Femmes autochtones et racisme : « On vit dans l’indifférence du système québécois »

Une table ronde organisée par l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador a permis de discuter du rôle des femmes autochtones face au racisme et à la discrimination.
Photo : Anne-Marie Yvon
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le racisme systémique a monopolisé la conversation des panélistes invitées à discuter du rôle des femmes autochtones face au racisme et à la discrimination, dans le cadre d’une table ronde organisée par l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL).
D’entrée de jeu, Carol Dubé, le mari de Joyce Echaquan, présent pour le mot d’ouverture, s’est adressé aux participantes en les remerciant de porter la voix des femmes
alors que « le racisme et la discrimination sont des maladies qui rongent le Québec », a-t-il précisé, en se consolant que les derniers moments de Mme Echaquan aient éveillé les consciences.
Plusieurs rapports ont, au fil des décennies, été publiés avec un même constat, a souligné l’animateur de l’événement, le chef Ghislain Picard : « Les femmes autochtones sont le plus souvent les victimes du racisme et de la discrimination ».
Il a rappelé qu'elles sont aussi « sur la ligne de front lorsqu’il est question de la mobilisation antiraciste ».
Si les femmes autochtones sont de plus en plus visibles dans les institutions éducatives au Québec, souligne Suzy Basile, une des panélistes invitées, « il y a quand même un large fossé à combler ».
La professeure à l’UQAT
et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones a rappelé que, « pendant longtemps, les femmes autochtones et leur savoir, leur pratique ont été ignorés, bâillonnés par l’imposition de politiques, de loi ».En généralisant le savoir des hommes à l’ensemble d’une communauté ou d’une nation, on avait oublié et même effacé la parole et le vécu des femmes « de ce qui a été écrit, dit, pensé pour les peuples autochtones », a ajouté Mme Basile, en insistant sur le fait qu’il était temps de rétablir la situation.
Des mots qui ont résonné chez Samira Laouni, la présidente fondatrice du C.O.R., un organisme de communication pour l’ouverture et le rapprochement interculturel. Elle a voulu tracer un parallèle avec les femmes musulmanes qui avaient aussi été réduites au silence alors qu'elles occupaient il y a plus de 14 siècles un rôle primordial dans leur société.
« Il y a plein de mouvements de femmes qui n’acceptent plus que la femme soit discriminée », constate la cheffe du Conseil de la Nation Anishnabe du Lac-Simon, Adrienne Jérôme, qui insiste sur le fait que les femmes ne devaient plus être invisibles dans la société.
Pour y arriver, l’éducation est incontournable, selon la présidente de Femmes autochtones du Québec (FAQ), Viviane Michel.
« Un des meilleurs outils est de faire de l’éducation, de l’éducation populaire, même dans nos écoles, pour sensibiliser les nôtres aussi. » Il faut que tous comprennent ce qu’est le racisme et le racisme systémique, dit-elle; elle ajoute qu’il faut outiller les femmes et favoriser leur autonomie.
Le drame vécu par Joyce Echaquan a permis aux gens des Premières Nations de connaître leurs droits, constate la présidente de FAQ : On a le droit de dénoncer, de porter plainte
.
Invitée à participer à la discussion, Manon Massé, la députée et porte-parole de Québec solidaire, a parlé du manque de courage politique permettant, par exemple, de modifier les ouvrages scolaires pour « raconter l’histoire qui s’est passée et non pas celle que le colonisateur veut bien se rappeler ».
Manon Massé souhaite « travailler à une œuvre commune qui nettoie, tout en le reconnaissant, ce passé dans la solidarité, parce que c’est la seule façon d’y arriver ».
De plus, elle souligne que de « reconnaître qu’il y a du racisme systémique n’est pas de dire que tout le monde pose des gestes racistes ».
Mme Massé donne l'exemple d'un médecin qui parlerait d’un mal de tête plutôt que d’une méningite et « ne fera[it] pas les gestes nécessaires » pour la guérir, situation qu'elle considère comme analogue au racisme systémique.
« Il faut être capable de reconnaître qu’il y a du racisme systémique dans l’histoire coloniale du Québec. »
Pour sa part, le chef Picard espère qu’un jour les élus prendront la responsabilité d’innover plutôt que de répondre à des rappels
.
Citant de récents exemples, dont les femmes autochtones disparues et assassinées, les femmes de Val-d’Or ayant dénoncé la brutalité policière et l’affaire Joyce Echaquan, Viviane Michel renchérit que « tant que le gouvernement va nier que le racisme systémique existe au Québec, on ne pourra pas avancer ».
Elle craint que ce ne soit qu’un signe de piastre
, associé à « la peur de trop mettre d’argent pour régler la situation, pour améliorer le sort des gens qui subissent le racisme systémique ».
« On vit une crise des droits de la personne, nous les femmes », se désole la cheffe de Lac-Simon. « On vit dans l'indifférence du système québécois. » Adrienne Jérôme souhaite que les femmes ne vivent plus dans l’insécurité et dans une société où elles sont discriminées.
La cheffe parle du rôle crucial que les femmes ont à jouer pour se faire entendre. Elle constate aussi que les jeunes filles « n'acceptent plus d'être violentées et discriminées ».
Les femmes ne lâcheront pas, insiste Viviane Michel, alors que le chef Picard lui demande quel message doit être entendu par les gouvernements, mais également par les hommes autochtones ou non.
« La place des femmes est importante, nous sommes des personnes résilientes et tenaces, nous allons continuer tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas de changement. »
Donnez-nous de la place
, conclut la présidente de Femmes autochtones du Québec.