Retour sur la mort d'un itinérant autochtone : Raphaël ou le prix de la liberté
Notre chroniqueuse revient sur la mort d'un itinérant autochtone à Montréal dimanche.

Des intervenantes accueillent des itinérants dans un refuge temporaire.
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
Raphaël André a été retrouvé mort dimanche, à deux pas d’un refuge. Le refuge était fermé, réparations et COVID obligent, selon la direction.
Possiblement pour éviter une interpellation par les policiers, Raphaël s’est caché dans une toilette portative où, dans l’absence totale de dignité, il a vécu ses derniers instants.
Itinérant, autochtone, il fait partie de ceux qui n’attirent plus les regards, de ceux dont la situation ne fait plus s’émouvoir les passants qui croisent son chemin.
Sa mort vient s’ajouter à la statistique des victimes collatérales de la COVID-19 comme il y en a tant d’autres. On pourrait croire que ça ne vaut pas la peine de noircir des pages ou de s’indigner pour cela, car collectivement nous avons bien assez de batailles à mener.
Or, ce serait une erreur de penser ainsi, car la mort de Raphaël André est plus qu’un fait divers, elle est une clé permettant de mieux comprendre la vulnérabilité des populations autochtones dans les systèmes
publics et l’inefficacité de certaines mesures de santé publique qui contribuent à les victimiser encore davantage.
Un homme innu qui meurt dans le froid et l’indifférence n’est pas si éloigné d’une jeune femme Tla-o-qui-aht qui meurt sous les balles de la police lors d’une intervention de contrôle de santé ou d’une mère atikamekw qui meurt dans un hôpital où elle aurait dû plutôt recevoir des soins appropriés.
Dans toutes ces tragédies, il n’y a pas de responsable unique.
En effet, au-delà des comportements coupables de gens que l’on peut certes montrer du doigt, il y a des systèmes tout entiers qui sont dysfonctionnels et qui échouent à comprendre que les enjeux autochtones sont inexorablement liés à une réalité qui s’appréhende sous l’angle de l’histoire coloniale, ce que collectivement nous voudrions pourtant tous oublier pour enfin passer à autre chose
.
Et ici, que ce soit bien clair, je ne suis pas en train de dire que cet événement, ainsi que tous les autres qui peuvent y ressembler, est pire que d’autres simplement parce que c’est une personne autochtone qui est décédée.
Non, le facteur aggravant ici, c’est la prévisibilité de la chose et son corollaire : le fait que cela aurait peut-être pu être évité.
Les racines de l’itinérance
Les données socio-démographiques sur l’itinérance montrent sans équivoque que les Autochtones sont beaucoup plus vulnérables à se retrouver sans domicile fixe que le reste de la population québécoise ou canadienne.
D’après une étude de 2014, même si les Autochtones ne représentent que 4 % de la population canadienne, dans certains centres urbains, ils forment plus de 50 % du nombre d’itinérants.
D’ailleurs la politique nationale de lutte contre l’itinérance, adoptée en 2014 par le gouvernement Marois, consacre une section complète à ce phénomène. Ce même document reconnaît que, effectivement, les racines de l’itinérance remontent assez loin dans l’histoire coloniale.
Comment pourrait-il en être autrement dans un pays qui a longtemps considéré le problème indien
comme l’un des principaux obstacles à son développement, sans aucun égard envers l’humanité des principaux intéressés?
La discrimination systémique à laquelle sont exposées encore aujourd’hui les populations autochtones n’est que l’évolution de ces politiques d’assimilation dont l’empreinte tarde à s’effacer.
On peut avoir l’impression que cela ne sert à rien de regarder en arrière lorsque l’on cherche des solutions, mais c’est faux.
Si on ne comprend pas bien la genèse de la situation et ses causes comment peut-on la régler?
D’ailleurs, je constate que la proportion alarmante d’Autochtones en situation d’itinérance se rapproche étrangement d’autres phénomènes sociaux affectant ce même groupe, soit la surreprésentation carcérale, la prévalence des crimes contre les femmes, de même que le ratio des décès dans le cadre d’interventions policières.
Serait-ce possible que les mêmes causes soient au rendez-vous?
Ceci dit, il ne suffit pas de le constater, si c’était le cas il n’y aurait plus de problème.
D’ailleurs, la politique nationale de lutte contre l’itinérance affirme ceci : Les besoins des Autochtones en matière d’itinérance exigent des réponses qui tiennent compte de leur histoire, leur culture, mais aussi de leur droit à des environnements de vie décents : les problèmes de logement et de pauvreté ne peuvent pas être passés sous silence.
Je me sens rassurée de voir de telles affirmations dans une politique gouvernementale.
Là où je le suis moins, c’est lorsque je constate à quel point c’est vite oublié lorsque vient le temps d’évaluer les impacts qu’aura l’adoption d’une mesure sur la population en question.
Par exemple, l’imposition d’un couvre-feu à une population itinérante qui, de surcroît, entretient une méfiance bien légitime à l’endroit des forces policières me semblait être une catastrophe annoncée.
Il y a bel et bien un problème systémique : les règles et les procédures n’ont pas les mêmes impacts dans toutes les couches de la population.
Ce qui peut avoir un effet rassurant pour certains peut être terrifiant pour d’autres.
Au point de se laisser mourir seul dans une toilette portative.