça?''
, faisant référence aux propos entendus par un membre du personnel de l'hôpital dans la vidéo.
Je veux que tout le monde sache ce qu'on nous a pris. Les personnes qui ont fait ça nous ont enlevé une partie de nous. Un trou énorme est apparu au cœur de notre famille.
La coroner a alors pris la parole : Si votre devoir était d'honorer la mémoire de votre maman, vous l'avez fait avec beaucoup d'amour et d'affection. D'une manière ou d'une autre, j'avais l'impression qu'elle était là
.

La présidente de l'enquête, Géhane Kamel
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Le témoignage de la famille a été précédé de celui du sergent-enquêteur de la division des enquêtes sur les crimes majeurs à la Sûreté du Québec, Martin Pichette. Il a indiqué que le personnel soignant aurait arrêté l'enregistrement du Facebook live lancé par Joyce Echaquand.
De plus, il a précisé qu'aucun élément criminel n'était ressorti de l'enquête de l'équipe des crimes majeurs et que les enquêteurs n'avaient donc pas soumis de dossier afin de poursuivre au criminel.
Jusqu’au 2 juin, une cinquantaine de témoins vont venir à la barre de l’enquête publique présidée par la coroner et avocate Géhane Kamel.
Ce vendredi, le frère, la belle-sœur, la cousine et une amie de Joyce Echaquan viendront témoigner à leur tour.
La journée avait débuté par une cérémonie, tenue par deux aînés. Étaient aussi présents les chefs de la nation et de Manawan, Constant Awashish et Paul-Émile Ottawa, et des membres de la communauté.