Itinérance, éclosion et couvre-feu : un cocktail inquiétant pour l'aide aux Autochtones
À Montréal, les cas se multiplient chez les itinérants autochtones et les ressources ont atteint leur limite

L'itinérance a doublé à Montréal depuis le début de la pandémie, passant de 3000 à 6000 itinérants.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Une grave épidémie de COVID-19 chez les sans-abri et l'arrivée d’un couvre-feu font craindre le pire dans les refuges pour Autochtones qui sont déjà remplis au maximum. Le personnel manque et l'épuisement professionnel menace.
C’est le branle-bas de combat depuis le 31 décembre alors qu'une grave épidémie de COVID sévit au sein des sans-abri de Montréal, particulièrement chez les Autochtones.
Personne ne sait vraiment ni où ni comment cela a commencé. À la mi-décembre, un premier organisme, Open Door, a été touché, suivi par Projets autochtones du Québec.
Depuis, la COVID-19 se propage, entraînant la fermeture de haltes et de dortoirs avec comme conséquences la diminution de places d’accueil et l'augmentation de sans-abri ne sachant où aller.
La réalité
, explique la directrice générale de Projets autochtones du Québec (PAC ) qui offre un refuge de nuit permanent et un temporaire, Heather Johnston, c’est que pendant les congés, il y a eu une éclosion et les gens n’avaient nulle part où aller s’isoler alors les gens venaient chez nous même s’ils avaient été testés positifs
.
La population autochtone en itinérance est une population qui bouge beaucoup dans la ville et passe d’un organisme à l’autre, surtout le soir.
« Il faut comprendre que l’éclosion n’est pas dans un réseau ou dans une organisation au sein de la communauté. Elle est dans la rue. »
Selon un communiqué commun de plusieurs organismes, la situation est actuellement critique : environ 80 % des personnes sans-abri autochtones ayant subi un dépistage ont un diagnostic positif à la COVID-19.
À PAQ, sur les 26 personnes itinérantes testées, 17 ont été déclarées positives. Depuis deux jours, d’autres itinérants ont été testés. Pas un n’a refusé le test, la preuve dit Heather Johnston, qu’ils veulent être en santé, s’isoler, respecter les mesures, mais c’est compliqué
.
Avec la pandémie, plusieurs organismes ont dû revoir à la baisse leur offre de services et avec cette éclosion, de nouvelles mesures ont dû être prises. Open Door a fermé ses portes et a relogé ses résidents dans un hôtel.
Résilience Montréal, un refuge de jour, a fermé son dortoir, ses quartiers de repos et n’autorise plus que 12 personnes à la fois à entrer dans ses locaux pour venir chercher vêtements ou nourriture alors que la capacité était de 60.
Nous donnons très peu de services, alors que nous préférerions en donner beaucoup plus. C’est juste un pansement… et c’est vraiment dur pour tout le personnel
, explique la présidente de Résilience Montréal, Nakuset.
D’ailleurs, son personnel est très inquiet. Certains sont déjà tombés malades, une autre attend le résultat d’un test de dépistage.
Nous craignons que, parce que nous ne connaissons pas les noms des personnes qui ont la COVID, ces dernières viennent et transmettent le coronavirus. C’est pour cela que nous prenons toutes ces mesures de sécurité
, indique Nakuset.
Coordonner l’information est un des défis, reconnaît Heather Johnston, car il est difficile de trouver l’équilibre entre la sécurité de la communauté et du personnel et le droit à la confidentialité des personnes.
Mais les plus gros défis avec cette éclosion, précise-t-elle, sont vraiment le manque de places pour s’isoler et le manque de services adaptés.
Une réponse commune
Afin d’y remédier, les organismes se sont unis pour rapidement réorganiser les locaux de l’ancien hôpital Royal Victoria. Le nombre de places va doubler et un service de gestion de consommation de l’alcool va être supervisé par la Mission Old Brewery en partenariat avec PAQ et du personnel médical.
Certains ont pu partir du Royal Victoria car ils n’avaient pas de services adaptés à leurs besoins, surtout ceux qui ont des dépendances
, indique Heather Johnston.
Elle espère donc qu’avec 87 places adaptées aux besoins variés des hommes et des femmes en situation d'itinérance, le Royal Victoria va pouvoir atténuer la crise.
Mais encore faut-il passer au-dessus de la méfiance causée par de trop nombreuses mauvaises expériences.
De manière générale, la population itinérante autochtone ne fréquente pas les ressources traditionnelles comme la mission Old Brewery, à cause des traumatismes mais aussi parce, que dans le passé, nos services n’étaient pas adaptés. Il nous manquait d’outils pour qu’elle nous fasse confiance
, reconnaît la directrice des services à la Mission Old Brewery, Emilie Fortier.
« Il y a une différence entre vouloir accueillir et bien accueillir. »
PAQ et d’autres organismes ont alors envoyé du personnel afin de faciliter les liens.
En nous prêtant des intervenants, ils nous permettent de dire aux personnes de venir, car ils connaissent quelqu’un là-bas, ce n’est pas que de l’inconnu. Nos équipes aussi ont appris et ont fait quelques ajustements et deviendront des visages connus. Et c’est comme ça que le lien se fait
, explique Emilie Fortier.
Tout est pratiquement prêt au Royal Victoria. Les 87 places devraient être disponibles d'ici la fin de la semaine.
De plus, le service de gestion de consommation de l’alcool va permettre de retenir des personnes, précise Emilie Fortier. Elle prévient cependant : ce n’est pas un open bar, il y a un plan de consommation établi par une équipe médicale, ça devient presque une prescription dans ces cas-là
.
Moment extrêmement difficile
Tous le disent : c’est un moment extrêmement difficile. Tous espèrent que ces nouvelles places vont permettre d’atténuer la crise.
Toutefois, Nakuset s’inquiète pour les autres, les itinérants qui n’ont pas la COVID, ceux en bonne santé. Où vont-ils aller? Quand le premier ministre a fait ce commentaire (mercredi) en disant qu’il y a beaucoup de places, je me demande où? Donnez-nous une carte, car nous ne savons pas où référer les gens
, lance-t-elle.
Le manque de places, surtout la nuit, est assez clair
, confirme Emilie Fortier. Les deux refuges de PAQ affichent complet et Heather Johnston, comme les autres intervenants, s’inquiète de l’instauration d’un couvre-feu.
Va-t-il y avoir une augmentation de personnes qui vont vouloir venir? Nous n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre, les autres ressources aussi sont souvent pleines.
Nakuset demande que l’armée vienne monter de longues tentes chauffées où la distanciation sera possible et qu’elle envoie du personnel comme elle l’a fait dans les CHSLD. Elle est même certaine qu’il n’y aura pas de réticence.
Si vous êtes dans la rue, que vous avez froid, faim, et que vous êtes confus… lorsque vous êtes en crise, quand quelqu’un vous offre comme un gilet de sauvetage vous le prenez. Si vous ne leur offrez pas de place, vous les ignorez!
, poursuit Nakuset.
Les organismes qui travaillent auprès des personnes itinérantes réclament une amnistie pour les manquements au couvre-feu décrété par Québec et pour les travailleurs qui leur viennent en aide.
La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, s'est montrée rassurante : les agents de la paix devront faire appel à leur jugement et à leur expérience avec les itinérants.
On les incitera à se diriger vers des refuges pour y passer la nuit, a mentionné la ministre, qui souhaite aider ces personnes, plutôt que de les inonder de constats d'infraction.
Mais encore faudra-t-il trouver les places. J’anticipe qu’il n’y en aura pas
, lance Emilie Fortier qui fait part de ses craintes.
Je suis inquiète car on est un peu arrivés au bout où la seule solution c’est l'urgence mais on pousse toujours pour l’urgence, les hôtels, les navettes, les haltes… La solution permanente serait des logements, les gens seraient automatiquement en sécurité. Il y a une limite à ce que l’urgence peut faire.