Wapke : l’avenir imaginé par 14 voix autochtones

Wapke, un premier recueil de nouvelles d'anticipation autochtone, dirigé par l’auteur et chef d'antenne innu Michel Jean.
Photo : Stanké
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Un premier recueil de nouvelles d'anticipation autochtone, dirigé par l’auteur et chef d’antenne innu Michel Jean, sortira sous peu au Québec. Chacun des textes de Wapke projettera les lecteurs dans un futur qui, s’il est bien fictif, soulève des enjeux très contemporains et permet aux auteurs de l’imaginer à leur manière.
« La dystopie, c’est pas le genre de littérature que j’utilise d’habitude », explique tout de go Michel Jean, dont l’ouvrage Kukum, loin de flirter dans la littérature futuriste, a été le deuxième roman québécois le plus vendu en 2020.
« Mais le contexte actuel pour en écrire s’y prêtait bien, fait-il remarquer, au niveau politique entre autres ».
La pandémie était aussi un terreau fertile pour imaginer le pire comme le meilleur.
C’est le filon qu’a suivi Cyndy Wylde en projetant quantité de problématiques jamais réglées, que ce soit la stérilisation forcée, les ressources naturelles, la possession du territoire ou l’identité.
Des enjeux, précise la chargée de cours à l'UQAT
et consultante en enjeux autochtones, qui sont « toujours le nerf de la guerre pour les nations autochtones ».Habituée à rédiger une thèse, des articles et autres textes politiques ou sociaux à mille lieues d’une nouvelle dystopique , elle s’y est pourtant jetée avec grand intérêt.
Et pour mieux aborder cet avenir fictif, elle est retournée aux origines en se fiant aux légendes et aux récits de la création du monde « que j’ai toujours trouvés super révélateurs sur nos valeurs ».
« C’est une fiction qui repose sur plein d’éléments réels. »
Sa nouvelle intitulée Pakan (autrement) commence en 2022 et nous projette jusqu’en 2063, et suit une lignée de femmes anishinabées en commençant par Kanena, du prénom de sa vraie arrière kitci mama [arrière-grand-mère].
Trois femmes dont le destin est soumis aux décisions d’un gouvernement hégémonique.
« Kanena ne fait pas exception. Cette période a été pénible pour elle. Étant de la nation anicinape, et bien qu’elle vive depuis longtemps en milieu urbain, elle a vu un nouveau déclin des conditions de vie de son peuple en raison de cette pandémie. […] Qui aurait pu croire que ce qui allait survenir ensuite dépasserait tout ce que son peuple avait eu à endurer jusque-là? », raconte l'écrivaine en page 94.
L’objectif du projet, explique Michel Jean, est de permettre à quelqu’un comme Cyndy, qui fait dans la fiction pour la première fois, et même si « elle aurait été capable de publier ailleurs, mais ça lui offre l’opportunité de le faire là », entourée de vétérans comme le Wendat Jean Sioui ou la Crie Virginia Pésémapéo Bordeleau.
Il y a un mélange et une variété d’âges et de nations
, dit Michel Jean, qui répète cette occasion de réunir de belles plumes autochtones.
Après Amun, un collectif publié en 2016, traduit depuis en anglais et en allemand, il a renouvelé l’expérience en invitant des Innus : des poètes comme Joséphine Bacon et Marie-Andrée Gill, l’artiste multidisciplinaire Natasha Kanapé Fontaine et les autrices Alyssa Jérôme et J.D. Kurtness.
Il a tendu la plume à une nouvelle venue dans le monde littéraire, Katia Bacon, dont la nouvelle, Cécile, raconte l’histoire de sa grand-mère qu’elle termine de manière saisissante. Il y a aussi les Wendat Isabelle Picard et Louis-Karl Picard-Sioui.
La chanteuse Inuk Elisapie Isaac a elle aussi accepté de plonger dans ce projet, tout comme l’Atikamekw Janis Ottawa.
À ce propos, Michel Jean précise qu’après la tragique mort de Joyce Echaquan, il était important de lire une autrice atikamekw, originaire de la même communauté, Manawan.
Le titre, Wapke, un mot atikamekw qui veut dire demain ou avenir, n’est d’ailleurs pas anodin dans les circonstances et représente un message fort.
Le futurisme, à la manière autochtone
D’une nouvelle à l’autre, et alors que les auteurs avaient carte blanche, le constat est le même pour l’ensemble des textes, ils se rejoignent sur des thématiques sociales, politiques ou environnementales.
Il est question de protection de l’identité, de culture, de préservation des savoirs, de la place qu’ils et elles occupent dans la société
C’est un peu décourageant qu’on se projette tous comme ça
, constate Cyndy Wylde pour qui ce fut une surprise, puisque ce n’était pas la commande reçue.
Elle cite le texte de Janis Ottawa, écrit avant même le décès tragique de Joyce Echaquan en septembre dernier.
En pages 184 et 185, on lit : « Dis-moi ce qui s’est passé dans cet hôpital. J’ai su qu’ils ont fait du mal à nos frères et à nos sœurs, et que plusieurs sont morts. Je ne comprends pas! Pourquoi il y a eu autant de décès en 2049, qu’est-ce qu’ils ont fait? »
« Ça nous situe bien comme peuple dans nos préoccupations. »
La colère que vit l’une de ses protagonistes, Maïka, face aux changements climatiques entre autres, c’est la mienne
, précise Cyndy, qui s’est permis, avec ce projet d’écriture, de dire ce qui la préoccupe.
Et elle en a profité, blague-t-elle. « Moi c’est ma première [histoire de fiction], j’avais peur que ce soit la dernière, alors j’ai tout mis ».
Et Cyndy Wylde souhaitait une fin positive : « je voulais qu’on soit les gagnants dans l’histoire ».
La nouvelle de Michel Jean, intitulée Les Grands Arbres, et qui a des allures de fin du monde, rappelle très bien le regard des Autochtones sur la vie.
« [Les gens] voient le monde comme le progrès, mais pour les Autochtones, l’univers c’est un cercle, la vie est un cercle », qu’il illustre clairement dans son histoire qui raconte le rite d’initiation d’un jeune chasseur.
Wapke, publié chez Stanké, sort en librairie le 5 mai.