Enfants autochtones disparus ou morts : Québec dépose son projet de loi
Le reportage de Valérie-Micaela Bain
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le gouvernement Legault a déposé mercredi le projet de loi 79 pour permettre aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés lors de leur passage dans le réseau de la santé québécois d'accéder aux informations dont dispose l'État. Il s'agit d'un pas important pour les familles endeuillées qui tentent de faire la lumière sur ces drames.
C'est le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, qui a déposé le projet de loi « autorisant la communication de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement » à l'Assemblée nationale.
Le gouvernement Legault avait déjà tenté de légiférer sur cet enjeu via des modifications à la Loi sur la pharmacie, il y a un an. Cette manoeuvre avait été vivement critiquée par les Premières Nations, mais également par la Protectrice du citoyen, Marie Rinfret.
Cette dernière avait notamment estimé qu'une question aussi sensible
n'avait pas fait l'objet de consultations satisfaisantes auprès des Premières Nations.
En mêlée de presse mercredi, le ministre Ian Lafrenière a justifié par l'urgence d'agir
cette manière de faire en décembre 2019. Il y a des parents qui arrivent à 89 ou 90 ans et qui ne savent même pas encore ce qu'il est arrivé à leur enfant
, a-t-il illustré.
Mais on a entendu les commentaires qui nous ont été faits
, a assuré le ministre.
En entrevue mercredi, le vice-chef de Manawan, une communauté atikamekw du nord de Lanaudière, a expliqué que les familles endeuillées avaient elles-mêmes demandé l'hiver dernier que cette question fasse l'objet d'un projet de loi distinct.
« Le projet de loi 79 fait acte des recommandations des familles, ce qui est une bonne chose en soi. Les familles soulignent aussi que c'est une loi qui répond à la demande pour trouver les réponses. »
S'il a salué les efforts de Québec, Sipi Flamand estime tout de même qu'il y a encore du travail à faire
et que le Canada devrait lui aussi ouvrir ses portes
.
Des drames horribles et impensables
Le drame touche plusieurs dizaines d'enfants autochtones, dont beaucoup étaient issus de familles atikamekw de la Haute-Mauricie, mais aussi innues de la Côte-Nord, et s'est étalé sur plus de 50 ans, jusqu'en 1989.
Malades, les enfants étaient conduits hors de leur milieu de vie pour être hospitalisés, loin de leurs parents qui ne pouvaient les accompagner. Puis ces derniers apprenaient la mort de l'enfant, mais sans qu'aucune preuve ou qu'aucun détail ne leur soit fourni. Ou encore ils demeuraient carrément sans nouvelles.
C'est impensable
et horrible
, a commenté Ian Lafrenière, disant avoir une pensée particulière pour ces parents-là
.
Le projet de loi 79, s'il est adopté, doit permettre à ces familles d'avoir accès à toute l'information dont dispose l'État québécois sur la mort ou la disparition d'un enfant. Est-il toujours vivant? Sinon, sait-on où se trouve la dépouille? De quoi est-il mort et dans quelles circonstances? Il s'agit de questions cruciales qui sont pourtant demeurées sans réponses pendant des décennies pour ces familles endeuillées.
« Ce qu'on vient faire aujourd'hui, c'est donner de l'information aux parents et les accompagner. La plus belle image que je pourrais vous donner, c'est qu'on veut les mettre dans la ouate. On veut être avec eux, les soutenir. »
M. Lafrenière a d'ailleurs indiqué que le projet de loi devrait permettre de mettre sur pied une équipe de professionnels qui saura accompagner les parents dans tout le processus de demande d'information, pour éviter qu'ils ne se sentent dépassés ou découragés par la complexité de la tâche ou par du charabia technique
.
Parmi les trois communautés atikamekw du Québec, on compte 25 familles touchées par ce drame, dont 32 enfants ont été portés disparus dans le système
, selon Sipi Flamand. Ce serait bien que le gouvernement implique davantage ces familles dans le processus. C'est une manière pour les familles d'avancer dans leur processus de guérison.
M. Flamand souligne par ailleurs une avancée : le projet de loi permettra à des frères et soeurs de faire des demandes d'information, alors qu'autrefois la signature d'un ou des deux parents était requise, un obstacle insurmontable, puisque certains d'entre eux sont déjà décédés.
Devoir de mémoire
La députée Sylvie D'Amours, qui a été relevée de ses fonctions de ministre responsable des Affaires autochtones en octobre dernier après la mort troublante de Joyce Echaquan à l'hôpital de Joliette, était présente aux côtés de son successeur mercredi. C'est elle qui a piloté le projet de loi 79.
Mme D'Amours a indiqué qu'elle avait déjà approché certaines personnes pour faire partie de l'équipe de professionnels qui sera mise sur pied et qu'elle avait tenté de trouver des candidats en qui les familles autochtones pourraient avoir confiance, étant donné que plusieurs d'entre elles lui ont indiqué ne plus avoir confiance dans le système québécois.
Disant avoir appris elle-même l'existence de ce drame par le biais de témoignages lors de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), elle a formulé un souhait précis : nous avons un devoir de mémoire pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise au Québec
, et a demandé aux journalistes de faire connaître le projet de loi 79 au plus large public possible.
Ce projet de loi doit permettre de reconstruire un lien de confiance entre ces familles et un système qui a volé des enfants et caché la vérité, ce n’est pas une mince tâche
, a pour sa part réagi la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé.
Nous étions impatients de voir le gouvernement prendre cet enjeu au sérieux et lui accorder un projet de loi distinct comme l’exigent les familles autochtones et leurs représentants
, a-t-elle indiqué, ajoutant que ces histoires sont la preuve que le racisme systémique
est profondément ancré dans le système de santé et de service sociaux du Québec
.